Maison

Une maison verte ? Pas si compliqué que ça

Pour freiner le réchauffement climatique, un virage écolo est plus que jamais nécessaire. Et s’il débutait entre les quatre murs de la maison ?

Les architectes du Studio MMA, à Montréal, ont transformé un duplex en cottage en maximisant l’utilisation des matériaux écologiques. Les poutres, par exemple, sont faites de bois PSL, plus vert. Photo: Studio MMA

Michèle Tessier-Baillargeon et Manuel Laloue rêvaient depuis longtemps d’habiter une maison écologique. En 2014, ils dénichent à Boischatel, près de Québec, une jolie demeure de deux étages en bois rond, entourée de verdure. Seul hic, la belle n’a rien d’écolo. Qu’à cela ne tienne, ils l’achètent tout de même… et se lancent dans les travaux. Les mots d’ordre: réduire, réutiliser et recycler. « Nous voulions que nos rénos aient la plus faible empreinte écologique possible », dit Michèle.

Ils retapent la cuisine et les deux salles de bains, installent un plancher en frêne rustique verni avec de l’huile naturelle, refont totalement le sous-sol… Cinq ans plus tard, la résidence est méconnaissable. Et les nouveaux proprios n’en sont pas peu fiers.

Deux foyers à très haute efficacité remplacent le vieux poêle à bois, des fenêtres écoénergétiques à double vitrage fabriquées au Québec ont pris la place des anciennes, du bois de palette recyclé, trouvé ici et là, sert de comptoirs de cuisine. Et pas un nouvel électroménager n’a fait son entrée sous leur toit. Une vraie habitation « verte », en somme.

Inquiets des mises en garde des experts au sujet du réchauffement climatique, nombre de Québécois, comme Michèle et Manuel, souhaitent apporter leur contribution à la planète, selon Emmanuel Cosgrove, pionnier en matière de construction verte au Québec et directeur général d’Écohabitation, un organisme qui en fait la promotion. « Les gens se rendent compte que l’environnement n’est pas seulement l’affaire des gouvernements et des entreprises privées, dit-il. Nous commençons à regarder, à analyser nos comportements, et à modifier ce sur quoi nous pouvons agir. » Parmi les gestes à faire, plusieurs ont trait à notre chez-soi.

Michèle Tessier-Baillargeon a rénové sa maison en faisant la part belle aux articles usagés ou recyclés. Ci-contre, la salle de bains des enfants : l’armoire de bois, le meuble-lavabo, le miroir, la robinetterie, la baignoire (réémaillée) et les luminaires, tout est usagé. Photo: Michèle Tessier-Baillargeon

À son échelle

Nul besoin d’avoir une propriété complète à rénover pour rendre son milieu de vie plus vert. Des actions à la portée de tous ont des répercussions positives sur notre bilan carbone (voir l’encadré ci-contre). Des exemples? Éteindre les lumières lorsqu’on quitte une pièce, remplacer ses ampoules d’éclairage à incandescence par des DEL, composter, planter des arbres dans sa cour, installer un économiseur d’eau dans le pommeau de douche, renouer avec la corde à linge, baisser le thermostat… Aussi facile que ça!

Le chauffage des bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels représente 10,8 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur le territoire québécois, selon une étude du ministère de l’Environnement du Québec menée en 2016. C’est le secteur le plus polluant, après les transports (43 %) et les activités industrielles (30 %). Ce pourcentage est peu élevé, concède l’architecte Vouli Mamfredis, du Studio MMA, spécialisé dans la construction écologique. « Plusieurs des améliorations qu’on apporte à une maison pour la rendre plus verte visent l’économie d’énergie. Or, celle-ci est en grande partie issue de sources renouvelables, comme l’hydro-électricité et l’éolien », souligne-t-elle. Résultat: réduire ses émissions de GES en se concentrant sur sa résidence est plus ardu ici qu’ailleurs. Aux États-Unis, par exemple, l’électricité provient souvent de centrales thermiques au charbon. L’efficacité énergétique domes-tique revêt alors une tout autre importance.

Doit-on rester les bras croisés pour autant? Que non! Par grand froid, la capacité de production d’Hydro-Québec ne suffit pas toujours à la demande. La société d’État doit alors se tourner vers des réseaux voisins, comme ceux des États-Unis, afin d’acheter de l’électricité produite par des centrales polluantes. En améliorant l’efficacité énergétique de nos maisons, nous aurons aussi moins besoin de nouvelles infrastructures, dont la construction génère des GES.

On l’aura compris, on gagne à bien gérer la température de son intérieur: les coûts du chauffage et de la climatisation représentent 54 % de la facture annuelle d’électricité dans la province, selon Hydro-Québec. Dans ce cas, pourquoi ne pas installer des thermostats intelligents, ces appareils dont la fonction est de faire fluctuer la température tout au long de la journée ? Certains peuvent même être programmés à distance grâce à une application mobile. Cela dit, le simple fait de garnir ses murs de ces dispositifs ne garantit pas à coup sûr des économies, juge Emmanuel Cosgrove. « Ça dépend de l’utilisateur et de sa compréhension de la technologie. Il faut apprendre à bien programmer ces appareils pour en tirer tout le potentiel », prévient-il. Par exemple, chauffer sa chambre à plein régime quand on n’est pas à la maison n’est certes pas judicieux…

Aussi parmi les coupables: le chauffe-eau. Laver la vaisselle, prendre de longues douches, faire sa lessive à l’eau chaude: tout cela est énergivore. À lui seul, le chauffe-eau compte pour 20 % de l’électricité utilisée chaque année par un ménage québécois, selon le Canadian Energy and Emissions Data Centre, groupe de recherche de l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique. Les robinets et les douches sont les plus grands consommateurs d’eau chaude dans une maisonnée, bien avant la laveuse et le lave-vaisselle: près de 60 % ! 

C’est pourquoi l’architecte Vouli Mamfredis recommande de se procurer un récupérateur de chaleur des eaux usées, comme ceux conçus par l’entreprise Power-Pipe. Il récupère la chaleur de l’eau dans le drain de sortie de la douche, de la baignoire ou des éviers. Cette chaleur préchauffe ensuite l’eau froide d’alimentation avant qu’elle arrive au chauffe-eau, réduisant ainsi l’utilisation de ce dernier. Un investissement qui tourne autour de 600 $.

Signée Écohabitation, Edelweiss est l’une des maisons les plus vertes du Canada. Elle consomme notamment quatre fois moins d’énergie que la résidence québécoise moyenne. Photo: Mike Reynolds

Le carbone, c'est quoi?

Partout sur la planète, des États se mobilisent pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Parmi la quarantaine de gaz responsables du réchauffement climatique, le carbone est l’un des seuls à être pointé du doigt. Bernadette Bensaude-Vincent, historienne des sciences, remet les pendules à l’heure. Rejeter toute la faute sur le carbone est simpliste, soutient la coautrice de Carbone – Ses vies, ses œuvres, paru l’automne dernier. Dans cette « biographie » du carbone, elle retrace la riche histoire de cet élément chimique, à la base de toutes les formes de vie connues sur Terre. « Nous ne pouvons pas nous passer du  carbone : il est présent dans tous les domaines de l’industrie et fait partie intégrante de notre histoire, dit-elle. Nous lui devons autant les premières fresques rupestres (charbon de bois) que nos routes asphaltées (bitume). » Pourquoi figure-t-il au banc des accusés ? Parce qu’il est à la base de la mesure étalon pour tous les GES : le bilan carbone. Cet outil convertit chacun des gaz en équivalent carbone, ce qui permet de comparer les GES, ainsi que les activités humaines responsables de leurs émissions. Grâce au bilan carbone, on sait par exemple que 81 % des émissions de GES au Canada proviennent de la production, du transport et de la consommation d’énergie. Le carbone n’est pas mauvais en soi. Ce sont ses concentrations trop élevées qui posent problème. En 2017, le niveau mondial de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère a atteint 406 parties par million (ppm), ce qui est 46 % de plus qu’à l’époque préindustrielle, en 1870 (288,2 ppm). « La course à l’innovation et à la croissance a chamboulé les cycles normaux du carbone. Mais la réalité est que notre économie est basée sur les énergies fossiles et qu’il faut en revisiter les mécanismes fondamentaux afin de combattre les changements climatiques », dit Bernadette Bensaude-Vincent.

Consommer intelligemment

La designer d’intérieur Marie-Pier Bureau, de Québec, sent vraiment un vent de changement dans les préoccupations environnementales de sa clientèle. On lui demande de plus en plus de transformer des milieux de vie afin de les rendre plus écolos. Pour en savoir plus sur la rénovation écologique et mieux l’expliquer, elle s’est elle-même lancé un défi vert. En septembre dernier, elle a acquis un duplex du 19e siècle, dans le quartier Saint-Sauveur, à Québec, et elle a passé les six mois suivants à le retaper de façon écoresponsable. Les travaux font d’ailleurs l’objet d’une websérie en six épisodes, Chantier. En quelques mois, Marie-Pier et son conjoint, Jessy Lebel, ont isolé des murs avec de la cellulose compactée et fabriquée à partir de papier journal recyclé, installé des planchers en ardoise et en chêne rouge (tous deux du Québec), posé des panneaux de gypse constitués de matériaux recyclés ainsi que des thermostats intelligents, en plus de couvrir les murs d’une peinture sans composés organiques volatils (COV), nocifs pour la santé comme pour l’environnement.

« On a voulu pousser la démarche le plus loin possible. Des considérations budgétaires nous ont cependant forcés à faire quelques concessions », précise Marie-Pier Bureau, qui admet que la rénovation écolo comporte un surcoût. Les vieilles fenêtres trônent donc encore à leur place, en attente des éventuelles remplaçantes à triple vitrage certifiées Energy Star®. Ce qui n’est pas bien grave, fait valoir Emmanuel Cosgrove, d’Écohabitation. « Changer les fenêtres n’entraîne pas des économies d’énergie exceptionnelles. Qui plus est, leur fabrication est polluante et leur coût, assez élevé », dit-il. Selon lui, il vaut mieux s’attaquer à l’étanchéité du pourtour des ouvertures de la maison, des plinthes électriques et des prises de courant. Rien de dramatique à laisser la vieille fenestration en place.

Ne rien faire serait donc parfois plus écolo? Cela s’explique par la notion de cycle de vie: une analyse poussée de toutes les étapes liées aux matériaux de construction – de leur fabrication à leur recyclage, en passant par leur -transport. L’examen du cycle de vie peut vite faire pâlir l’auréole écologique d’un produit. C’est le cas du gypse, réputé difficile à recycler – une seule entreprise, Recycle Gypse Québec, le fait dans la province. Même chose pour le plancher flottant, qui est économique, mais dont la surface laminée formée d’une couche de plastique très mince s’use rapidement. Mieux vaut se tourner vers des matériaux plus résistants, comme le bois franc, que l’on choisira certifié par le Forest Stewardship Council, ce qui assure que sa production a été effectuée dans le respect des principes de gestion durable des forêts.

Il est aussi – et toujours – mieux d’opter pour des produits locaux, d’après Emmanuel Cosgrove. « Ils parcourent moins de kilomètres qu’un équivalent de provenance étrangère. » L’ardoise du Québec, donc, plutôt que celle de France ou d’Italie.

Des gestes qui comptent

Si on est bien décidé à rendre sa maison vraiment écolo, pourquoi ne pas remplacer son système de chauffage? S’il fonctionne au mazout ou au gaz naturel – synonymes d’une quantité astronomique de GES –, la question ne se pose même pas: la conversion à l’électricité est une excellente idée. Québec aide d’ailleurs les ménages à convertir leur système de chauffage par l’entremise du programme Chauffez vert, qui offre des subventions de 875 $ à 1 275 $ pour se débarrasser de sa chaudière au mazout. Pour un bungalow doté d’un sous-sol, l’installation de plinthes électriques peut coûter jusqu’à 5 000 $.

Et l’énergie solaire? Il faudra s’armer de patience de ce côté-là, car les investissements requis pour l’achat et l’installation des panneaux pour la produire sont encore trop élevés. Selon une étude récente de l’Office national de l’énergie, le Québec est l’une des provinces où le solaire est le moins avantageux, en raison du bas prix de l’électricité. En attendant que les panneaux solaires deviennent rentables – d’ici quelques années, croient les experts –, Emmanuel Cosgrove recommande de mettre en place toute la quincaillerie nécessaire, lorsque les circonstances s’y prêteront, si on entreprend des rénovations, par exemple. Cela permet d’épargner sur l’installation éventuelle de panneaux solaires tout en augmentant la valeur de la propriété. Le gouvernement fédéral a d’ailleurs publié un guide, Prêt pour le solaire, qui indique la marche à suivre.

Mais de tous les gestes écolos, le plus payant sera toujours le choix de l’emplacement de son chez-soi. « Le lieu où l’on habite a une très grande influence sur la nature et la durée des déplacements quotidiens », conclut Emmanuel Cosgrove. Une décision avisée pour prendre un virage vert. 

Pourquoi on doit agir

Notre journaliste a effectué son bilan carbone pour prendre conscience de l’ampleur de son empreinte écologique. Et ce qu’il a découvert l’a étonné.
Je le concède, je suis un grand pollueur : l’an dernier, j’ai émis à moi seul 11,8 tonnes de dioxyde de carbone (CO2) ! C’est ce que révèlent les calculs que j’ai réalisés sur le site de l’organisme Global Footprint Network, où se trouve un outil qui permet de chiffrer notre impact sur la santé de la planète. C’est presque 5 fois plus que le seuil de 2,5 tonnes que chaque humain devrait respecter afin de limiter le réchauffement climatique à 2 °C d’ici 2050.
Il n’y a pas à dire, je dois faire quelque chose. Une grande partie de mes émissions (environ 60 %) sont produites par mes déplacements en voiture, dans une sous-compacte réputée économique avec laquelle je parcours 26 000 km par année. Une situation commune à la majorité des Québécois, comme l’explique Colleen Thorpe, directrice des programmes éducatifs chez Équiterre. « Les émissions de CO2 attribuables au transport ne cessent de croître, notamment à cause de l’agrandissement du parc automobile et de l’achat de véhicules de plus en plus gros et gourmands », souligne-t-elle. Des 480 000 véhicules neufs vendus en 2017 au Québec, 250 000 étaient des utilitaires sport ou des camionnettes.
Transport branché
Faudrait-il tous se mettre à la voiture électrique ? Oui, estime Patrick Bonin, porte-parole francophone de Greenpeace Canada. Un modèle à essence émet environ 2,5 tonnes de CO2 par tranche de 10 000 km, alors qu’une auto électrique en émet de 65 % à 80 % moins pour une même distance. « Au Québec, notre principale source d’énergie, l’hydroélectricité, est considérée comme renouvelable. Recharger une voiture a donc peu de conséquences sur l’environnement », dit-il. Laisser son véhicule chez soi, pédaler jusqu’au bureau ou opter pour le télétravail permet aussi d’abaisser ses émissions. En plus, on atténue ainsi la congestion routière, qui mène à la construction de nouvelles infrastructures.
Et les déplacements en avion ? Selon la destination, un seul vol émet entre 0,7 et 2,8 tonnes de CO2… C’est suffisant pour plomber le bilan carbone du plus fervent utilisateur de transports en commun ! Soudain, mon escapade outre-Atlantique de l’été dernier me laisse un petit goût amer…
Et tout le reste ?
Dans l’assiette, mon bilan n’est pas reluisant non plus. Décidément… Mon régime comprend beaucoup d’aliments d’origine animale, comme des produits laitiers et des œufs. À l’échelle mondiale, ces produits sont responsables de 60 % des gaz à effet de serre (GES) émis par l’agriculture. C’est énorme. Au moins, je mange peu de viande rouge. La production d’agneau, par exemple, engendre une quantité astronomique de CO2 : 39,3 kg par kilo consommé. Même un seul repas par semaine à base de cette viande représente un coût environnemental de l’ordre de 1 000 kg de CO2 par année… En comparaison, la production de 1 kg de bœuf génère 27,1 kg de CO2 et celle de 1 kg de tofu, 1 kg de CO2.
Depuis peu, je fréquente des épiceries zéro déchet, où je remplis mes contenants réutilisables d’aliments en vrac et de produits ménagers, réduisant ainsi ma consommation de plastique. Qui plus est, je porte dorénavant attention à la provenance de ma nourriture. Une pomme qui vient de la Californie, c’est non !
Je pourrais faire contrepoids à mon mauvais bilan en achetant des crédits de carbone certifiés : pour 30 $ à 50 $, je peux compenser une tonne de mes émissions de GES. Ces crédits sont par la suite transformés en initiatives visant à atténuer notre empreinte carbone. Les plus populaires sont les projets de reboisement, comme Compensation CO2 Québec et Carbone Boréal, affilié à l’Université du Québec à Chicoutimi. Cela dit, planter un arbre n’annule pas l’émission polluante, mais la compense. « On devrait se tourner vers cette option seulement lorsque le geste qu’on veut contrebalancer est inévitable. C’est un moindre mal, en quelque sorte », indique Patrick Bonin. Sans compter que cela nous dispense d’évaluer la portée de nos actions et ne suscite pas de réflexion sur nos comportements. Un exercice difficile, mais qui ouvre les yeux...

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