Quand on demande à Sandrine Gierula ce qu’elle veut faire plus tard, la jeune femme hésite, songeuse. Elle a tout juste 20 ans, mais son existence est déjà bien remplie. L’étudiante en droit international jongle sans cesse avec ses obligations scolaires, son documentaire sur les impacts des changements climatiques en cours de production et ses nombreux engagements écomilitants. « Je pense que la difficulté avec laquelle ma génération devra sans doute composer toute sa vie, c’est l’incertitude face à l’avenir. C’est ironique parce qu’on s’appelle les “Z”, la dernière lettre de l’alphabet… Et des fois, c’est un peu ça: ce qui nous attend a des airs de fin du monde », explique t-elle en pesant bien ses mots. À l’image de bien d’autres jeunes de son âge – le nombre grandissant de moins de 25 ans qui prennent la rue depuis quelques mois en témoigne –, Sandrine est fortement ébranlée par la crise environnementale. Ça se perçoit d’ailleurs dans sa voix lorsqu’elle en parle. Son ton assuré vacille par moments, trahissant, le temps de quelques secondes, les inquiétudes qui l’habitent. Tiraillée entre son angoisse profonde face à l’avenir et son impatience de voir les choses bouger, la jeune femme n’hésite toutefois pas à passer aux actes. Que ce soit par son alimentation végétarienne, son emploi étudiant dans une boutique écolo ou ses modes de transport quotidiens, Sandrine Gierula s’attelle de son mieux à bâtir un monde meilleur. « J’ai quand même espoir qu’on arrive à changer le cours de l’histoire et qu’on s’y prendra à temps, précisetelle, souriante. Après tout, un jour, ce sont nous qui serons au pouvoir! On ne pourra pas toujours ne pas nous écouter.»
Une jeunesse plurielle
La suite lui donnera sans doute raison. Au Québec, les Z – ceux qui sont nés après 1993 et dont font partie les jeunes qui auront 20 ans en 2020 – représentent un peu plus de 20% de la population. Une proportion qui leur conférera bientôt un véritable poids, notamment vis-à-vis des baby-boomers qui, jusque-là, occupaient une vaste part des débats de société. En outre, leur arrivée massive sur le marché du travail et dans le domaine public provoque déjà une onde de choc, comme l’a prouvé la dernière campagne électorale fédérale, où l’environnement a finalement réussi à se tailler une place.
À l’aube de la vie adulte, cette génération est toutefois particulièrement hétérogène, ce qui n’était pas le cas de celles qui l’ont précédée, selon Diane Pacom, sociologue et professeure émérite à l’Université d’Ottawa, qui s’intéresse aux espoirs et aux déboires de la jeunesse depuis plus de 40 ans. «Peut-être est-ce la faute du numérique, mais on est vraiment à l’ère des tribus! Et celles-ci s’en vont dans tous les sens: il y a les progressistes, bien sûr, mais on constate chez les jeunes un certain retour aux valeurs traditionnelles, voire à une forme de conservatisme. Ce qui fait qu’on ne peut pas considérer les Z avec un regard unique», explique-t-elle. Compliqué, donc, pour les experts de poser un réel diagnostic sur la génération montante. Difficile aussi de prévoir quelle sera sa véritable portée sur le monde en devenir. «Il importe de rester prudent lorsqu’il est question de générations, parce que ça demeure un concept flou. Mieux vaut éviter de faire des généralisations. Cela dit, il est quand même possible d’effectuer des recoupements. Je pense ici à la montée de l’angoisse ou encore à cette facilité à accepter l’Autre sous toutes ses formes», souligne pour sa part Natasha Blanchet-Cohen, professeure au Département des sciences humaines appliquées de l’Université Concordia et co-titulaire de la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec. Vécue à plus ou moins grande amplitude, cette ouverture transcende d’ailleurs tous les aspects de la vie des jeunes de 20 ans.
Génération d’ouverture
Cette bienveillance naturelle teinte les relations interpersonnelles des jeunes, mais aussi le regard qu’ils posent sur le monde qui les entoure. Ils sont souvent bien conscients de leurs privilèges, ce qui leur donne une sensibilité inédite à l’égard de ceux qui ont moins de chance qu’eux, ajoute la chercheuse. « En 2020, tu peux être qui tu veux, lancent d’une même voix Julia et Florence Larose. L’important, c’est ce que tu fais, pas ce que tu es!» C’est ainsi que les jumelles, qui auront 20 ans en août prochain, résument le sentiment général de leurs pairs par rapport à la différence. « Mes amis ont très bien réagi quand je leur ai annoncé que j’étais attirée par les filles, illustre Florence, sous le regard entendu de sa sœur. Pour eux, ce n’était qu’une information parmi d’autres.» Cette empathie, Khate Lessard, 23 ans, l’expérimente tous les jours depuis le début de sa transition. La jeune femme trans – qu’on a pu découvrir comme candidate à Occupation double l’automne dernier – a amorcé un processus de changement de sexe en 2017. «Bien sûr, des commentaires négatifs, il y en aura toujours. Mais de manière générale, je dirais que les jeunes de mon âge sont surtout curieux et veulent réellement comprendre, me comprendre», dit-elle. C’est ce qui rend cette génération rafraîchissante, selon l’autrice féministe Martine Delvaux, professeure au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. « Ils sont exposés aux différences depuis leur arrivée au monde, ce qui fait qu’aujourd’hui, ils ont une ouverture sincère vis-à-vis des identités sexuelles et de genre, par exemple, dit-elle. Une meilleure compréhension aussi du féminisme et des rapports de force qui existent toujours. C’est encourageant pour la suite, parce que, s’il reste encore des batailles à mener, on commence enfin à voir qu’il y a tout de même des acquis! »
Pour cette mère d’une fille de 16 ans, il est d’ailleurs évident que les jeunes d’aujourd’hui ressentent une angoisse immense qui les empêche par moments de se projeter dans l’avenir. « Ils avancent dans un monde aux limites plus claires que jamais, mais qui, en même temps, est fait de mille possibles, fait-elle remarquer. Un monde qui change, mais jamais assez vite ! Parfois, j’ai l’impression qu’ils en portent tout le poids sur leurs épaules. Vous imaginez la pression? »
Rencontrée à quelques semaines de son 20e anniversaire de naissance, Marielle Auger renchérit. «On est une génération qui papillonne, qui refuse de se caser, expose-t-elle avec sérieux. Je ne pourrais pas dire si c’est parce qu’on ne sait pas ce qu’on veut ou parce qu’on le sait trop… Mais j’avoue que, des fois, j’ai le sentiment d’avoir tellement peu de contrôle sur l’avenir que ça me donne le vertige. »
Difficiles projections
Chose certaine, qu’elles se manifestent dans la rue, sur les bancs d’école ou sur le marché du travail, la fougue et la lucidité tranchante de cette nouvelle jeunesse bousculent et poussent ceux qui la côtoient jusque dans leurs derniers retranchements. «Qu’on le veuille ou non, elle va nous forcer à avancer, s’enthousiasme Natasha Blanchet-Cohen. Après tout, c’est son avenir qui est en jeu. Et il est plus précaire que l’était le nôtre.»
Marielle Auger confie avoir longtemps tergiversé avant d’arrêter son choix de carrière sur la médecine, qu’elle étudie actuellement à l’Université de Sherbrooke. « Une décision qui m’a énormément stressée, lâche-t-elle. Encore aujourd’hui, je m’interroge souvent sur ma capacité à faire la même chose toute ma vie. C’est pourtant ce que mes parents et les gens de leur génération ont fait, mais étaient-ils toujours heureux dans leur travail? Je ne sais pas. Alors si on me demande de me projeter… Ouf! »
Les nouveaux vingtenaires tergiversent, peinent à se poser, et ce, dans toutes les sphères de leur existence. «Est-ce surprenant? Pas vraiment. C’est ce qui caractérise la jeunesse! » lance sans équivoque Carol Allain, auteur des livres Le choc des générations et Génération Z (Éditions Château d’encre). Le plus récent rapport d’Academos, un organisme à but non lucratif qui propose une application de mentorat virtuel aidant à trouver un métier, lui donne d’ailleurs raison. Dans La génération Z du Québec et sa vision du milieu du travail, on mentionne en effet qu’une grande partie des jeunes sont inquiets face au marché de l’emploi. Ils se sentent peu outillés, mais tout de même confiants quant à leurs chances de dénicher un boulot.
Des certitudes bousculées
Qui plus est, ces jeunes vivent à une époque de pénurie de main-d’œuvre, ce qui leur laisse les coudées franches et leur donne un sentiment de liberté exaltant. « Je n’ai pas peur de ne pas travailler, mais je me demande pour qui je vais travailler et sur quoi, explique Florence Larose, qui a choisi de s’orienter en communication à l’université. Je crains de me tromper, de ne pas aimer ce que je vais faire et de devoir retourner en arrière. C’est tellement important comme décision! »
Les employeurs devront d’ailleurs faire preuve de beaucoup d’inventivité pour attirer, mais surtout retenir ces nouveaux travailleurs, estime Carol Allain, qui analyse les habitudes générationnelles depuis plus de 10 ans. «Les Z sont sensibles à l’écoresponsabilité et à la justice sociale… Ils désirent faire avancer les choses. À mon avis, c’est de ce côté que les entreprises devraient miser si elles souhaitent se démarquer.»
Individualisme solidaire
Car elle est là, la particularité de cette génération. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont jamais été aussi sensibles aux maux planétaires. Il faut dire qu’ils ont grandi avec le monde entier à portée de clics, le numérique étant au cœur de leur ADN générationnel. Cette omniprésence des réseaux sociaux est d’ailleurs très déstabilisante pour leurs parents. «Nous avons deux générations qui vivent dans des univers complètement différents, décrit la sociologue Diane Pacom. Ça peut rendre les dialogues un peu difficiles…»
Au cours des dernières années, de nombreux mouvements nés sur le web ont pourtant trouvé écho dans les rues, témoignant chaque fois de la solidité des liens tissés sur ces réseaux. Certains d’entre eux ont même réussi à se hisser jusque dans l’antichambre du pouvoir, ce qui a forcé une réelle remise en question des manières de faire actuelles. On pense ici à la déferlante de solidarité créée en marge de #MoiAussi, par exemple, ou, plus récemment, au mouvement citoyen en faveur de l’environnement.
On a parfois du mal à saisir ce que c’est de passer toute sa vie en présence d’un réseau social comme Facebook ou Instagram, qu’on voit comme très froid et impersonnel, observe Martine Delvaux, autrice de l’essai Le boys club (Les Éditions du remue-ménage). «Le défi pour nous est de comprendre que la collectivité existe toujours, mais qu’elle s’incarne différemment à l’ère du numérique, dit-elle. De toute façon, c’est la manière de faire des jeunes et on n’aura pas d’autre choix que d’apprendre à vivre avec. Parce que l’avenir –quel qu’il soit –, ce sont eux qui le bâtiront!»