Culture

La vraie nature de Marie-Lyne Joncas

Elle nous a habitués à des blagues salées et à un humour sans filtre, mais Marie-Lyne Joncas est en réalité une femme plutôt sage avec le coeur sur la main… quand elle n’enfile pas ses gants de boxe ! 

Marie-line joncas

Photo : Andréanne Gauthier

Jab, droite, step back ! Un, deux, crochet ! Cheveux noués en queue de cheval, t-shirt bedaine noir et fuchsia, pantalon de nylon noir, Marie-Lyne Joncas obéit aux commandes de l’entraîneuse Sara Kali, qui encaisse ses coups sans broncher. En ce matin frisquet, l’heure est loin d’être à la rigolade pour la « grande crue ». La voici qui sort du ring pour tapocher avec énergie un ballon poire. L’exercice dure six minutes, soit l’équivalent de deux rounds de boxe. Mais c’est assez pour que Marie-Lyne, luisante de sueur, affiche la mine rayonnante des athlètes qui viennent de faire le plein d’endorphine, l’hormone du bonheur.

Nous sommes au sous-sol du centre sportif Claude-Robillard, à Montréal, dans le plus grand gym de boxe du Québec. Sont passés par ici les champions du monde Lucian Bute et Éric Lucas, mais aussi des femmes aux objectifs un peu moins ambitieux – dans le ring, du moins –, comme Marie-Lyne Joncas. Trois ou quatre fois par semaine, l’humoriste à l’éternel verre de vin enfile ses gants et s’astreint à 90 minutes d’exercices éreintants.

Sa coach est ravie. « Marie-Lyne est une fille travaillante et disciplinée qui évolue sans cesse depuis qu’elle a commencé à boxer. Elle est en super forme », dit Sara Kali, onze fois championne canadienne et médaillée aux championnats du monde.

Ce goût pour la frappe, l’humoriste le tient de Kim Clavel, qu’elle suit depuis plus d’un an pour un documentaire en préparation sur les femmes et les sports de combat. « Je suis une grande fan d’arts martiaux mixtes, dit-elle. Le côté superhéros de ces athlètes qui s’entraînent pour devenir imbattables me fascine. Et quand je vois des femmes se battre – je sais que c’est cliché, mon affaire –, je me dis toujours “mais mon Dieu, pourquoi ?” C’est pour répondre à cette question que je fais ce documentaire. »

Est-ce à dire qu’on verra un jour Marie-Lyne dans un ring, la tête striée de tresses françaises, le nez cassé et l’arcade sourcilière fendue ? Rien n’est moins sûr. « Je boxe pour garder la forme, pas pour combattre. Dès que Sara devient plus offensive et que je dois parer des coups, je déteste ça. »

Cet entraînement spartiate ne sert pas qu’à raffermir les chairs et à définir la musculature : « C’est incroyable le bien que ça fait physiquement, mais aussi sur le plan de la concentration ! »

Il faut dire que depuis sa sortie de l’École nationale de l’humour, en 2014, Marie-Lyne ne chôme pas. Elle s’est vite imposée sur le web avec son Courrier du cul, série de capsules déjantées qu’elle a animées pendant quatre ans avec Sacha Bourque et dont certaines ont cumulé plus de 750 000 visionnements.

Presque en même temps, les Grandes Crues, le duo à l’humour corsé et alcoolisé qu’elle forme avec sa grande amie Ève Côté, commence à s’imposer. En quelques années, les deux comparses deviennent des incontournables de la scène humoristique québécoise, s’installant dans le sillage des Lise Dion et Cathy Gauthier, deux autres femmes au langage coloré. « On est arrivées avec une offre différente, analyse l’humoriste de 36 ans. Les duos de femmes étaient rares à l’époque, contrairement aux duos masculins, comme Dominique et Martin, Les Grandes Gueules, Sèxe Illégal et bien d’autres. »

Comme leur nom l’indique, les Grandes Crues ne font pas dans la dentelle. Pour elles, par exemple, un homme, un vrai, « sent le feu même en sortant de la douche », « s’hydrate les lèvres à la cyprine » et « te déchire la robe su’l’dos avant de te manger la minoune ». Cru, vous dites ? La formule fait mouche. Pas moins de 130 000 personnes assistent à leur spectacle Su’l gros vin, présenté 350 fois ! Doit-on conclure que pour les femmes en humour, la vulgarité pave la voie au succès ? La réponse fuse : « Je ne suis pas vulgaire. Mon humour n’est pas si heavy que ça. Il est spontané et familier, c’est tout. » D’ailleurs, insiste Marie- Lyne, l’ère de l’humour corsé du Courrier du cul et des premières années des Grandes Crues est révolue. « Décrit-on encore Louis-José Houde comme le gars qui parle vite ? Non. »

Marie-line joncas

Georges, l’attachant bouledogue de Marie-Lyne, est tout aussi à l’aise avec la photographe que sa célèbre maîtresse. Une étoile est née ! Photo : Andréanne Gauthier

Jamais si bien chez soi

Marie-Lyne Joncas ne s’en cache pas, elle est ressortie éreintée de la tournée des Grandes Crues. Bien sûr, la fille qu’elle incarne sur scène lui ressemble. « J’aime faire la fête avec ma gang de chums. Dans un party, j’y vais toujours à pleins gaz. Mais en même temps, je suis très casanière. J’aime être à la maison, cuisiner [elle fait ses propres saucisses !] en regardant mes séries préférées. En fait, je suis une fille de jour. C’est pour ça que j’ai trouvé la tournée fatigante. »

On l’aura compris, la pétillante blonde aux yeux verts et au sourire pulpeux est plus sage qu’il n’y paraît. Surtout depuis qu’elle est entrée dans la trentaine, précise-t-elle. « Car ma vingtaine, je l’ai bue ! » Aujourd’hui, elle a le goût d’animer, de réaliser des documentaires, de faire des tables rondes sur des sujets profonds. « J’ai un côté sérieux, très geek, que les gens ne soupçonnent pas », dit-elle.

Voilà qui explique peut-être pourquoi elle ne vit pas dans un condo branché de l’effervescent Plateau Mont-Royal, mais plutôt dans une jolie shoebox sur une rue tranquille d’un quartier tranquille de la métropole. Si, de l’extérieur, la maison n’a rien d’exceptionnel, à l’intérieur, c’est tout autre chose.

Dès mon arrivée, Marie-Lyne passe en mode hôtesse. « Veux-tu un café, cher ? » me lance-t-elle avec une pointe d’accent de son Lac-Saint-Jean natal. Pendant qu’elle s’affaire en cuisine, je jette un oeil sur les lieux tout en caressant Martin, son superbe chat scottish fold qui vient de sauter sur l’îlot. Les murs, divisés par une cimaise, sont bicolores : blanc à la base, rose gomme balloune au-dessus. Des oeuvres d’art festives et bigarrées sont accrochées ici et là.

Au salon, un canapé moelleux couvert de jetés et de coussins fait face à la télé. C’est ici qu’elle s’adonne à ses péchés mignons : documentaires, émissions de « true crime » (sa passion), téléromans, téléréalités (toutes, toutes, toutes) et séries télé. « Je regarde l’ensemble de ce qui se crée au Québec parce que je m’y reconnais, j’y reconnais mes parents, ce qu’on vit, ce qu’on est. » En fait, Marie-Lyne « est une archive télé sur deux pattes ! » s’exclame en riant son amie la comédienne Geneviève Schmidt.

Marie-Lyne tourne d’ailleurs ce printemps sa première télésérie, judicieusement intitulée Les Crues. Et ça raconte quoi ? La réponse viendra plus tard cette année sur la chaîne Crave. « Ève et moi, on s’achète un vignoble », se contente de révéler Marie-Lyne.

La cour des grands

Sa connaissance du petit écran lui a notamment permis d’occuper à plusieurs reprises le siège de folle du roi à Tout le monde en parle (ICI Télé). Pour remplacer Dany Turcotte, « je cherchais des gens drôles, bons en direct et qui font preuve d’humanité. En plus d’être sensible et empathique, Marie-Lyne est une maniaque de la télévision d’ici et elle a un beau naturel. Je l’aime beaucoup », dit l’animateur et coproducteur de l’émission, Guy A. Lepage.

Ce naturel dont parle l’ex-RBO a d’ailleurs mené Marie-Lyne à l’animation, une facette de son métier qu’elle adore. « Si j’avais à choisir, je ne ferais que ça », précise-t-elle, avouant du même coup que monter sur scène n’est pas ce qu’elle préfère, sauf si c’est avec Ève Côté. « Avec Ève, on a l’impression de prendre un verre avec les gens dans la salle. Il y a quelque chose de festif. Mais moi, seule en scène ? Ça n’arrivera jamais. »

Vive l’animation, donc. L’humoriste est actuellement à la barre des Génies de la vitesse (Crave), où elle rencontre des passionnés de modifications automobiles. Elle a aussi tenu à bout de bras trois émissions liées à Occupation Double (Noovo). Et bien sûr, elle a régné sur le talk-show Le fabuleux printemps de Marie-Lyne (Noovo), où, grâce à ses talents d’intervieweuse, « elle aurait pu soutirer des confidences à quelqu’un dans le coma », dixit Guy A. Lepage. Ainsi, Élise Guilbault lui a avoué manquer de confiance en elle et Coeur de pirate lui a confié que sa fille Romy, préadolescente, avait hérité de ses problèmes d’anxiété, et que rien de ce que sa mère faisait ne trouvait grâce à ses yeux.

Ce printemps, c’est aux commandes du Grand chantier Rona, toujours sur Noovo (à partir du 1er avril, 19h30), qu’on retrouve l’animatrice. Douze couples s’affrontent en rénovant une à une les pièces d’une maison avec les conseils de deux experts. Chaque semaine, un couple est éliminé, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. « Ils doivent composer avec des contraintes de temps et d’argent, il y a des rebondissements en plein milieu des rénos, bref, c’est une solide émission de téléréalité », dit-elle, enthousiaste.

Marie-line joncas

Photo : Andréanne Gauthier

Une main de velour dans un gant de boxe

Pour Geneviève Schmidt, Marie-Lyne a une qualité rare dans le milieu culturel : « Les gens de la télé, on est des gens de communication mais pas nécessairement d’écoute. Elle oui. Elle a un grand coeur », confie la comédienne à propos de son amie. 

Cette capacité d’écoute et cette ouverture à l’autre – qui sont le propre des grands animateurs de talk-shows –, c’est à l’école secondaire qu’elles ont germé chez Marie-Lyne. Après avoir été le souffre-douleur de son quartier de Roberval pendant sa tendre enfance, elle profite du déménagement de sa famille à Chambly, alors qu’elle avait neuf ans, pour inverser les rôles. « J’ai décidé que plus personne n’allait m’écoeurer. » D’intimidée, elle est passée à intimidatrice. « Je le regrette beaucoup, avoue-t-elle, et je me suis excusée auprès de certaines personnes. »

Puis, au milieu de son secondaire, elle se découvre une passion qui orientera le reste de sa vie : le théâtre. Elle se fait des amis plus sains, plus à l’écoute. Et… nouveau revirement : « Je me suis mise à tomber dans la face des intimidateurs. » La femme prévenante et attentionnée dont parle son entourage était née.

Son amie Kathleen Allard, infirmière en oncologie, a récemment bénéficié directement de sa gentillesse. Lorsque le père de Kathleen est décédé, l’automne dernier, Marie-Lyne a demandé à ses propres amies, avec qui elle partait aux Bahamas, de se cotiser pour lui payer un billet, afin qu’elle se joigne au groupe. « Du Marie-Lyne tout craché, dit Kathleen. Quand l’une d’entre nous ne va pas bien, elle remue ciel et terre pour nous. C’est pas compliqué, si je me retrouvais en prison en Thaïlande, elle viendrait me chercher ! »

L’humoriste, on le sent, a un petit côté cheffe de meute. « Je suis rassembleuse. J’aime être présente pour les gens qui m’entourent, je suis droite et forte et j’aide dès que je peux », dit-elle. L’inverse est aussi vrai. Quand elle va moins bien, elle sait qu’elle peut se tourner vers ses amies, « ses repères » comme elle les appelle. « Elles sont très bonnes pour m’écouter. »

Sans compter que, pour oublier le stress et les problèmes, il restera toujours les gants de boxe qu’elle peut enfiler, le temps de taper dans un sac de frappe ou de monter sur le ring avec Sara. Jab, droite, step back ! Un, deux, crochet ! 

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