L'édito

200 livres plus tard…

La lecture, un passeport vers la découverte.

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Je me souviens de lui comme si c’était hier. Il était vieux et sentait un peu le moisi. Pourtant, il m’a séduite. Que dis-je, il m’a envoûtée ! Il s’appelait Peter. Peter Pan. Et sa vingtaine de pages, un peu jaunies, m’ont dépaysée plus que tous les livres et voyages qui allaient lui succéder.

Avec lui, malgré mes quatre ans, j’ai pu voler au Pays imaginaire, parler aux sirènes et faire la fête avec les Garçons perdus. Je ne savais pas encore lire, mais ma mère acceptait de me raconter jour après jour la version disneyenne de ce classique imaginé par James Matthew Barrie au début du 20e siècle. Après tout, c’était sa faute, ce coup de foudre ; elle avait conservé pour moi cet album qui avait appartenu à ses jeunes sœurs.

Au plus fort de ma lune de miel avec Peter, la senteur de moisi de ses pages a fait place à celle des biscuits graham au chocolat que j’avais le droit de grignoter durant l’histoire. Après avoir passé une trentaine d’années dans ma bibliothèque, le bouquin à la reliure maintenant moribonde a retrouvé son odeur rance. Mais quand il m’arrive de l’ouvrir pour mes enfants, l’effluve sucré me revient en tête.

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Ce n’est qu’une fois adulte que j’ai saisi que, à l’époque où je combattais Capitaine Crochet pour sauver Clochette, nous n’avions pas beaucoup de sous. Nous vivions dans un quatre-et-demie d’un secteur pauvre de Pierrefonds, dans l’ouest de Montréal. Une brève parenthèse avant de revenir à nos racines laurentiennes. Pourtant, je me sentais riche et invincible. Pour être tout à fait honnête, je me prenais pour une princesse. Ben, quoi ? J’avais tout : des parents fous de moi, une maison chaude qui sentait bon le poulet rôti ou la sauce à spagh et des livres. Plein de livres.

Je ne sais pas combien de bouquins j’ai pu dévorer. Probablement des centaines – entre 7 et 20 ans, je lisais tout le temps. Mais rien qui ferait bonne impression dans un cercle d’intellos. J’ai même loupé bien des incontournables de la littérature. Mes lectures servaient essentiellement à rêver, à m’émouvoir et à comprendre ma société. Une promesse que peuvent tenir bon nombre de livres qui ne seront jamais en lice pour un Goncourt.

La lecture a marqué plusieurs étapes de ma vie. C’est d’ailleurs en lisant un des numéros de L’actualité qui traînaient chez moi, que j’ai décidé, à 14 ans, de devenir journaliste. Je ne me rappelle plus la page couverture, ni avec précision l’analyse politique et le reportage sur l’Afrique qui ont retenu mon attention. Mais je me souviens clairement de ce que j’ai ressenti. Pour la première fois, les bribes d’informations glanées à la télé et auprès des adultes s’alignaient pour former un tout clair, cohérent. Et compréhensible pour l’ado que j’étais. Une révélation.

À partir de ce moment, j’ai voulu, dans toute ma candeur, faire partie des gens qui offraient des clés pour que le monde s’ouvre à tous.

Encore maintenant, si je souffre, m’inquiète ou m’interroge, mon premier réflexe est de trouver réponse dans les livres. Mais, ces jours-ci, j’ai beau chercher, je n’arrive pas à dénicher d’explications satisfaisantes. Celles qui m’aideraient à comprendre comment il est possible qu’en 2014, près de la moitié des Québécois soient quasi analphabètes – plus du tiers des jeunes de 16 à 25 ans.

Dans le lot, des décrocheurs et des gens de milieux défavorisés, bien sûr. Mais aussi de plus en plus de travailleurs qui gagnent bien leur vie. Pour eux, la lecture et l’écriture n’auront servi qu’à obtenir un diplôme. Elles n’auront jamais été un passeport vers la découverte.

Oh, ils arrivent bien à rédiger une note ou à remplir un formulaire, mais pas une lettre convenable pour une demande d’emploi. Ils peuvent lire une petite annonce et décoder ce texte. Mais ils n’en saisiront pas les nuances.

Pourtant cette situation ne semble pas être un enjeu prioritaire pour notre gouvernement. Du moins à l’heure de l’austérité. On nous dit que les investissements en éducation promis lors de la campagne électorale ne seront possibles qu’après le retour à l’équilibre budgétaire. D’ici là, combien d’enfants seront privés du Pays imaginaire?

Un vrai cadeau
Cet automne, j’achète un livre neuf pour un enfant défavorisé. Si ça vous intéresse aussi, visitez le site La lecture en cadeau de la Fondation pour l’alphabétisation.

Crystelle Crépeau (Photo : Maude Chauvin)

Crystelle Crépeau (Photo : Maude Chauvin)

Crystelle Crépeau, Rédactrice en chef
crystelle.crepeau@chatelaine.rogers.com

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