Société

Pensionnats autochtones : et maintenant, on fait quoi ?

Des sépultures non identifiées trouvées près d’anciens pensionnats autochtones créent toute une onde de choc à travers le pays depuis juin dernier. Bon nombre de personnes découvrent une réalité occultée et troublante de notre histoire. Sous l’autorité de l’État et de l’Église, des dizaines de milliers d’enfants autochtones ont été coupés de leurs racines et endoctrinés de force – un système qui a perduré 165 ans. Comment réparer les torts causés par ce génocide culturel ? Entrevue.

La découverte d’ossements d’enfants sur les sites d’anciens pensionnats autochtones de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan, en juin, a provoqué une vague d’indignation dans tout le pays. Ce triste événement rappelle combien il importe de faire la lumière sur ce pan de notre histoire. De 1831 à 1996, quelque 150 000 enfants ont été arrachés à leurs familles et coupés de leur culture dans le but d’être rééduqués : les autorités gouvernementales et religieuses voulaient « tuer l’Indien » en eux. Mais quelles sont les conséquences de ce génocide culturel ?

Anthropologue et directrice du programme en études autochtones de l’Université de Montréal, Marie-Pierre Bousquet considère qu’enseigner l’histoire des pensionnats est essentiel pour comprendre les enjeux actuels des peuples autochtones et envisager une réconciliation avec ceux-ci.

De nouvelles découvertes sur les sites d’anciens pensionnats autochtones sont-elles à redouter ?

Il y en aura d’autres, probablement au cours des prochains mois et, bien qu’elles soient choquantes, elles ne sont hélas ! pas étonnantes. Des archéologues effectuent des recherches depuis plusieurs années, mais jusqu’à présent, leurs découvertes n’avaient pas eu un tel retentissement, faute d’avoir été largement médiatisées. Il est temps que cela change.

Pourquoi leur médiatisation est-elle si importante ?

La société doit prendre conscience de l’importance des pensionnats. L’ignorer empêche de voir le poids de l’histoire coloniale dans la vie des Premières Nations et de comprendre pourquoi les réalités autochtones sont devenues ce qu’elles sont. On ne peut pas créer des politiques qui ont du sens sans connaître cette histoire, et encore moins espérer une réconciliation.

Vos travaux sur l’histoire des pensionnats autochtones révèlent une particularité au Québec. Quelle est-elle ?

Ils ne sont apparus au Québec qu’en 1950, alors qu’ils existaient depuis 1880 dans le reste du pays. À cette époque, la majorité de la population québécoise était déjà chrétienne. La mission des pensionnats n’était donc pas de christianiser les jeunes, comme dans l’Ouest, mais plutôt d’en faire de bons patriotes. Par ailleurs, les missionnaires oblats, qui administraient ces établissements, ont essayé de ne pas commettre les mêmes erreurs que dans l’Ouest en inculquant aux jeunes Autochtones la fierté de leur culture. Dans les faits, des erreurs se sont reproduites, car le mépris du nomadisme était bien réel, et les Oblats ne pouvaient certainement pas transmettre aux enfants une culture autochtone qu’eux-mêmes ne connaissaient pas.

Cela explique-t-il la résistance de certains à reconnaître l’assimilation forcée des enfants autochtones dans les pensionnats au Québec ?

Cette résistance découle surtout de la grande ignorance que l’on a du sujet. Et il y a cette idée voulant qu’au Québec, nous sommes moins racistes qu’ailleurs au pays, que nous entretenons une relation différente avec les Premières Nations. Je trouve cela fascinant, car bon nombre d’Autochtones ne sont pas de cet avis. Comment pourrions-nous être proches d’eux sans connaître leur histoire ? Nous aimons rappeler que la relation du Québec avec le reste du pays est également distincte. Des francophones ont été opprimés par des anglophones partout au Canada, alors nous avons aujourd’hui du mal à nous voir nous-mêmes comme oppresseurs. Or, cela n’est pas incompatible. La preuve, c’est que le Québec a collaboré avec le fédéral dans l’administration des pensionnats.

Quels enseignements devraient intégrer nos programmes scolaires­ ?

Dans les écoles, le sujet est abordé de façon trop brève et trop uniforme. On ne peut pas raconter une histoire qui s’est déroulée pendant plus d’un siècle, d’un bout à l’autre du pays, sans nuances ni détails ! Il faut que les historiens et les témoins travaillent ensemble pour élaborer la façon d’enseigner cette histoire aux élèves et créer du matériel pédagogique adapté. Je suis aussi en faveur de la création de monuments commémoratifs, de musées et même d’une journée nationale, afin que cette partie de l’histoire se voie dans l’espace public.

La reconnaissance des faits et leur enseignement ne sont que le début du processus de réparation et de réconciliation avec les victimes des pensionnats et leurs descendants. Que doit-on faire ensuite ? Il y a des étapes à suivre. Ça commence par l’éducation, puis il faudra trouver une forme de réparation avant de chercher à se réconcilier. Ce processus exigera beaucoup de temps, car on ne peut pas se réconcilier avec quelqu’un qu’on ne connaît pas. Il est crucial que les médias en parlent pour alerter les gens. Pendant les six années où la Commission de vérité et réconciliation a sillonné le pays, les médias des grandes villes n’ont presque pas couvert le sujet. Cela a contribué à la négation du problème et peu de citoyens se sont sentis concernés. [NDLR Créée en 2008 par le gouvernement fédéral, la Commission visait à faire connaître à l’ensemble de la population canadienne la dure réalité subie par les jeunes des pensionnats autochtones, puis à établir les fondements d’une réconciliation.]

Le terme « génocide » doit-il être employé pour désigner l’histoire des pensionnats autochtones ?

Si le Canada reconnaît qu’il a commis un génocide, il se retrouvera devant les tribunaux internationaux. Selon moi, c’est l’une des raisons pour lesquelles le mot n’est pas adopté. On parle cependant d’un « génocide culturel » depuis la Commission de vérité et réconciliation. Ce qui m’embête, c’est que l’adjectif « culturel » semble atténuer le mot « génocide ». Comme si c’était moins important. Mais un génocide culturel, c’est déjà gravissime. Il faut utiliser cette expression en étant conscient que ce qui s’est passé dans ces pensionnats est un acte extrêmement grave et une responsabilité nationale.

L’histoire des pensionnats autochtones en 9 moments marquants

1831
Le premier des pensionnats indiens – c’est ainsi qu’on les nommera à partir des années 1880 – ouvre à Brantford, en Ontario.

1920
Leur fréquentation devient obligatoire pour tous les Autochtones âgés de 7 à 16 ans.

1931
C’est l’année où l’on compte le plus d’établissements dans le pays, soit 80.

1931
Le premier pensionnat autochtone québécois ouvre à Fort George (Chisasibi), dans le Nord-du-Québec. La plupart ouvriront dans les années 1950.

1991
Le gouvernement fédéral lance une enquête publique à la suite de dénonciations d’anciens pensionnaires victimes de violences physiques, psychologiques ou sexuelles, dont Phil Fontaine, qui a été chef de l’Assemblée des Premières Nations.

1991
Le dernier pensionnat autochtone québécois, celui de Pointe-Bleue (Mashteuiatsh), au Lac-Saint-Jean, ferme définitivement.

1996
Le pensionnat Gordon, à Punnichy, en Saskatchewan, est le dernier à fermer ses portes au pays.

2015
Sept ans après sa création, la Commission de vérité et réconciliation publie ses conclusions avec 94 appels à l’action visant à réparer les séquelles laissées par les pensionnats.

2021
La découverte d’ossements de centaines d’enfants sur les sites des pensionnats de Kamloops, en Colombie-Britannique, puis de Marieval, en Saskatchewan, ravive la plaie béante laissée par les pensionnats autochtones dans l’histoire du pays.


Couverture numéro Septembre-octobreCet article est paru dans notre numéro de septembre/octobre.
Disponible par abonnement et sur Apple News.

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