Blogue La course et la vie

Courir avec un aveugle

Vous avez déjà essayé de guider un aveugle en faisant de la course à pied?

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Quand Marco m’a demandé si je voulais courir avec lui, j’ai tout de suite dit oui.

Et j’ai tout de suite eu le trac. Plus que pour n’importe laquelle de mes courses.

C’est que Marco est aveugle, et il me demandait d’être son guide pour une course d’une dizaine de kilomètres sur la montagne.

Et si je faisais mal mon boulot  et que Marco trébuchait ? Et si je n’arrivais pas à voir tous les obstacles à temps et qu’on fonçait dans un enfant, un chien, un promeneur distrait ? Et s’il déboulait la montagne à cause de moi ? Et si je n’arrivais pas à le suivre?

Et si, et si, et si.

Trop tard, j’avais dit oui.

Sa femme est venue le reconduire au point de rendez-vous, et elle a laissé Marco m’expliquer son système, très simple. Un harnais que le « guide » enfile à la taille est relié au poignet du « guidé » par un lien qui ne gêne les mouvements ni de l’un, ni de l’autre.

Dûment identifiés par deux dossards fluo, on était prêts. Sentant que j’étais un peu inquiète, il a pris les choses en main ; « allez, on y va ».

C’était parti mon kiki !

Il a fallu ajuster nos rythmes. Trop vite ? Trop lent ? Ça, ça te va ? Parfait.

Il m’a guidée pour m’apprendre à l’orienter en utilisant les degrés. Virage à droite, 90 degrés sur 30 mètres ! Dix degrés à gauche, escarpement ! Cent mètres dégagés ! Il y a un trou, une branche, une roche à 10 degrés à droite ! Oh, plein de belles filles te sourient, Marco ! Sur 360 degrés !

Il riait.

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Marco et moi.

Je lui ai évité le crottin de cheval (mon exploit de la journée) et il m’a instruite sur les réalités de sa vie de père de famille, de prof d’informatique et de coureur… Né avec une amaurose congénitale de Leber, Marco n’a jamais vu, mais le sport fait partie de sa vie. Il s’entraîne avec un club de triathlon, pédale en tandem, fait du spinning, et court chaque fois qu’il arrive à trouver un guide.

La course faisant son œuvre, notre foulée s’est harmonisée, nous avons trouvé notre rythme, je me suis détendue (lui, ça allait très bien, merci), et on est tombés dans les conversations que partagent tous les coureurs. Nos rythmes, nos heures préférées pour s’entraîner (le soir pour lui), nos objectifs, l’odeur du printemps dans la montagne, la petite musique du ruisseau qui coulait à notre droite, le soleil éclatant sur la peau après l’hiver interminable (il préfère courir dehors, ça sent meilleur).

Bref, si ça n’avait été des filles en délire et des membres d’un club d’athlétisme qui nous ont crié en chœur « go, go, go, whouuuuuu ouuuuuuh », nous aurions été deux coureurs comme les autres.

Contents d’avoir partagé le bonheur d’une course ensoleillée dans la montagne, un petit matin de printemps.

***

Dimanche prochain, « guidé » par un ami coureur, Marco Dubreuil va courir le 5km du défi Scotia au profit de l’Institut Nazareth. Leur but est de courir la distance en 25 minutes. Avis aux intéressés, Marco habite Verdun et il cherche un (ou plusieurs) guide pour un entraînement en vue de son premier 21.1 km.

On lui écrit à dubreuil.marco@gmail.com

http://fr.wikipedia.org/wiki/Amaurose_congénitale_de_Leber

http://www.inlb.qc.ca

***

Geneviève Lefebvre est l’auteur de deux romans noirs, Je compte les morts et La vie comme avec toi, tous deux salués par la critique. Son dernier roman, Va chercher, vient d’être acheté par la maison d’édition Robert Laffont, et sortira en France en avril 2015.

 

 

 

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