Culture

Geneviève Schmidt : un charisme irrésistible

Les dernières années ont été fastes pour Geneviève Schmidt. D’Unité 9 à District 31, de Ruptures à La Maison-Bleue, elle a fait sa marque à la télé, au cinéma et au théâtre québécois. Cet automne, en plus de la quotidienne STAT, à ICI Télé, elle tournera dans l’adaptation au cinéma des Belles-sœurs, de Michel Tremblay. Et en tête d’affiche, en plus ! 

Genevieve Schmidt

Photo : Andréanne Gauthier

Couchée très tard, levée très tôt, boulot oblige, Geneviève Schmidt fait la sieste quand je sonne chez elle, à 14 h. « Je travaille beaucoup, 250 jours par année », me dit la comédienne, habillée en mou, tout en préparant le café. Ce n’est pas un scoop… Elle le répète souvent aux journalistes. La question s’impose donc : Geneviève, bosses-tu trop ? « Non. Je refuse des offres intéressantes par manque de temps. Mais là, je finis un contrat et je suis un peu fatiguée… »

L’actrice terminait la veille sept semaines de tournage d’une téléréalité, L’île de l’amour, à TVA, à titre de commentatrice. Elle ajoutait son grain de sel humoristique sur les péripéties d’une bande de jeunes célibataires batifolant en République dominicaine. Geneviève a été surprise qu’on songe à elle pour cette mission. « J’ai trouvé cela audacieux. Les téléréalités, je ne connaissais pas ça », ajoute mon hôtesse en remplissant les tasses. Ne regarde pas le bordel, j’ai reçu des meubles hier. »

Cette jolie demeure sur la Rive-Sud de Montréal – façade imposante, intérieur invitant et piscine miroitante –, Geneviève ne l’habite que depuis quelques mois. « Elle a une passion pour les maisons », confie son grand ami, le comédien Sébastien Huberdeau. Ce que la principale intéressée confirme. « C’est ma sixième en 10 ans ! » Geneviève possède d’ailleurs un goût sûr en matière de décoration, selon Sébastien. « Dans une autre vie, elle aurait pu être designer d’intérieur ou architecte », dit-il. Quand elle aura le temps de ranger son « bordel » (qui n’en était pas vraiment un), la comédienne fera sûrement aussi bien que pour sa dernière adresse, dans les Laurentides, dont les photos publiées l’an dernier dans internet sont à couper le souffle.

Cette nouvelle demeure a un très grand avantage : elle est à deux pas des studios MELS de Saint-Hubert. Là où, depuis l’an dernier, Geneviève Schmidt devient Isabelle Granger, chirurgienne, mère d’un fils autiste de 14 ans, dans STAT.

La comédienne affirme pouvoir tout jouer – de mère infanticide dans Unité 9 à mère courage de 472 enfants dans le film L’arracheuse de temps – et son CV lui donne raison. Entre deux rôles exigeants et dramatiques, elle apprécie le fait de pouvoir changer de ton, d’univers et d’incarner une poète trash dans Testament, comédie satirique de Denys Arcand, qui prendra l’affiche en octobre prochain.

« J’ai travaillé trois jours sur ce film, et j’ai tellement ri ! Mon personnage gagne un prix pour son recueil de poésie. Je l’ai gardé. » Elle va quérir ledit trophée dans une bibliothèque où trônent deux de ses trois Gémeaux (pour District 31, Unité 9 et la websérie Je ne suis pas un robot). « Oh ! il est cassé », lance-t-elle à la fois amusée et déçue. Sur le trophée, une inscription : Chimène Bigras, Vagins en feu. « Oui, au pluriel ! » Son rire remplit la pièce. « Pas juste le mien, celui de toutes les femmes ! »

Panique à bord

Au moment de notre rencontre, les 120 épisodes de la première saison de STAT étaient mis en boîte depuis plus de deux mois. Elle était encore essouff lée de cette première expérience de quotidienne télé. « C’est après coup qu’on voit à quel point c’est exigeant. Suzanne Clément, c’est une machine. Elle avait deux fois plus de textes à apprendre que moi et elle tournait dans un film à Toronto le week-end, tandis que moi j’étais assise à ma table et je paniquais de ne pas maîtriser mes répliques pour le lundi. Honnêtement, je ne sais pas comment elle a fait », lâche-t-elle.

Peut-être devra-t-elle demander des trucs à sa collègue ? Car en même temps que STAT, Geneviève aussi interprétera un rôle au grand écran cet automne : Les Belles-sœurs, le chef-d’œuvre de Michel Tremblay, en version chantée sur une musique de Daniel Bélanger. « René Richard Cyr, dont c’est le premier film, m’en parle depuis deux ans. » L’actrice a décroché le rôle principal de Germaine Lauzon. « Après audition. » Une précision importante. Car même si René Richard est une vieille connaissance et son voisin de condo en Floride, il ne lui a pas offert Germaine sur un plateau d’argent. « J’adore passer des auditions. Ça me stresse, mais ce n’est pas grave. Je veux montrer ce dont je suis capable. » Elle m’en parle et semble à peine y croire. « Les Belles-sœurs », répète-t-elle. À 45 ans, cela ressemble à une consécration.

Geneviève Shmidt

Photo : Andréanne Gauthier

Souvenirs en cascade

Elle a grandi à Vaudreuil-Dorion, à 40 km à l’ouest de Montréal. Le nom Schmidt (commun en Allemagne, « comme les Tremblay au Québec ») était célèbre dans les parages bien avant la naissance de Geneviève, en 1978. À preuve, l’avenue Loyola-Schmidt, nommée en hommage à son grand-père, « un homme d’affaires qui a aussi été député dans l’Union nationale de Maurice Duplessis ».

Elle a six ans quand son père achète et restaure le Théâtre des Cascades, sur les berges du lac Saint-Louis, considéré comme le plus beau théâtre d’été de la province. « Nos parents nous disaient, à ma sœur, mon frère et moi : “Vous allez travailler.” C’était très important pour eux. Je plantais les géraniums avec ma mère et je torchais les toilettes », ajoute-t-elle avec son franc-parler habituel. Ce ne sera qu’un début.

Au fil des saisons, Geneviève touchera à tout, de l’accueil du public à la régie de plateau. Cachée dans les coulisses, elle observe et écoute les acteurs. Un soir, alors que la troupe discute après la représentation, la vedette du spectacle, Pierrette Robitaille, s’interroge : pourquoi cette blague n’a-t-elle pas fait rire comme d’habitude ? Une ado de 15 ans aux yeux bleu piscine lui répond du tac au tac. « C’est parce que tu laisses passer deux secondes de trop. »

Pierrette Robitaille se souvient très bien de ce commentaire de Geneviève. « Ce n’était pas déplacé. Et elle avait raison, juge-t-elle. Geneviève est une fille brillante. L’aspect technique de la comédie l’intriguait. Faire rire est bien plus difficile que de faire pleurer. Je la vois encore toute petite et si belle, courir dans ce lieu magnifique, dans une espèce d’euphorie perpétuelle qu’elle a conservée. »

Geneviève ne voyait pourtant pas son avenir sur les planches. « Je voulais avoir un bureau et produire, comme mon père. Il avait des restaurants St-Hubert, des quincailleries Rona… », énumère-t-elle. Jacques Schmidt avait du succès dans les affaires, mais peutêtre, comme le dit la chanson, aurait-il voulu être un artiste… En tout cas, il en possédait l’âme. « Avec son directeur artistique, papa décidait des pièces que le Théâtre des Cascades allait présenter. Il allait même voir des spectacles à Paris. »

Selon des proches, comme France Castel, qui connaît la famille Schmidt depuis près d’un quart de siècle, Geneviève ressemble beaucoup au paternel. « Comme Jacques, sa fille ne passe pas par quatre chemins pour dire ce qu’elle pense », lance-t-elle.

Est-ce le cas ? La blonde comédienne, qui se prépare un deuxième café, hésite. « J’ai un caractère. J’aime parler et argumenter, et j’ai de la misère quand on me dicte quoi faire. Au cégep Lionel-Groulx, j’envoyais promener les profs. » Expulsée du cours d’interprétation à 18 ans, où elle s’était inscrite après avoir découvert « par hasard » le plaisir de jouer, Geneviève décide de mettre de côté ses ambitions d’actrice sans enterrer ses rêves. « De 10 à 29 ans, je répétais sans cesse que j’allais devenir la directrice artistique du Rideau Vert. »

France Castel l’imagine aisément un jour aux commandes d’une compagnie théâtrale. « Elle sera une excellente metteure en scène ou directrice de théâtre. Mais je ne crois pas qu’elle soit devenue comédienne “par hasard”. C’est une très grande actrice, dans la comédie comme dans le drame. »

Geneviève Shmidt

Photo : Andréanne Gauthier

Un réel don

Geneviève Schmidt incarne ce que les Américains appellent une scene stealer, une voleuse de scène. Si l’expression la flatte, elle se défend bien de faire exprès. « Je ne tire pas la couverture vers moi », précise-t-elle. Pas nécessaire. C’est naturel et c’est évident dans le film Menteur, comédie sortie en 2019. À chacune de ses apparitions en patronne de Louis-José Houde, on ne voit qu’elle.

Ce don est d’ailleurs à l’origine de sa carrière d’actrice. À deux reprises, en 2003 et 2004, et au sein de deux établissements différents (le Conservatoire de Montréal et l’École nationale de Théâtre), Geneviève a donné la réplique à des amis qui passaient l’audition d’entrée. Eh bien, c’est elle qui a été remarquée et devant qui les portes se sont ouvertes. Après hésitations, réflexions, et quasiment à reculons, elle a opté pour l’École. « J’avais 25 ans, les autres, 18. Je me demandais pourquoi j’avais pris cette décision qui allait changer ma vie. J’avais le syndrome de l’imposteur. Je l’ai encore. »

Son diplôme obtenu en 2008, Geneviève fait ses premiers pas dans un milieu où son visage est déjà familier. Robert Lepage, Serge Denoncourt, Andrée Lachapelle, Denise Filiatrault : ils ont tous passé au moins un été au Théâtre des Cascades, et nul n’a oublié la gamine charismatique au sourire coquin. « Denise a été la première à m’engager, dès l’année suivante, dans L’effet des rayons gamma sur les vieux garçons, au Rideau Vert », fait-elle savoir. Dans la revue de théâtre Jeu, la critique remarque d’ailleurs la recrue : « Geneviève Schmidt est hilarante dans sa brève scène où elle explique comment elle a tué et écorché un chat pour en reconstituer le squelette. »

Qui d’autre qu’elle pourrait faire rigoler en racontant une telle histoire ?

Bien sûr, Geneviève Schmidt fait rire. Et aime rire. Le 1er janvier dernier, elle a pris une résolution : rire tous les jours de 2023. Pourquoi cette année ? « Parce que j’ai vécu une grosse rupture en 2022, que les dernières années ont été difficiles sur le plan personnel, que je suis fatiguée. Je me refais un cocon, une vie. Je suis passée à une autre étape. Et je me sens libre. » Et jusqu’à présent, ça tient la route ? Elle dessine un sourire : « J’ai tenu promesse. » Y compris aujourd’hui.

Geneviève Shmidt

Photo : Andréanne Gauthier

Du théâtre transformateur

Elle a beau connaître un succès fou à la télé et au cinéma, Geneviève dit vivre ses vrais bonheurs de comédienne au théâtre. « J’aime le moment présent avec le public. Toucher les spectateurs assis dans la dernière rangée, les faire rire ou pleurer. C’est ça, le rôle d’un acteur. »

Une œuvre en particulier, qu’elle a interprétée, mérite qu’on s’y attarde. Créé en novembre 2015 à l’Espace Go, Cinq à sept est un texte percutant, voire cru, écrit par Fanny Britt avec la collaboration de Kathleen Fortin, Julie Le Breton et Geneviève Schmidt.

Les trois comédiennes ont mis beaucoup de leur « vécu » à la disposition de la dramaturge, et la frontière entre la réalité et la fiction est floue. Personnalité plutôt privée, Geneviève s’y met à nu telle Salomé et sa danse des sept voiles. Puisqu’elle avoue se rappeler peu ou prou les répliques, je propose de lui lire des extraits qu’elle commentera ensuite.

J’en ai pas voulu, j’en ai presque eu, j’ai eu les curetages, les saignements, les conseils…

« C’est vrai. Je n’ai jamais voulu d’enfant, et j’ai eu des avortements. Mais j’adore les bébés, je suis la meilleure matante au monde. » Sur son portable apparaît la binette d’un poupon qui tire la langue. « C’est le fils de mon amie la comédienne Véronique Chaumont, et c’est le plus beau ! »

Pis le gars y m’étranglait, en arrière du Lion d’Or, pis y me pétait la tête sur le mur…

« J’avais 18 ans. Je ne pouvais pas crier. J’ai pensé au pire : il va me violer. Je voyais des gens passer sur le trottoir sans rien faire. C’est leur inaction qui m’a fait paniquer. J’ai écrasé la face du gars avec mon talon. J’ai vraiment été violente, j’ai eu peur de moi-même. »

J’ai hâte que mon père meure…

« Ben, pour les bonnes raisons. » En 2015, Jacques Schmidt, 65 ans, souffrait d’alzheimer depuis déjà quelque temps. « Il a voulu nous donner des souvenirs avant de partir, en 2017, dit-elle d’une voix presque joyeuse. Chaque année, papa choisissait une destination – Israël, Pérou, Grèce – et toute la famille y passait plusieurs semaines. » Elle fouille dans son téléphone. « C’est la plus belle photo que j’aie de nous cinq, on est à l’île de Pâques. » Vers la même époque, le Théâtre des Cascades a été vendu. « Je n’y suis plus jamais retournée. »

 

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