Culture

France Castel : l’intemporelle

Avec elle, la vie se révèle plus pétillante que le champagne, et le fait de vieillir, pas mal moins déprimant. Son franc-parler est aussi légendaire que son rire est franc. Au fil des années, France Castel n’a pas hésité à se livrer. Aurait-elle tout dit ? Non, pas encore.

C’est son amoureux qui m’accueille. Chawky ne se trouve jamais loin de sa blonde, et ce, depuis deux décennies et des poussières. Un record Guinness pour France Castel, mariée à 15 ans, mère à 30 de trois enfants de pères différents, et dont les histoires de cœur ont jadis passionné la presse à potins.

La voilà, bombe d’énergie, lumineuse. Nous nous sommes fréquentés assidûment en 2016, le temps de coucher ensemble sur papier son enfance particulière, son demi-siècle de carrière et son passé sexe, drogue et rock and roll légendaire. Le fruit de ces dizaines de tête-à-tête mémorables : une biographie, Ici et maintenant (Éditions La Presse). « Yes ! Tu as apporté du champagne. Super. On le sable ? » Direction la terrasse, pour des retrouvailles légèrement arrosées.

À la campagne

Mine de rien, France vient de vivre un changement radical. À la stupeur générale, la citadine pure laine a pris ses cliques et ses claques, empoigné la clé des champs, et s’est installée « pour de bon » dans sa maison de campagne des Laurentides.

L’appartement outremontais où le couple me reçoit leur a été prêté par un ex-voisin et ami, question de les accommoder pendant leur séjour montréalais. Il est d’ailleurs situé au-dessus de celui qu’ils ont quitté à l’été 2020. « Vendre et déménager faisait partie de nos plans pour plus tard. » La pandémie a accéléré le processus.

« En mars 2020, comme tant d’autres, j’ai perdu tous mes contrats. » France répétait alors la pièce Lysis au Théâtre du Nouveau Monde, avec notamment Marie Tifo et Pierre Curzi. Une création québécoise d’après Lysistrata, célèbre comédie grecque d’Aristophane dans laquelle des femmes décrètent la grève du sexe pour arrêter la guerre. « On était presque prêts, à quelques semaines de la première. On va la reprendre cet hiver. » Une sorte de coït interrompu artistique, quoi. « Oui ! Et il n’y a RIEN de PIRE qu’un COÏT INTERROMPU ! » lance-t-elle en appuyant sur les mots, qui rebondissent trois balcons plus loin, une salve ponctuée de cet éclat de rire fabuleux devenu sa marque distinctive.

À ce moment-là, elle n’a pas trouvé l’interruption particulièrement drôle. « Pour France, ces longs mois de confinement ont été très difficiles. J’ai senti son vertige », avance France Beaudoin, confidente-meilleure amie-âme sœur depuis les premières heures de leur coanimation à Deux filles le matin, en 2001.

La principale intéressée ne la contredit pas. « Je suis profondément déséquilibrée », affirme tout de go France Castel en remplissant nos coupes. Le sujet de sa santé mentale n’était même pas sur la table de patio. « Tu le sens, non ? insiste-t-elle. Tiens, ça pourrait être le titre de ton article: “La déséquilibrée ” .» Pour faire contrepoids, celle qui ignore les demi-mesures, carbure à la compulsion et refuse depuis toujours les pilules n’a pas lésiné sur les moyens : drogue, alcool, hommes, thérapies…

À force de chercher, elle a trouvé. Tous les jours, depuis 15 ans, France pratique la méditation. Laquelle ? « Name it, je les ai toutes essayées : transcendantale, zen, mantra, chakras… » Elle a concocté la sienne, et y tient mordicus. « Pas pour être illuminée, mais pour la stabilité que cela m’apporte. Sinon, je serais moins cohérente. »

Son autre soupape, la came qui la calme : le boulot. Elle en a besoin. « Le travail, résume France Beaudoin, c’est son équilibre, une façon de sortir de sa tête. Et heureusement, elle est plus sollicitée que jamais. »

Le jour de l’interview, notre cover-girl s’était levée avec le soleil. On l’attendait en studio pour la version télé de Trois fois par jour (à TVA cet automne). Le mercredi, enregistrement d’un épisode de Curieux Bégin (Télé-Québec), d’après une idée originale signée Castel : « Trois vieilles gourmandes – Louise Latraverse, Shirley Théroux et moi – avec trois beaux et jeunes chefs pour nous mettre en appétit ! » Jeudi ? Un topo pour Bonsoir bonsoir ! (ICI Radio-Canada Télé) sur les souvenirs d’été, tourné aux abords du lac Champlain, avec la chanteuse Roxane Bruneau.

Accepte-t-elle toutes les offres ? « Je réponds aux demandes pour exister. Et aussi pour que ma tranche d’âge existe. Ça me tape sur les nerfs qu’on montre toujours les mêmes modèles d’aînés, qu’on repasse les mêmes images déprimantes des CHSLD. »

Vieillir peut être méga moche, c’est une triste réalité, mais il y en a d’autres. Tel est le message d’intérêt public que France Castel tient à propager par l’exemple et son énergie de fille de party partout où il y a un micro.

France Castel

Photo : Andréanne Gauthier

Nuit blanche

S’il y a une offre que France n’aurait pas pu, ou voulu, ou même pensé ignorer, c’est celle des producteurs de Nuit blanche, à l’horaire d’ICI Radio-Canada Télé dès septembre.

« Un soap de luxe à la Netflix, qui se déroule à deux époques, aujourd’hui et il y a 50 ans, au temps du FLQ [Front de libération du Québec]. La série est déjà vendue à l’international. Je pense que ça va frapper fort », résume France, visiblement enchantée d’être de la distribution.

Dans Nuit blanche, les intrigues se nouent et se dénouent autour de Louise, une septuagénaire qui a fait fortune dans la parfumerie, rôle pivot tenu par France. À 20 ans, Louise, rebelle et follement amoureuse, était devenue mannequin… « Je ne sais pas pourquoi ils ont pensé à moi », se questionne l’actrice.

Julie Hivon, la scénariste de la série, a sa petite idée là-dessus. « Louise est une femme forte et fière qui déplace de l’air, une grande séductrice à qui personne ne résiste, dit-elle. Tout ça, France Castel l’incarne parfaitement. Elle était le premier choix de la production. C’est une icône. » Une autre blonde aux yeux bleus, Rose-Marie Perreault, interprète la version jeune de Louise.

France Castel

Photo : Andréanne Gauthier

Une femme sans âge

Dès le premier épisode de Nuit blanche, Louise meurt. Elle reviendra en voix hors-champ et en flash-back. Deux semaines avant le tournage de la scène fatidique, France, en vraie pro, se prépare. « Je suis très bonne pour mourir, j’ai beaucoup de pratique ! »

Elle a souvent poussé son dernier souffle, au petit comme au grand écran : dans Les jeunes loups, Olivier, Les 3 p’tits cochons… « Chaque fois, il y a un travail à faire, parce que veux, veux pas, tu ne peux pas jouer la morte sans y aller pour vrai. Je transpose sur ma vie : et si je mourais comme ça ? J’ai moins de technique que plein d’autres actrices. Le plus grand talent que j’ai, c’est ma vérité. » Elle se lève d’un coup. « Ça nous prend plus de champagne ! »

Le 31 août, France a soufflé 77 chandelles, chacune brûlée par les deux bouts. Cet âge qu’on dit vénérable, elle le brandit tel un trophée, son Oscar de la résilience. Car après les excès sans limites, les flirts avec ses démons, les creux de vagues abyssaux, elle ne devrait pas être là, en miraculée si vivante, si allumée, si belle, si… jeune.

« France ? Je ne connais pas son âge, elle n’en a pas », tranche Roxane Bruneau d’un ton sans appel. Elles ont fraternisé en 2018, au Festival des montgolfières de Gatineau, réunies avec d’autres artistes, dont Marjo, pour un hommage à Gerry Boulet. « J’étais en coulisses, terrorisée, se souvient l’autrice compositrice-interprète de 30 ans, alors peu connue. France est venue me voir et m’a dit : « Amuse-toi ce soir. On ne sauve pas de vie. »

L’automne dernier, Roxane a rassemblé influenceurs, youtubeuses, humoristes, ex-candidate de téléréalité et France Castel pour le vidéoclip de sa chanson À ma manière, ode à la différence et à l’audace. « Ça m’a ébranlée qu’elle accepte », précise Roxane, qu’on voit d’ailleurs émue aux larmes dans le making-of du clip. « Sur le plateau, c’était France qui rockait le plus ! »

France Castel

Photo : Andréanne Gauthier

Un amour-surprise

Tiens, voici Chawky qui vient faire un petit coucou : « Ça va ? » Pas très grand, avec une bonne bouille, la moustache blanche et l’œil espiègle, Chawky a une réserve contrastant avec l’effervescence de France.

« Je ne pourrais pas rêver mieux que d’être avec lui, dira-t-elle, une fois la porte refermée. C’est un homme bon, foncièrement dans l’acceptation de qui je suis. Il ne nourrit pas mes névroses, car il est beaucoup plus fort qu’il n’en a l’air. Je suis obligée de m’ajuster avec respect, et amour. C’est la raison pour laquelle ça dure. »

Le jour où leurs univers aux antipodes se sont croisés dans un café, Chawky Bichara, chanteur et musicien originaire d’Égypte, ne savait rien de France Castel, chanteuse et vedette très populaire originaire de Sherbrooke. Elle a remédié illico à cette lacune en lui offrant sa première biographie, Solide et fragile, publiée en 1996. Chawky a vite compris qu’il avait affaire « à une grosse bibitte », dit-il aujourd’hui avec un sourire attendri. Il a lu le livre, l’a refermé, ne lui en a pas reparlé et n’a pas voulu en savoir davantage. Idem pour sa deuxième biographie, Ici et maintenant.

Voilà pour son chum. Et ses enfants ? Que pensent-ils des confidences très révélatrices de leur mère, imprimées, révélées au grand jour, commentées ? Les ont-ils seulement lues ?

Elle me répond par une question : « As-tu déjà imaginé ta mère sexuée ? Non ? On part de là. Moi, je présente ma vie au monde et à mes enfants. On a des jugements ÉNORMES sur la sexualité des mères ! » Je n’en saurai pas plus. Insister aurait été cruel. Je le sais d’expérience, aborder ce sujet rend France fébrile instantanément. Des émotions contradictoires l’envahissent.

D’un côté, il y a la culpabilité maternelle, douloureuse. Elle en a tiré une chanson pleine de remords en 1977 : « C’est un dimanche avec eux/Et je les sens étonnés de ma présence/[…] Je ne suis pas là aussi souvent que je voudrais… » De l’autre, la fierté légitime d’avoir réussi à élever à bout de bras, et seule, ses fils, David, Benoit, et sa fille, Dominique. Entre les deux : une femme qui cherche un kleenex en disant d’un filet de voix que ses fils l’ont toujours appelée France, jamais maman, « un mot trop intime ».

Bifurquer avec délicatesse sur ses six petits-enfants chasse les nuages noirs. « Regarde William avec sa nouvelle blonde, il est-tu assez beau ? s’exclame t-elle, émerveillée, photo à l’appui. Il va avoir 18 ans. Son rêve : jouer un tournoi de poker au Casino avec moi. Elle, c’est la plus vieille, Clémence, 20 ans. Je pense qu’elle trouve ça cool que je sois sa grand-mère. Son frère Philippe veut être électricien. » Maintenant qu’ils sont plus grands, celle qui n’a jamais été la mamie gâteau qui tricote au coin du feu adore converser avec eux, s’abreuver de leur jeunesse, se reconnaître dans leur ouverture aux autres.

La cachottière

L’an dernier, en vidant son appartement, France a fait le grand ménage. « J’ai gardé des lettres, des souvenirs d’amoureux. Mes enfants les découvriront quand je ne serai plus là. Ils vont avoir un choc. C’est insoupçonné tout ce que je cache encore, confie-t-elle, le regard ardent. Ce que j’ai déjà dit, ce n’est pas la moitié de ce que j’aurais à dire, et c’est formidable. »

Quoi ? France Castel aurait encore un secret ? « J’en ai pas un, j’en ai 10 ! » Les partager d’outre-tombe a un but. « Je veux que mes enfants m’aiment jusque-là. Le plus beau cadeau que tu puisses faire à quelqu’un que tu aimes, c’est de lui dire : tu m’as connue, tu m’as aimée, je t’ai aimé, mais sache qu’il y a toujours, en toi et en moi, des choses qu’on ne révèle pas quand ce n’est pas le temps. » Puis, fière de son coup, elle éclate de rire. « On en fera peut-être une troisième biographie… »

Merci à l’équipe du Port de Montréal pour son accueil chaleureux.


Couverture numéro Septembre-octobreCet article est paru dans notre numéro de septembre/octobre.
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