Chroniqueuse du mois

Des compliments qui font plus de mal que de bien

«La valeur d’une femme, tout comme son droit de s’aimer et de se trouver jolie, n’est pas liée à vos goûts personnels en matière d’apparence physique.» Dans son troisième billet de blogue, Gabrielle Lisa Collard nous parle de l’apparence des femmes.

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Pour ceux d’entre vous qui l’ignorent, je signe un blogue taille plus intitulé Dix octobre. Récemment, une lectrice m’écrivait pour me parler des commentaires qu’elle recevait sur son apparence depuis qu’elle avait perdu du poids. Collègues, voisins, tantes éloignées, tout le monde avait quelque chose à dire. «Ce n’est pas toujours agréable, me disait-elle, et parfois très maladroit.» Mais elle se sentait obligée de dire merci quand même. Pour ne pas paraître impolie.

Nous en sommes venues à nous poser la question: comment ça se fait qu’on soit si sûr qu’une femme (qui n’est pas une proche) a envie et besoin de connaître l’avis de tiers sur sa carcasse, à un point tel qu’on se sent en droit de la juger si elle n’en veut pas?

En y réfléchissant un peu, je suis arrivée à une conclusion super déprimante, comme chaque fois que je cogite sur quoi que ce soit pendant plus de 15 minutes. Parce que la vie, c’est d’même pis que la société est misogyne. Suivez-moi, on va avoir du fun.

En complimentant sur son apparence une femme qui ne nous a rien demandé, on tient pour acquis qu’elle désire forcément nous plaire et que notre opinion sur le sujet est pertinente. Attendre en plus sa reconnaissance renforce même l’idée que sa valeur dépend de l’approbation des autres. Comme si la complimenter était le plus beau des cadeaux et qu’elle nous devait politesse et gratitude. Bien entendu, ça ne se passe pas toujours comme ça dans nos têtes quand on lance des fleurs à une inconnue. Des fois, on veut juste faire plaisir. Mais les bonnes intentions ne changent rien aux faits. Si les compliments étaient exempts de sexisme, on ferait de même avec les hommes, dans la rue, à l’épicerie, à la cafétéria du bureau ou sur le tapis rouge des Oscar. Mais on ne le fait pas. Il ne nous vient même pas à l’idée que les hommes ont besoin que des inconnus vantent leur beauté, et on n’attendrait pas d’eux qu’ils se confondent en remerciements pour ça.

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Le résultat? Des femmes qui se font menacer de mort pour n’avoir pas répondu à un message sur un site de rencontres, harceler dans la rue pour avoir ignoré un «mot doux» beuglé par un passant, traiter de prétentieuses pour n’avoir pas dit merci à un collègue qui leur a lancé un commentaire sur leur silhouette dans un party de bureau. Des fillettes qu’on culpabilise de ne pas avoir souri à un vieux monsieur dans la rue qui leur a dit qu’elles étaient jolies, «parce que c’est pas poli», pis qui vont internaliser l’idée qu’une femme est responsable des sentiments et du désir qu’elle provoque chez les autres. Qu’un compliment, aussi non sollicité soit-il, devient une dette. Je vous laisse pousser le raisonnement jusqu’au bout. (Spoiler Alert : culture du viol.)

Par extension, vous remarquerez que certains croient d’emblée que leur approbation ou leur attirance sexuelle pour une personne a comme par magie valeur de fait scientifique. Ils ne peuvent pas s’empêcher d’établir une corrélation entre leur niveau d’attirance sexuelle envers quelqu’un et le droit de cette personne d’exister et de s’aimer en paix. Comme si leurs sensibilités esthétiques avaient la moindre valeur et méritaient d’être prises en compte par une femme qui essaie simplement de vivre sa vie.

Pourquoi? Parce qu’ici aussi, de façon souvent inconsciente, on croit que la job d’une femme est de plaire physiquement. Aux autres. Ainsi, pour certains, le fait qu’une femme qu’ils jugent laide se trouve belle apparaît comme deux choses inconciliables. Au risque de faire exploser des cerveaux, j’aimerais profiter de cette occasion pour informer les personnes concernées d’un fait fondamental: la valeur d’une femme, tout comme son droit de s’aimer et de se trouver jolie, n’est pas liée à vos goûts personnels en matière d’apparence physique. Incroyable, mais vrai!

À défaut de répondre vraiment à la question que je posais plus haut, je pense que chacun aurait intérêt, peu importe son genre, à se demander plus souvent pourquoi on fait les choses comme on les fait. Pourquoi on scrute autant l’apparence des femmes qui croisent notre chemin. Pourquoi on est si froissé à l’idée qu’une femme, qu’on trouve jolie ou non, n’ait que faire de notre opinion. Pourquoi on perçoit la laideur, dans son infinie subjectivité, comme un affront personnel. Parce que si la santé ne nous est pas due, la beauté nous l’est encore moins.

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