Ma parole!

Quand le couple se meurt

Chaque automne, Geneviève Pettersen constate que plusieurs couples se séparent. Et cela ravive en elle la douleur de sa propre séparation d’avec le père de sa première fille.

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C’est immanquable. On dirait que l’été qui s’en va emporte les couples qui se meurent. Autour de moi, les corps tombent. Je regarde ça aller et je me rappelle que je suis morte une fois moi aussi. Ça fait longtemps, mais je me souviens encore très bien du sentiment qui m’habitait à l’époque. L’impression que le tapis me glisse sous les pieds. Et l’abîme. Un abîme dans lequel je m’enfonce à mon corps défendant.

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Photo: iStock

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Je me rappelle quand il est parti. Je n’ai pas pleuré. J’étais en état de choc. Très vite, j’ai activé la fonction pilote automatique de l’existence. Je me levais le matin et je me maquillais trop. Je faisais déjeuner ma fille âgée d’un an et demi. En fait, c’est ma mère qui s’en chargeait. J’ouvrais Skype et elle parlait avec mon bébé pendant que je me beurrais le visage de mascara et de cache-cernes bien épais. «Elle veut un verre de lait», ma mère disait. Une chance qu’elle était là. Même virtuelle, c’était une présence rassurante, l’incarnation momentanée de la stabilité et du réconfort.

Après le déjeuner, on se faisait avaler par le métro. Deux correspondances plus loin, je déposais ma fille à la garderie et je travaillais toute la journée avant de la reprendre beaucoup trop tard et de refaire ce chemin de croix en sens inverse. Je la couchais de bonne heure pour pouvoir grimper sur mon elliptique. Debout sur la machine, j’essayais de brailler. Je n’étais pas capable malgré la musique triste qui hurlait dans mes écouteurs. Je ne sentais rien. Aucune émotion. Le vide m’avalait. Je ne ressentais même plus la faim. Je me mettais des alarmes qui me rappelaient que c’était l’heure de nourrir mon corps désormais émacié.

Ma psy me disait que je souffrais d’une espèce de choc post-traumatique. Traumatique de quoi? je me demandais. Traumatisme de la vie, sans doute. Je souffrais d’une désillusion générale face à l’existence. Ma famille nucléaire avait été désintégrée. Le portrait parfait que je m’évertuais à dessiner était barbouillé de larmes, de reproches et d’insatisfactions. Rien ne pourrait l’arranger. Il était complètement gâché. Ma vie rêvée avait éclaté en mille miettes et des éclats de rupture me lacéraient le dessous des pieds à chaque pas en avant.

Dans les livres sur la rupture, on dit que ça prend deux ans pour s’en remettre. Je grossis le trait, mais c’est un peu comme les étapes du deuil. Tout d’abord il y a le déni. Après viennent la colère, le chantage, la dépression et l’acceptation. J’ai traversé tout ça, mais la douleur, la douleur de la perte je parle, je n’ai jamais réussi à complètement l’éradiquer. Ma chair en est encore imprégnée. Suffit que l’automne réapparaisse pour que je m’en souvienne et que ça recommence à me faire mal en dessous des pieds. La douleur est là, sournoise. Quasiment aussi forte qu’avant. Tout ce temps-là, elle attendait juste de ressurgir. Elle me retourne l’estomac. Elle me donne la nausée et me réveille la nuit. C’est mon membre fantôme.

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Pour réagir sur Twitter: @genpettersen
Geneviève Pettersen est l’auteure de La déesse des mouches à feu (Le Quartanier)

 

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