Chroniques

L’été de la paresse

Le boulot, la maison, la marmaille, la popote. La vie, ça ne peut pas n’être que ça…

Cara Slifka / Stocksy

Cara Slifka / Stocksy

La paresse est la mère de l’invention. L’humanité a inventé la roue parce qu’elle en avait marre de tout traîner à bout de bras. Et la machine à laver parce que, vraiment, battre ses draps avec une pierre sur le bord de la rivière, c’est un peu fatigant. Alors pourquoi la flemme figure-t-elle au palmarès des péchés capitaux, au même titre que l’orgueil et l’avarice ?

Surtout que, soyons franches, les risques de sombrer dans l’enfer de l’oisiveté sont bien minces. Il faut gagner des sous. Faire l’épicerie et le ménage. Aller conduire les enfants au cours de piano ou à l’entraînement de soccer. Entretenir son réseau social. Se garder en forme et en santé.

Un Canadien sur trois manque de temps et souffre de stress, dit Statistique Canada. Les championnes toutes catégories sont les travailleuses qui ont des enfants de moins de quatre ans : 6 sur 10 se disent débordées.

Et, comme si ce n’était pas suffisant, on s’en rajoute une couche. On décide de recevoir à l’indienne ou à la thaïlandaise, on s’impose une garde-robe à la mode, une maison impeccable et des ongles manucurés. Un demi-marathon avec ça ?

The Power of Less, de Leo Babauta

The Power of Less, de Leo Babauta

Pourquoi on fait ça ? « Parce que, plus que n’importe quand dans l’histoire de l’humanité, on vit dans un tourbillon d’informations, de tâches à accomplir, de sollicitations, de possibilités », répond Leo Babauta, auteur de The Power of Less (L’art d’aller à l’essentiel, éditions Leduc.s).

Peut-être aussi parce que, dans la société contemporaine, on est reconnu pour ce que l’on fait, pas pour ce que l’on est. Alors on en fait toujours plus pour se prouver qu’on est productif et important. Pour se sentir vivre. Pour être heureux. Et si on avait tout faux ? Si le mieux se cachait dans le moins plutôt que dans le plus ?

Elaine St. James en est convaincue. Agente immobilière à succès dans une grande ville américaine, elle travaillait 12 heures par jour pour payer sa maison cossue et son gros train de vie, passait trois heures par jour coincée dans les bouchons et s’imposait une tonne de buts, d’objectifs, de défis. Apprendre l’italien, faire du chant classique, courir des 10 kilomètres. « En principe, j’avais la vie rêvée, dit-elle. Mais je traînais un agenda de la taille du Nebraska. Et je n’avais jamais une seconde pour respirer. »

Elle en a eu assez. Et a décidé de simplifier sa vie pour mieux en profiter. Elle s’est mise à épurer. Ses armoires, son carnet d’adresses et son emploi du temps. Elle a réduit ses activités et ses exigences. Adieu les repas compliqués les soirs de semaine, la recherche de chaussures qui s’harmonisent à son nouveau tailleur. Bonjour les soirées relax avec son mari et les fins de semaine de farniente en famille.

« J’essaie. J’essaie tellement ! » soupire Mélanie Pratte, digne représentante du club des jeunes mamans-travailleuses-débordées. « Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. » Son exemple classique : le souper d’amis. « Je me promets de faire ça simple, dit-elle, question de profiter de la présence de mes invités sans avoir la langue à terre. Puis je choisis mes recettes. Plusieurs. Com­pliquées. Pleines d’ingrédients fancy. Et c’est mon chum qui me ramène à la réalité : « Pourquoi pas trois services, chérie, au lieu de cinq ? »

L’ennemi, diagnostique-t-elle, c’est à la fois la peur du jugement des autres et les exigences qu’on s’impose. Celle de la maman qui doit servir des repas nourrissants, coûte que coûte, par exemple. « Parfois, vraiment pas souvent, rigole-t-elle, je réussis à faire un souper de grilled cheese qu’on mange devant la télé. Tout le monde est relax, les enfants sont ravis. Et moi, je passe la soirée à tenter de ne pas culpabiliser ! »

Elaine St. James, elle, est devenue une papesse de la simplification qu’elle prêche dans de nombreux livres et dans son blogue. Elle envoie deux suspects au banc des accusés pour nos vies encombrées. Un : la folie de la consommation. Les objets sont des voleurs de temps. Celui qu’il faut pour gagner l’argent nécessaire à leur achat, pour les trouver puis pour les entretenir. Deux : l’incapacité à dire non. Non aux invitations dont on se passerait bien, aux comités qui bouffent la vie, aux réunions qui grugent le rendement au travail, aux exigences qu’on se fixe soi-même.

Christian Richter / Stocksy

Christian Richter / Stocksy

Les défis, Leo Babauta connaît. Pendant des années, il a carburé aux livres sur la productivité et l’organisation du temps. Il a tout lu et suivi tous les préceptes. S’assignant des buts, et des objectifs intermédiaires, des échéanciers. « Bien sûr que ça fonctionne », affirme-t-il. Il a cessé de fumer, perdu du poids, s’est levé de son canapé pour participer à des triathlons, a écrit des livres. Toutes de bonnes choses.

Mais ces victoires ont un revers. « Se fixer un but, dit-il, implique qu’on ne sera heureux que quand on aura perdu 10 kilos ou couru 10 kilomètres. C’est remettre toujours la satisfaction ou le bonheur à plus tard. Je ne veux plus faire ça. »

Lui aussi a décidé de changer de vie. C’est là qu’il a écrit The Power of Less et créé un blogue considéré par le magazine Time comme un incontournable (Zen Habits, dont certains billets sont présentés en français sur le site Habitudes Zen). Le cœur de son message : réfléchir à ce qu’on veut vraiment. Et éliminer tout ce qui dépasse. Ne rien faire ? Bien sûr que non. Mais faire les choses qui nous rendent heureux maintenant. Qui nous excitent aujourd’hui.

A-t-on vraiment besoin de buts, de défis, d’objectifs ? Ne pourrait-on pas juste vivre, parfois ?

 

Farniente, mode d’emploi

1  Décider qu’on veut en faire moins (sinon, ça n’arrivera pas).

2  Mettre une sourdine à son orgueil. Nous ne sommes pas indispensables. Pas besoin de tout contrôler.

3  Renoncer à essayer de tout suivre. On va survivre même si on rate 24 heures de son fil Facebook, de la situation en Ukraine ou des dernières frasques qui émoustillent Hollywood.

4  Prendre une journée de congé pour soi. Surtout si on n’est pas malade !

5  Inventer un défi familial : le ménage de toute la maison en une heure top chrono. En équipe si possible, avec de la bonne musique et la méthode des professionnels – ils emploient le moins de produits différents possible, traînent tout le matériel dans un seau ou un tablier, font une pièce à la fois, de haut en bas, le sec avant le mouillé. Pas eu le temps de finir ? Pas grave ! (Et oui, on peut dormir deux semaines dans les mêmes draps…)

6  Vendre son fer à repasser sur Kijiji (et enterrer au fond de l’armoire tous les vêtements qui exigent du nettoyage à sec).

7  Ne rien acheter.

8  Apprendre à décevoir.

9  Débrancher la télé pour l’été.

10 S’abonner aux soupers prêts en 30 minutes.

11  Ne pas répondre à un courriel (c’est tout à fait légal).

12  Instaurer un souper hebdomadaire où tout le monde pige ce qu’il veut dans l’armoire et le frigo.

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