Vous aimez l’indie rock et les thrillers suédois. Depuis quelques jours, un divan italien vous fait de l’œil sur un site de déco. Vous rêvez d’aller à Bali, mais vous avez acheté un forfait Varadero…
Une entreprise bien organisée peut tout savoir de vous. Car votre tablette, votre fil Facebook, vos épingles Pinterest permettent de voir les sites que vous fréquentez, les trucs que vous convoitez, les produits que vous aimez. Le téléphone intelligent que vous traînez partout permet même de suivre vos déplacements dans un centre commercial.
Affolant ? « Personne ne se terre dans les sous-sols de Google pour vous espionner », nuance Jacques Nantel, professeur de marketing à HEC Montréal et auteur de On veut votre bien, on l’aura. « Ce n’est pas votre vie privée qui est en cause. Tous ces renseignements servent à établir, en quelque sorte, votre ADN de consommatrice. »
Le but : vous amalgamer à quelques centaines d’autres qui vous ressemblent comme des sœurs (eh non ! personne n’est unique). Pour pouvoir, par exemple, vous offrir des produits que vos clones ont déjà achetés mais que vous ne connaissez pas encore… Amazon, qui salue chaque internaute par son nom avant de lui offrir une ribambelle de produits conçue sur mesure pour lui, est un champion de ces techniques de filtrage collaboratif.
Un cerveau sous influence
La consommation en ligne est en train de tout changer. Et dans les deux sens, croit Kit Yarrow, psychologue spécialiste de la consommation à la Golden Gate University de San Francisco, en Californie. Ce qui l’intéresse, elle, ce n’est pas ce que vous faites avec la technologie, c’est ce que la technologie fait à votre cerveau. Quelques-unes de ses observations : le consommateur d’aujourd’hui est accro à la nouveauté et il fait plus confiance à l’avis de gens comme lui qu’à celui d’experts (d’où le succès de sites comme Trip Advisor), et il n’a plus de patience. Une file d’attente à la caisse ? Au revoir. Un mode d’emploi de trois pages ? Non merci. Il pense plus rapidement, scanne l’info à toute vitesse, adore les images et les symboles, souffre de déficit d’attention et d’une maladie qu’elle a baptisée « le IWWIWWIWI » (I want what I want when I want it), qu’on pourrait traduire par : « Je veux ça, bon. Et tout de suite. »
Et puis, explique-t-elle, le pauvre cerveau, constamment bombardé de stimuli de toutes sortes, déclare forfait. Et c’est l’inconscient qui prend le relais.
La pub de l’inconscient
Vous ne jurez que par Tide. Ou Apple. Ou Michelin. Pourquoi ? Voilà plus de 100 ans que les spécialistes du marketing font des sondages, organisent des groupes de discussion et conduisent de savantes analyses pour le comprendre. Que les manufacturiers se basent sur vos réponses pour mettre au point une nouvelle variété de biscuits ou la voiture que tout le monde veut.
Et ils ratent leur coup plus souvent qu’autrement. Plus des trois quarts des nouveaux produits s’écrasent quelques mois après leur lancement. Deux célèbres exemples parmi d’autres : le Coke « nouveau », élaboré pendant des années par des gourous de la bulle sucrée, a crashé spectaculairement en 1985. Quant au Segway, cette espèce de trottinette électrique censée révolutionner le transport piétonnier, il n’a jamais décollé. Chaque fois, des fortunes sont jetées par les fenêtres.
Ce serait fini ce temps-là, grâce au neuro-marketing, une nouvelle science appelée à révolutionner la vie des Don Draper du 21e siècle. Il y a une dizaine d’années, des spécialistes du marketing et des neuro-scientifiques ont commencé à coiffer des volontaires d’électrodes ou à les coincer dans des scanners avant de les bombarder de logos ou de messages publicitaires.
Les résultats les ont estomaqués. « Nous avons passé des décennies à demander au consommateur s’il préférait Coca-Cola ou Pepsi et pourquoi », écrit Martin Lindstrom, un gourou du marketing, dans Brandwashed, l’un des nombreux bouquins qu’il a commis sur le sujet. « Mais il ne le sait pas ! Plus de 80 % de la décision est prise par son inconscient. »
Émotions en tête
Le cerveau humain est une bestiole complexe. Des milliards de cellules reliées par des trilliards de connexions. Mais il est quand même constitué de trois couches principales, apparues l’une après l’autre au fil des millions d’années d’évolution qu’il a fallu pour le développer. Vous et moi passons notre vie consciente en compagnie de notre néo-cortex, la structure la plus récente et la plus évoluée des trois. C’est le néo-cortex qui décode la recette du risotto, qui sait stationner en parallèle et qui se rappelle (peut-être) comment résoudre une équation à deux inconnues. C’est lui aussi qui, à l’épicerie, essaie de choisir le meilleur pot de beurre d’arachide.
Mais le raisonnable néo-cortex se fait doubler au finish par les émotions (les oursons Kraft me rappellent mes vacances d’enfance chez tante Lucie). Et, surtout, par la partie la plus primitive du cerveau, celle qui contrôle la respiration et le rythme cardiaque, qui « sent » qu’on est suivie dans la rue et qui est attirée comme un aimant par le dernier ensemble Lululemon. « Les études le démontrent, dit Kit Yarrow. On achète une voiture avec laquelle on sent une connexion émotionnelle (allô Fiat 500 !), qui nous représente. Ensuite, on cherche des raisons rationnelles pour justifier notre choix ! »
Le neuromarketing, encore à ses balbutiements, s’affaire à décoder les réactions du cerveau inconscient pour les mettre au service des gens qui nous vendent des trucs. Et ce qu’il découvre est fascinant. Par exemple, que certaines marques fortes (Apple, Ikea, Coca-Cola, Harley-Davidson, Microsoft, par exemple) ont le pouvoir d’activer les régions du cerveau qui, normalement, réagissent aux symboles religieux. Parlez-en à un fan de la sainte Flanelle.
Tout est dans le pif. Pour susciter une émotion (et vous faire sortir votre portefeuille), le son et surtout l’odeur sont beaucoup plus efficaces que l’image. Le parfum de cuir qui se dégage quand on ouvre la portière d’une auto neuve (il provient d’une bombe aérosol), l’arôme (souvent artificiel) de pain sorti du four qui nous attire jusqu’au fond du supermarché. Et l’odeur de vanille, trop subtile pour qu’on la perçoive consciemment, que certaines bannières ont commencé à diffuser dans leurs magasins. Pourquoi la vanille ? Parce que, dit Martin Lindstrom, c’est l’odeur du lait maternel…
Article à lire : Confessions d’accros du shopping.