Société

Pourquoi j’ai accouché à la maison

De plus en plus de femmes font le choix d’accoucher à la maison. Pourquoi? Geneviève Pettersen raconte son expérience et creuse la question.

Juin 2006. Je suis assise sur la terrasse d’une maison de Provence. Mon copain et moi avons échangé notre petit appart du Centre-Sud de Montréal contre celui, immense, d’un professeur aixois. Sous le soleil, je tiens dans mes mains un test de grossesse positif. La première pensée qui me vient, c’est la peur. La peur d’accoucher.

Une affaire grosse comme un melon d’eau va me passer entre les deux jambes. Je vais souffrir, peut-être bien même mourir. Tout à coup, des scènes des Filles de Caleb rejouent dans ma tête – surtout celle où Émilie Bordeleau met Blanche au monde dans un banc de neige.

Jeune mère et son nouveau-né

Photo: Marta Locklear/Stocksy

 

Cette idée m’a hantée tout au long de ma première grossesse. Dès le départ, il était clair que j’aurais recours à la péridurale. J’ai même jonglé avec l’idée d’une césarienne sur demande. Je ne voulais tellement pas souffrir que, si on m’avait annoncé que l’injection se faisait directement dans la cornée, je l’aurais voulue quand même. À l’époque, si quelqu’un m’avait dit que je donnerais naissance à mes deux autres enfants à la maison, je l’aurais traité de fou.

Je n’ai pas grand souvenir de mon premier accouchement en milieu hospitalier, sauf celui d’avoir attendu désespérément qu’on soulage ma douleur. Branchée sur le moniteur, je voyais arriver chacune de mes contractions. Je me raidissais, je luttais et tout mon corps se braquait contre cette agression. Jamais je ne me suis sentie aussi impuissante que face à la force incontrôlable qui s’était emparée de moi.

Je me rappelle avoir quitté l’hôpital avec la ferme intention de ne jamais y retourner pour enfanter. Pas que le personnel avait été bête, incompétent ou ne m’avait pas fourni des soins de qualité. Non. Je ne voulais pas y remettre les pieds parce que je sentais confusément qu’il existait un endroit où je pourrais donner la vie d’une façon qui me ressemblait plus. J’ignorais alors qu’il était possible de le faire dans l’intimité de ma chambre à coucher.

 

Geneviève Pettersen et son poupon

Photo: Geneviève Pettersen

Un espace à soi

J’ai décidé que mon deuxième rejeton naîtrait à la maison après avoir suivi les cours de préparation à la naissance donnés au CSSS Jeanne-Mance, à Montréal. On y expliquait aux futurs parents quelles mesures étaient mises en œuvre pour assurer la sécurité de la maman et du bébé. Ça m’a rassurée. La sage-femme Alice Montier m’a appris que j’étais loin d’être la seule à désirer voir naître ses enfants autrement. Statistiquement parlant, le nombre d’accouchements qui ont lieu en dehors du cadre hospitalier – et à la maison en particulier – est en hausse dans notre province. En 2007, le Québec comptait huit maisons de naissance. En 2016, il y en a 11. Selon les sondages, 26 % des femmes souhaiteraient mettre leur petit au monde ailleurs qu’à l’hôpital. « Seulement 2,6 % des accouchements au Québec sont pratiqués par des sages-femmes », a-t-elle indiqué. C’est donc dire qu’en ce moment la demande dépasse largement l’offre. Impossible par contre de connaître le nombre précis de bébés qui ont vu le jour à domicile, mais ce serait moins de 1 %, selon l’historienne Andrée Rivard, chercheuse associée à la Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, Savoirs et Sociétés, et chargée de cours à l’UQTR.

Quand ma fille Sophie est née dans mon lit, en décembre 2009, j’ai su que j’avais trouvé la bonne façon de faire. La bonne façon pour moi, je tiens à le préciser. Parce que c’est très personnel, un accouchement. Très intime aussi. Et c’est de cette intimité que j’avais été dépouillée à l’hôpital, je l’ai compris après coup. Chez moi, j’ai pu m’installer pour être vraiment à l’aise. Pas de moniteur pour annoncer la douleur à venir. J’ai dû faire confiance à mon corps et suivre son rythme, même si c’était loin d’être une partie de plaisir par bouts. Même constat pour mon fils né l’an dernier.

 

Geneviève Pettersen et son poupon

Photo: Geneviève Pettersen

Tu enfanteras dans la douleur

Comment ai-je pu passer d’une peur phobique de la douleur à un accouchement sans anesthésie ? Pour être honnête, je me le demande encore. J’ai longtemps eu des préjugés envers celles qui choisissaient d’accoucher avec des sages-femmes. « Des hippies avec des robes en terre cuite… »

Pourtant, de plus en plus de futures mamans font ce choix. C’est le cas d’Anne-Marie Laflamme, 32 ans, designer et copropriétaire d’atelier b., qui m’a reçue chez elle. Avec son ventre rebondi, elle m’a conduite au jardin où ça sentait bon le lilas. Elle m’a alors expliqué que, pour elle, il était hors de question d’accoucher à l’hôpital. « J’y ai eu de mauvaises expériences. Je ne m’y sens pas en sécurité. C’est stressant et j’ai toujours l’impression que je vais perdre le contrôle. J’ai le sentiment qu’on ne m’explique pas bien les choses et qu’on ne me donne pas d’option. Je n’aime pas ça. » Et la souffrance ? « Elle ne me fait pas peur. C’est une douleur avec un but, une douleur positive en quelque sorte. Accoucher, ce n’est pas une maladie. » Elle affiche une assurance dont j’étais loin de faire preuve lors de ma première grossesse.

Geneviève Vigneault, 35 ans, copropriétaire d’une agence créative, voulait quant à elle rester aux commandes. « Chez nous, je pouvais contrôler l’environnement et les gens présents. Aménager la maison pour l’accouchement m’a aussi préparée à l’arrivée de mon bébé, confie-t-elle. Je voulais créer un espace doux, accueillir mon enfant dans la simplicité, entourée de personnes qui me sont chères. »

Le confort du nid familial est rassurant pour plusieurs, d’après Alice Montier. « On est entouré d’objets connus. C’est sans doute ce qui pousse les femmes à souhaiter y voir naître leur petit. » En tout cas, c’est pour cette raison qu’Éloïse Gaudreau, 35 ans, coordonnatrice d’un organisme communautaire, a préféré son chez-soi à la maison de naissance. « Je n’avais pas envie de m’habiller, de sortir, de monter dans l’auto, bref de changer de lieu. Lors de ma première grossesse, je n’avais vraiment pas aimé vivre mes contractions dans la voiture. Je voulais être dans mes affaires. Cette fois-ci, j’ai accouché dans mon lit, fait du « peau à peau » avec mon nouveau-né en laissant le cordon attaché. Mon chum m’a préparé un grilled cheese, puis j’ai pris ma douche pendant que bébé faisait connaissance avec son papa. »

 

Geneviève Pettersen et son poupon

Photo: Geneviève Pettersen

On n’arrête pas le progrès

Quand on parle d’accoucher à la maison, il entre en jeu autre chose que l’intimité et le sentiment de pouvoir. Toutes les femmes à qui j’ai parlé m’ont dit que c’était une façon de se réapproprier quelque chose, de reprendre en main cet acte profondément ancré dans la psyché féminine.

Annie Desrochers, animatrice du 15-18 à ICI Radio-Canada Première, a mis au monde quatre de ses cinq enfants chez elle. « Parfois avec l’aide d’une sage-femme, et parfois non,précise-t-elle. Choisir d’enfanter seule, c’est un long parcours de responsabilisation. On comprend que c’est dans le silence et l’intimité qu’on se sent le plus en sécurité. » Elle va plus loin : pour elle, c’est un acte de la vie quotidienne qui, à la limite, n’a nullement besoin d’être pris en charge. « On réalise à quel point on a pu être dépossédée et infantilisée pour des raisons n’ayant rien à voir avec le bien-être de la maman et du bébé. Donner naissance de façon autonome, c’est affirmer que l’enfantement nous appartient et qu’il n’a pas à être un acte professionnel réservé aux médecins ou aux sages-femmes. »

Alors, pourquoi donc donner la vie à domicile est-il perçu par la majorité des gens comme un risque, voire un geste dépassé ? Pour Andrée Rivard, c’est parce que nous sommes prisonniers du supposé mythe du « progrès ». « Il nous amène à nous imaginer que tout ce qui est scientifique est nécessairement une avancée, explique l’auteure d’une Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne. Nos mères et nos grands-mères nous ont légué des croyances par rapport aux dangers de l’accouchement. Elles ont été soumises à un discours de peur qu’elles ont intériorisé, à une époque où il était à la mode d’être moderne. Ainsi, de génération en génération, on a été convaincues qu’enfanter à l’hôpital était non seulement bien mieux, mais que c’était en fait le seul choix raisonnable… »

Certes, quand je raconte avoir accouché deux fois à la maison, on me lance des regards incrédules. Mais quand j’explique comment ça s’est passé, en général les perceptions changent. Et puis, il y a certains critères à respecter pour pouvoir mettre son enfant au monde chez soi avec l’aide d’une sage-femme – le plus important d’entre eux étant sans doute que la grossesse se déroule sans anicroche afin d’éviter le plus possible les risques de complications.

Pour ma part, donner naissance de cette façon m’a révélé une évidence : cet acte est naturel. Alors, pourquoi est-ce que ça devrait être compliqué ?

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