Société

Femmes autochtones disparues et assassinées: qu’est-ce qu’on fait maintenant?

Après avoir recueilli les témoignages de plus de 1500 personnes, les commissaires de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées ont remis leur rapport lundi. Loin d’être une fin en soi, cette étape marque le début d’une démarche pour faire cesser la discrimination envers les Autochtones et rendre justice aux victimes.

Rhiannon Bennett, Tanya Holyk et Sophie Merasty assistent au dépôt du rapport, le 3 juin. Photo: Presse Canadienne / Darryl Dyck

Ce rapport n’accumulera pas la poussière sur une tablette. Le Premier ministre Justin Trudeau l’a promis et l’association Femmes autochtones du Québec et sa présidente Viviane Michel s’en assureront. «L’Enquête nationale a semé des graines, elle a éveillé des consciences. Maintenant, les gouvernements ont le devoir d’agir. Les femmes doivent être en sécurité et les familles doivent être crues lorsqu’elles dénoncent une disparition, insiste-t-elle. On doit regagner une confiance envers le système de justice.»

Plusieurs des quelque 200 recommandations du rapport vont dans ce sens. On trouve entre autres la création d’un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones, d’un tribunal des droits Autochtones et d’un organisme de surveillance indépendant des corps de police, qui doit avoir le pouvoir de faire enquête sur les cas de négligence ou d’inconduite des agents. Ces appels à la justice ne sont pas optionnels selon les commissaires, qui considèrent que les gouvernements fédéral et provinciaux ont l’obligation d’adopter de telles mesures s’ils souhaitent respecter les lois nationales et internationales, qui les obligent à protéger tous leurs citoyens, sans discrimination.

Les commissaires demandent aussi au gouvernement de mieux répondre aux besoins essentiels des Autochtones, notamment en rénovant les logements des réserves et en assurant aux communautés un accès à des services de santé accessibles et adaptés à leur culture. Ils demandent également un changement de mentalités dans les services de la protection de l’enfance, où, estiment-ils, les préjugés conduisent trop souvent à la prise en charge d’enfants sans raison valable et à leur déracinement de leur communauté.

Génocide ou pas?

Dans leur rapport, les commissaires n’ont pas hésité à qualifier la situation des Autochtones, et plus particulièrement des femmes, de génocide. Le terme, employé des dizaines de fois, frappe l’imaginaire. Après avoir soigneusement évité d’y faire référence lors du dépôt du rapport de l’Enquête nationale, lundi, le Premier ministre Justin Trudeau a finalement accepté de prononcer le mot controversé pendant la conférence Women Deliver, à Vancouver. «Nous acceptons les conclusions de la commission, y compris celle affirmant que tout ce qui s’est produit représente un génocide», a-t-il spécifié.

Pour l’anthropologue et ethnologue autochtone Isabelle Picard, l’emploi du mot est justifié, surtout si l’on se fie à la définition de l’Organisation des Nations unies, qui qualifie de génocide toute atteinte sévère aux institutions d’un peuple. «Bien sûr, on ne parle pas ici d’un génocide immédiat de masse, comme au Rwanda, mais il s’agit tout de même d’une action planifiée à travers le temps pour éliminer et assimiler un peuple», indique la chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal. Elle cite entre autres les stérilisations forcées, les pensionnats et la Loi sur les Indiens, qui, jusqu’en 1985, privait les femmes autochtones de leur statut si elles marient un Blanc.

«Avant, les femmes avaient un rôle important dans leur communauté et prenaient part aux décisions. Cette loi ne fait pas que rendre leur statut dépendant de leur état matrimonial, elle les empêche de participer à la vie politique du clan», explique-t-elle.

La commissaire en chef Marion Buller et les commissaires Brian Eyolfson, Qajaq Robinson et Michèle Audette, quelques minutes avant de déposer leur rapport, le 3 juin dernier. Photo: Presse Canadienne / Adrian Wyld

Le rapport de l’Enquête nationale souligne que ces injustices ne font pas seulement partie du passé et qu’elles ont encore des répercussions aujourd’hui, ce qu’appuie Isabelle Picard. «Je n’ai jamais mis les pieds dans un pensionnat, mais j’en ai tout de même ressenti les effets puisque mon père y est allé. Ce déracinement change à long terme la relation d’une personne et de ses descendants avec leur communauté. On a l’impression de ne pas être vraiment autochtone parce qu’on connaît moins bien la culture.»

La réparation de ce lien passe selon elle par la transmission de la culture, qui apporte un sentiment d’appartenance aux nouvelles générations. «Moi-même, quand j’ai réappris l’art du perlage [broder de petites perles de couleur sur des vêtements ou des bijoux] à 25 ans, en cours du soir, je me suis sentie tellement plus forte, plus fière.» Différentes communautés ont à cette fin mis sur pied des camps d’été où les Anciens apprennent aux plus jeunes les techniques ancestrales, la chasse, la survie en forêt, la connaissance des plantes. «Ces initiatives ont fait leurs preuves, mais sont malheureusement trop peu financées», se désole Isabelle Picard.

Comment réparer?

Toute la société doit d’abord reconnaître ses torts collectifs, croit la présidente de la Fédération des femmes du Québec, Gabrielle Bouchard. «Ça ne sert à rien de tenter de négocier à la baisse les constats de l’Enquête nationale. Des torts ont été causés et il faut l’admettre. Même dans les mouvements féministes, on a trop souvent exclu les femmes autochtones de nos revendications, que ce soit pour le droit de vote ou contre la violence conjugale. Aujourd’hui, on va les soutenir de toutes nos forces», dit-elle.

Cette aide venue des non-autochtones est la bienvenue. «Je suis très reconnaissante envers les Québécois et les Canadiens qui participent à nos vigies et nos marches depuis quelques années, confie Viviane Michel. Leur présence a un impact fort. Elle montre au gouvernement que tous les citoyens se sentent concernés par les problèmes que vivent les Autochtones.»

Elle attend avec impatience les engagements des différents chefs de partis et sera là pour leur rappeler, après les élections de cet automne, de tenir leurs promesses.

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