Depuis une décennie environ, la mère autoproclamée indigne et imparfaite prend d’assaut toutes les tribunes (allô!); web, radio, télé, cinéma, alouette. D’abord reçu comme un vent de fraîcheur par une journée caniculaire, son propos semble de plus en plus redondant, voire impertinent.
D’une part, sommes-nous vraiment indignes d’être mères parce que nos enfants regardent la télé, mangent parfois de la scrap et que notre vie de famille n’a pas la prestance et l’ordre du Palais de Buckingham ? Évidemment pas.
D’autre part, comme l’a soulevé l’auteure et chroniqueuse Geneviève Pettersen : Est-ce si difficile que ça d’être mère ? Sans nier ou banaliser l’inégalité parentale qui persiste, nous avons fait des pas de géants en « à peine » un siècle; on n’enchaîne plus malgré soi les naissances et on dispose de plus d’outils que jamais pour faciliter notre quotidien familial.
Geneviève et moi avons toutes deux parlé de nos maternités, différemment mais sans omettre les aléas plus sombres, et nous réaffirmons l’une comme l’autre la nécessité et la pertinence d’un discours honnête et réaliste sur la parentalité. Mais comme elle, j’ai l’impression qu’on a fait le tour du sujet de « la difficulté d’être mère ». Personnellement, du moins, je n’y trouve plus de réconfort.
Pourtant, chaque fois que je parle de maternité imparfaite, force est de constater que les nouvelles mères ont encore besoin qu’on leur dise que oui, c’est correct de ne pas être une textbook good mom tout le temps. Que ne pas voir la maternité en rose ne fait pas d’elles de mauvaises mères. Parce qu’on leur a dit qu’elles seraient comblées et fatiguées, mais pas que leurs certitudes, tout comme leurs cheveux, tomberaient comme si la gravité en avait contre eux en particulier.
La maternité a changé considérablement en quelques générations; de la façon dont on accouche jusqu’à la façon dont on éduque nos enfants. Les méthodes de nos ainées nous semblent datées et ne sachant pas comment « être une bonne mère en 2017 », on se tourne vers la science et tous ses pasticheurs.
On cumule les reportages, les études, les avis et recommandations parfois contradictoires des « experts », et on se construit un idéal de maternité qui essoufflerait Usain Bolt. La mère indigne, en quelque sorte, sert de soupape pour les nouvelles mères essoufflées.
Et comme le souligne si justement l’auteure Marianne Prairie dans Pas facile d’être mère, le nouveau documentaire de Sophie Lambert, être exposées sans cesse à une maternité Instagram dans un décor Pinterest a de quoi nous complexer.
Je me demande alors si ma lassitude face au discours sur la difficulté d’être mère ne découle pas du fait, justement, que j’ai assimilé la versatilité de mon rôle. Avec les années, on prend le rythme, on se crée des repères, on lâche (un peu) prise, on connaît mieux nos enfants et on voit venir (et repartir, promis) les moments difficiles. Puis on change, forcément, pour mieux remplir notre rôle et trouver notre bonheur dans le processus.
Dès lors, entendre en boucle qu’il est difficile d’être mère devient, effectivement, redondant et franchement lourd.
Peut-être que si la mère imparfaite trouve encore écho, c’est que son propos n’a pas réussi à dépasser les confins de la maternité et à changer l’idée qu’on s’en fait avant d’y plonger. On se relaie ce discours déculpabilisant entre déjà-mères, entre initiées des blogues et des plateformes qui nous sont destinés.
Mais la pression de « réussir » sa maternité – et le sentiment de culpabilité qui l’accompagne – sont visiblement toujours aussi poignants quand on les ressent pour la première fois.
Nous sommes nombreuses à réaliser seulement une fois notre bébé dans les bras que la maternité est un party d’euphémismes. Et malgré le fait que le cœur nous explose d’amour pour notre descendance, la pente peut être abrupte quand on réalise que le « congé » de maternité n’en est pas un, que la « conciliation » travail-famille n’a rien d’harmonieux, que la « fatigue » dont on parle tant est parfois une dépression postpartum et que le sacrosaint « instinct maternel » ne fait pas toujours le poids contre le doute.
Si on parle ad nauseam de la difficulté d’être mère, au fond, c’est peut-être parce qu’en société, on ne parle pas suffisamment des implications réelles de le devenir.
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Montréalaise d'origine marocaine, Manal Drissi a été chroniqueuse pour Châtelaine puis a cheminé vers la radio et la télévision. Elle est intense dans trois langues et demie.
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