D’abord guérir. Les Autochtones en ont besoin, car il est difficile de tendre la main après avoir subi des traumatismes. Des personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou d’alcoolisme renaissent quand elles reprennent contact avec leur langue et le territoire – j’en ai vu. Le gouvernement doit donc nous donner les moyens financiers nécessaires à la préservation de nos cultures.
Renouer avec nos langues ancestrales. Dans ma communauté, le wendat est de nouveau enseigné à l’école primaire. Il n’était plus parlé depuis un siècle ! Par chance, nous avions encore des dictionnaires. Pour la prononciation, nous sommes allés voir des Mohawks, puisque notre langue est cousine de la leur. Ce travail s’est déroulé sur des années et il a exigé des fonds importants. J’ai réussi à obtenir un financement d’un million de dollars. Un tel projet ne se fait pas avec 5000 $ !
Des cours sont aussi offerts aux adultes qui le souhaitent. C’était une honte de ne pas parler notre langue. Certains nous le reprochaient, d’ailleurs... Le seul fait de pouvoir dire quelques mots ravive la fierté.
Reconnaître notre rôle historique. Nous sommes l’un des peuples fondateurs. Sans nous, ni les Français ni les Anglais n’auraient survécu au scorbut! L’apport des Autochtones à la société actuelle doit également être souligné.
Redonner des responsabilités aux nôtres. Il importe que les services de protection de la jeunesse soient pris en charge par les communautés autochtones. Quand la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) retire un enfant non seulement de sa famille, mais aussi de sa communauté, elle le déracine. C’est un prolongement des pensionnats.
Continuer à dédommager les survivants des pensionnats autochtones. Les compensations financières offertes n’ont pas la même importance pour tous. Mon père, par exemple, n’en a pas voulu. Pour d’autres, qui savent que leur agresseur ne fera jamais face à la justice, c’est une forme de réparation.
Photo : Christine MuschiCréer des liens. Pour se réconcilier, il faut d’abord qu’une relation ait existé. Il y en a eu une, dans un passé lointain. Mais sous le régime anglais, la colonisation s’est accélérée. À partir de la Loi sur les Indiens, en 1876, nous avons été mis sous la tutelle de l’État. Le but était de nous assimiler, c’est écrit noir sur blanc.
Avoir une présence forte. Notre démographie est galopante et nous vivons une renaissance culturelle. C’est un beau moment de notre histoire. Mais je crois qu’il faut arrêter de parler de réconciliation et plutôt bâtir une relation de nation à nation. Pour cela, il faut une volonté politique. Nos communautés continuent de souffrir d’un sous-financement chronique. Certaines n’ont toujours pas d’eau potable...
Célébrer nos 11 nations. La série documentaire Laissez-nous raconter, que je réalise, présentera les 11 Premiers Peuples du Québec [NDLR : elle devrait être diffusée sur les différentes plateformes d’ICI Radio-Canada et de CBC au cours de la saison 2022-2023]. Je souhaite que les gens comprennent qu’il y a 11 cultures, 11 langues, 11 histoires différentes. J’y présente nos visions du monde et nos systèmes de valeurs. La série se penche aussi sur quelques moments plus sombres, mais montre comment nous sommes en train de reprendre possession de nos moyens. Et à quel point c’est beau.
Photo : Mélanie CrêteSe laisser du temps. La réconciliation ne se fera pas tout de suite. Plus on avance, plus des horreurs se révèlent. Il y a eu la Loi sur les Indiens, puis les femmes disparues et assassinées. On découvre maintenant des sépultures d’enfants morts dans les pensionnats. Voilà qui génère beaucoup d’amertume et de colère. Certaines choses étaient tues, gardées sous silence. Aujourd’hui, tout ce silence commence à parler.
Se rétablir. Dans notre cœur, il y aura toujours des cicatrices. On ne peut pas faire disparaître une plaie ouverte. Il faut d’abord la guérir.
Bâtir des ponts ensemble. On ne peut pas, non plus, se réconcilier tout seul. Il faut être deux. Dans le mot réconciliation, j’entends « pardonne-moi » ; il y a une prise de conscience. Essayons d’être sincère l’un envers l’autre.
Se faire connaître. Je préfère le terme décolonisation à celui de réconciliation. Il rend mieux compte de la façon dont la colonisation a affecté nos relations. Comment pouvons-nous nous réconcilier si vous ne savez pas qui nous sommes ? Mikana offre des ateliers sur les réalités des peuples autochtones à des organisations publiques, des organismes culturels et des universités, entre autres. Il faut miser sur les partenariats à long terme, car décoloniser ses pratiques et mieux connaître l’autre, cela requiert du temps.
« Autochtoniser » les établissements d’enseignement. Par exemple, mon organisme travaille avec le collège Ahuntsic, à Montréal, depuis 2018. La direction a d’abord modifié le nom et le logo de ses équipes sportives, les Indiens, qui s’appellent maintenant les Aigles. Aujourd’hui, nous accompagnons des enseignants, de littérature et de géographie notamment, pour qu’ils « autochtonisent » leurs plans de cours en y ajoutant la perspective des Premières Nations. Le collège a aussi embauché une personne-ressource pour les étudiants autochtones. Ce facilitateur, lui-même atikamekw, est à l’écoute de leurs besoins et les soutient dans leur réussite scolaire en les dirigeant vers les ressources du collège.
Favoriser une prise de conscience sur les horreurs subies par les Autochtones au cours de l’histoire. Beaucoup de francophones se considèrent eux-mêmes comme des victimes de la colonisation anglaise. Ils minimisent l’expérience vécue par les Premiers Peuples. Ou ils ont une vision romantique des colons français et accusent les Anglais ou le fédéral. Mais il y a eu de l’esclavage en Nouvelle-France, et les pensionnats ont été créés en collaboration avec les provinces. Dans nos ateliers, nous invitons les gens à poursuivre une réflexion à ce sujet.
Photo: Randy KellyRaconter l’histoire du point de vue autochtone. Ce serait là un gain. Pourquoi ne pas demander aux aînés et aux historiens autochtones comment mieux l’enseigner ? Le rapport à l’environnement, aux autres et à la mort est différent chez les Premiers Peuples. On devrait aussi intégrer ces savoirs dans toutes les matières scolaires. La prochaine génération serait plus ouverte. J’aimerais en outre que, dans chaque école, les élèves apprennent à connaître la nation qu’ils côtoient: les Mohawks à Montréal et les Anichinabés à Ottawa, par exemple.
Mieux se connaître grâce à la fiction. Les émotions rendent plus empathique. Je l’ai compris avec mon premier film, Le dep (2015). Après chacune des projections suivies d’un échange avec le public, les gens voulaient en savoir plus sur les réalités autochtones. Jusque-là, avec mes documentaires, je prêchais auprès de convertis !
Ma série télé Pour toi Flora (sur ICI Radio-Canada Télé cet automne, et sur ICI Tou.tv Extra) porte sur les pensionnats. J’utilise les outils à ma disposition pour m’adresser à monsieur et madame Tout-le-Monde : une chaîne grand public et des vedettes québécoises. La boîte de production, Nish Média, est autochtone, tout comme une partie des comédiens et de l’équipe technique. C’est un pas important. D’autres nous ont raconté notre histoire tellement longtemps.
Faire entendre nos langues. En plus de la version originale, tournée en français et en anishinaabemowin, Pour toi Flora a été entièrement doublée en anishinaabemowin et sous-titrée en français. Les deux versions sont disponibles sur ICI Tou.tv. C’est une première pour une plateforme grand public francophone. Et l’occasion d’entendre cette belle langue qui nous a été interdite dans les pensionnats.
Photo : Ville de MontréalRéfléchir ensemble. On doit faire un examen de conscience en tant que société. La Loi sur les Indiens, les réserves, l’abattage des chiens de traîneaux, les expériences médicales sur les enfants, notamment, ont eu des conséquences. Les peuples autochtones contemporains sont aux prises avec des traumatismes intergénérationnels. Ils sont encore aujourd’hui victimes de racisme systémique. Si on n’est pas prêt à porter collectivement cette responsabilité, on ne pourra pas entrer dans un processus de réconciliation.
Adopter des actions concrètes. La Ville de Montréal s’est, par exemple, engagée à établir des relations de gouvernement à gouvernement avec les peuples autochtones. Cela fait partie de la grande stratégie de réconciliation adoptée par la Ville en 2020. La mairesse Valérie Plante participe à des rencontres diplomatiques avec le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, avec les grands chefs mohawks et avec les élus du peuple inuit. Elle accueille ces derniers selon le même protocole mis en place pour un chef d’État ou un ministre étranger. Les discussions portent notamment sur les communications, l’archéologie, la mise en valeur du patrimoine, le développement économique et l’itinérance.
Faire une place aux Autochtones dans l’espace public. Changer le nom de la rue Amherst pour Atateken, à Montréal, était nécessaire. La Ville a ainsi accompli un geste de réconciliation. Plusieurs nations siégeaient au comité de toponymie. Le nom du colonisateur a été remplacé par ce mot qui signifie « fraternité », en mohawk. C’est un symbole fort. Mais on ne doit pas modifier tous les noms de rue ou déboulonner des statues. Ce serait effacer le passé... qu’on ne doit pas oublier.
Aller à la rencontre de l’autre. Des événements culturels sont organisés chaque année partout au Québec, comme des pow-wow. C’est une belle façon de nous connaître.
S’informer. Les Québécois doivent s’appliquer à nous connaître. Nous sommes heureux de prendre la parole. Mais la découverte des sépultures d’enfants au pensionnat de Kamloops, en Colombie-Britannique, l’an dernier, nous a bouleversés. Nous devions prendre soin de nos aînés. Nous ne pouvions pas tout expliquer...
Se réapproprier sa culture. Ma fille s’appelle Maskowisi, ce qui veut dire « forte comme un ours ». C’était important pour moi de lui donner un nom atikamekw. J’aurais aimé en porter un aussi, mais ce droit nous a été enlevé à une certaine époque. Alors, je suis fière que ma langue ait survécu malgré tout. Avec la naissance de ma fille, j’ai redécouvert le tikinagan, le porte-bébé traditionnel, que mon conjoint a fabriqué lui-même.
Photo : Canopée MédiasChacun de nous peut devenir l’allié des Premiers Peuples. Comment ? En s’intéressant aux réalités et aux causes autochtones. Et en prenant conscience de ses propres préjugés. Pour y parvenir, il faut de l’humilité. Un allié sait admettre qu’il vit sur le territoire traditionnel d’une nation. Il peut apprendre quelques mots dans la langue de cette dernière. Un tel effort permet de cohabiter de façon harmonieuse sur ces terres. Et se rappeler qu’elles n’ont pas été cédées rétablit l’équilibre du pouvoir.
Marier les sciences modernes aux savoirs traditionnels autochtones. Voilà l’une des façons de décoloniser les soins et de mieux servir les Premières Nations. Depuis la mort de Joyce Echaquan, à l’hôpital de Joliette, en 2020, notre point de vue est sollicité et écouté. Je collabore avec des établissements de santé afin que les patients autochtones se sentent davantage en confiance. Les soignants doivent être conscients de leurs propres préjugés et apprendre à mieux interagir avec eux. Nous gagnerions tous à ce que les futurs professionnels de la santé soient sensibilisés à ces réalités pendant leur formation. J’y travaille avec la Chaire de recherche autochtone en soins infirmiers au Québec (CRASIQ), de l’Université de Montréal.
Photo : Isabelle Potvin / Poz photographieReconnaître les droits et les territoires ancestraux. Ce serait la preuve d’un respect mutuel entre les peuples. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en souligne l’importance. Le Canada y a adhéré en 2021. Le Québec devrait faire de même.
Protéger les femmes des Premières Nations et les Inuites. Par cette déclaration, les États s’engagent aussi à protéger les droits des femmes autochtones. Il faut alors suivre toutes les recommandations de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, dévoilées en 2019. [NDLR : financer des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence dirigées par des Autochtones, créer des organismes civils autochtones de surveillance de la police lors des enquêtes concernant des personnes des Premiers Peuples, etc.]
S’assurer que les services publics québécois répondent à nos besoins. La Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (commission Viens), menée en 2019, a conclu qu’une forme de discrimination persistait à l’endroit des Premiers Peuples. Celle-ci se manifestait dans l’ensemble des services que l’État rend aux Autochtones, comme la justice, les services correctionnels et policiers, la santé, les services sociaux et la protection de la jeunesse. Cela doit changer.
Centre national pour la vérité et la réconciliation nctr.ca
Mythes et réalités sur les peuples autochtones (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) cdpdj.qc.ca
Tourisme Autochtone Québec tourismeautochtone.com
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