Forme

Ce ventre qui nous obsède

Centre névralgique du corps, siège de la féminité, notre ventre reste pourtant un territoire fragile, lourd de symboles. À libérer et à chouchouter.

Vérifiez-le au kiosque à journaux : il se passe rarement un mois sans qu’un magazine féminin annonce en page couverture un article sur les secrets d’un ventre plat. Et ces dernières années, les livres qui traitent de maux de ventre ou d’exercices pour faire travailler ses muscles abdominaux ont la cote : le mot ventre fait vendre.

Sommes-nous à ce point obsédées par nos bedaines et ce qui se passe à l’intérieur ? « J’y pense beaucoup plus depuis que j’ai passé le cap de la trentaine, dit France Gaignard, une recherchiste télé de 32 ans. À 20 ans, j’avais le ventre plat comme une galette. Aujourd’hui, j’ai un léger renflement, presque rien, mais j’en ai honte et je suis portée à le dissimuler. Je m’en veux de réagir comme ça. Je vois des filles que ça ne complexe pas du tout d’exhiber quatre pneus superposés et j’envie leur décontraction. »

Malgré un accouchement qui ne date que de quelques mois, Renée Michaud, ingénieure au début de la trentaine, a le ventre parfaitement plat. Un sans-faute à faire pâlir d’envie des filles plus jeunes. « J’ai eu la chance de retrouver ma silhouette assez vite, dit-elle. Mais pendant ma grossesse, je n’aimais pas du tout l’idée de me retrouver bedonnante. Ça me rendait anxieuse. »

Vive le ventre libre !
Marie-Josée Lavoie, une danseuse à la mi-trentaine originaire de l’Estrie, est fière au contraire de ses formes voluptueuses. Dans sa profession, c’est même un must puisqu’elle danse et enseigne le baladi (la fameuse danse du ventre) sous le nom de scène de Samia. « Dans cette danse de la fécondité, il faut sortir le ventre pour le faire onduler. Traditionnellement, c’est mieux avec quelques rondeurs ! J’ai un physique très oriental, avec un ventre légèrement bombé, des hanches larges. Les spectateurs du restaurant marocain où je danse adorent ça. Ils remarquent tout de suite quand je maigris. »

Le baladi exalte le ventre féminin. Il y a 18 ans, Samia a abandonné la danse contemporaine pour s’y consacrer. « C’est une danse sacrée, née en Égypte il y a des millénaires. On doit voir le ventre bouger, ce qu’on obtient avec diverses contractions musculaires. S’il est trop plat, il n’y a aucune vibration possible. »

Dans ses cours, elle observe des ventres de toutes les dimensions. « J’ai même eu une élève enceinte, qui a accouché quatre jours après notre spectacle de fin d’année au Club Soda, à Montréal : 65 ventres de femme sur scène ! Il arrive de plus en plus de filles aux abdos très découpés, qui ont fait beaucoup de sport. Ce genre de ventre dur ne convient pas pour le baladi. »

En faisant un mouvement de vague, le ventre masse les organes internes. « Mes élèves sortent souvent du cours dans un état euphorique. Plusieurs ont vu diminuer leurs douleurs menstruelles. »

Le langage du ventre
À première vue, on pourrait croire que la mode du ventre découvert, des piercings au nombril, de la bedaine de femme enceinte joyeusement moulée, prouve que le ventre s’est enfin libéré. « C’est vrai chez bien des jeunes filles, dit l’anthropologue québécoise Marguerite Soulière, qui étudie la perception du corps chez les adolescents. Beaucoup portent des t-shirts bedaine sans s’en faire si elles ont un peu de ventre. Une absence de poitrine les complexe davantage. »

À son avis, les choses changent après 30 ans. « Le corps parle pour nous. Pour les femmes dans la trentaine, les gros ventres sont synonymes de relâchement, de laisser-aller. À l’inverse, un ventre plat signifie qu’on contrôle sa vie, qu’on dirige sa carrière. » La femme performante a un ventre plat, elle sculpte son corps par le sport et la volonté. Elle est ainsi conforme aux critères actuels de beauté, de réussite et de richesse. L’anthropologue ajoute qu’on peut aussi faire un lien entre notre obsession de la silhouette androgyne et la baisse de fécondité des sociétés occidentales.

Cela dit, le ventre plat est plutôt l’exception que la norme : seulement un petit pourcentage, 5 % de la population, a naturellement la morphologie des mannequins. Ce qui n’est pas forcément un signe de santé : une étude portant sur des top-modèles parisiennes a montré qu’elles sont souvent en dessous de leur poids santé.

Pendant un séjour au Rwanda, Marguerite Soulière a observé un saisissant contraste entre nos critères de beauté et ceux de ses hôtes. « Je venais d’accoucher et j’étais fière de mon ventre plat. Pour les Rwandaises, cela n’avait aucun sens. Au contraire, les jeunes mères paradaient avec leur ventre rebondi, qui correspond là-bas aux critères de beauté : au Rwanda, ce sont les maigres qui souffrent. »

Le bedon sous le bistouri
Chaque mois, nous maudissons les menstruations qui nous donnent l’impression d’exploser dans nos jupes, mais, au fond, quoi de plus naturel ? Un ventre de femme se gonfle tous les mois. Pendant la grossesse, il devient le seul pôle du corps, l’objet d’une attention de tous les instants : on est à l’affût de la moindre douleur suspecte, de chaque mouvement du bébé…

Plus nous vieillissons, plus le métabolisme ralentit. Pour la plupart d’entre nous, cela se traduit par une prise de poids progressive, variable d’une femme à l’autre, entre 30 et 50 ans. Certes, contrairement aux hommes, chez qui le gras se fixe autour de l’abdomen, les femmes, en règle générale, voient le surplus de gras se retrouver sur leurs fesses et leurs cuisses ; mais le ventre reçoit aussi sa part. D’autant plus que le tassement des vertèbres – avec l’âge, les vertèbres s’affaissent graduellement -accentue le renflement abdominal. « La peau et les muscles se relâchent, particulièrement après les grossesses et la ménopause », explique Élise Bernier, omnipraticienne spécialisée en chirurgie esthétique abdominale.

La tolérance zéro pour le petit bedon incite beaucoup de femmes de 35 à 45 ans à lorgner du côté de la chirurgie plastique et esthétique. « Cette tranche d’âge forme l’essentiel de ma clientèle, dit Élise Bernier. Il s’agit surtout de femmes qui ont eu des grossesses et qui veulent perdre leurs poignées d’amour ou supprimer un excédent cutané. Quant aux vergetures, il n’y a pas de traitement, mais si on enlève de la peau sous l’ombilic, elles se voient moins. » Pour remédier au relâchement musculaire, le plasticien peut resserrer les attaches musculaires ou la gaine qui entoure le muscle. « Toutes les chirurgies plastiques abdominales sont très douloureuses », avertit la docteure Bernier.

La liposuccion élimine la graisse en surface, mais ne peut rien contre celle qui, à la ménopause, s’accumule en profondeur, autour de l’intestin. « Au Québec, depuis une dizaine d’années, on constate une très forte montée de la demande de chirurgie plastique abdominale, dit la docteure Bernier. On n’a toutefois pas de statistiques précises sur ces interventions, qui se font le plus souvent en clinique privée et ne sont donc pas comptabilisées dans les données des services publics. »

On sait par contre qu’aux États-Unis le nombre de liposuccions a grimpé de 389 % entre 1992 et 1999, d’après les chiffres de l’American Society of Plastic Surgeons. Et qu’en France les opérations de plastie abdominale s’élèvent à 12 % des interventions, plus que les liftings du visage qui, eux, en représentent 10 %. « Il ne faut pas avoir d’attentes irréalistes, met en garde Élise Bernier. Malgré ce que font miroiter les métamorphoses extrêmes à la télévision, le bonheur n’est pas dans la chirurgie esthétique. C’est seulement une solution quand on a essayé tout le reste : l’exercice et un bon régime. »

Maux du passé
Au-delà des problèmes d’apparence, le ventre peut faire souffrir de l’intérieur. Et sur ce plan, les femmes sont durement touchées. « Dans tous les pays du monde, à l’exception de l’Inde, dit le docteur Ghislain Devroede, spécialiste en chirurgie colorectale à l’Université de Sherbrooke et auteur de Ce que les maux de ventre disent de notre passé (Payot), les femmes sont plus nombreuses que les hommes à venir consulter pour une colopathie fonctionnelle – ou syndrome de l’intestin irritable. »

Le professeur Jacques Rogé, spécialiste français de l’appareil digestif et auteur du Mal de ventre (Odile Jacob), observe également que les troubles fonctionnels intestinaux représentent de 20 % à 25 % des consultations des généralistes et touchent deux fois plus de femmes que d’hommes. Pour ces patientes, le ventre est une gêne permanente. Elles le perçoivent « comme un organe qui sans cesse s’active, grouille, se distend, produit des bruits sourds… » Le tout régulièrement accompagné de ballonnements et d’une alternance de constipation et de diarrhée.

Même s’il n’est causé par aucune lésion ni infection, le syndrome de l’intestin irritable n’est pas pour autant une « maladie imaginaire ». Le docteur Ghislain Devroede, après avoir remarqué qu’on avait trop facilement recours au scalpel pour soigner des maux de ventre récurrents, a mis au point une méthode de traitement qui fait appel à la communication non verbale et à la dynamique des relations personnelles. « Dans bien des cas, cela a permis d’éviter des opérations inutiles et de remonter aux sources des maux de ventre, dit-il. Ceux-là peuvent être liés à un excès de stress ou au passé, particulièrement quand la patiente a enfoui une agression sexuelle au fond de son inconscient. »

Centre de vie et de vitalité, le ventre est aussi un point névralgique. « C’est un lieu très chargé émotivement, dit la psychologue Louise Fréchette, spécialisée en analyse bioénergétique. D’abord, c’est le siège de notre vulnérabilité. Quand on travaille sur le corps, on constate souvent que les impulsions agressives circulent dans le dos, le long de la colonne vertébrale, alors que les sanglots profonds partent plutôt du ventre. » Avec la peau, c’est le principal lieu de somatisation. Il est souvent noué par le stress ; par exemple, avant un examen ou une entrevue.

De plus, le ventre contient et protège les organes génitaux féminins, alors que ceux de l’homme sont externes. Toute une différence ! Cette ouverture a longtemps fait du ventre féminin un territoire anatomiquement vulnérable, d’autant plus précieux qu’il était strictement réservé à l’époux légitime.

Au cours des siècles, il fut un butin de guerre pour les armées victorieuses. Et il le reste : dans la plupart des conflits sanglants de la planète – en Bosnie, au Rwanda, etc. –, le viol est une arme de guerre. « En s’en prenant au ventre des femmes, dit Louise Fréchette, les vainqueurs s’en prennent à l’identité de tout un peuple. »

Entre tête et ventre
Le ventre n’en finit pas de nous surprendre. Une thèse récente fait de lui une zone douée d’intelligence, un « deuxième cerveau », comme l’a dit le docteur Michael D. Gershon, de l’Université Columbia, à New York, dans son best-seller The Second Brain. Et ce n’est pas une simple métaphore : le ventre abrite un réseau complexe de neurotransmetteurs et de neuromodulateurs, identiques à ceux du cerveau. En outre, l’intestin produit de 70 % à 85 % des cellules immunitaires qui nous protègent contre les maladies graves.

Conseils pour un ventre sain
Voici comment dénouer un ventre transformé en sac de nœuds :

  • Renforcez votre musculature abdominale par des exercices quotidiens. Quand notre « gaine » naturelle se relâche, les conséquences ne sont pas qu’esthétiques. Cela peut nuire aux organes internes, mal soutenus, et engendrer des maux de dos, la courbure vertébrale étant accentuée.
  • Marchez d’un bon pas, au moins une demi-heure par jour. La marche impose un rythme qui amène à respirer calmement.
  • Pratiquez la respiration abdominale, qui peut soulager un ventre noué par le stress. C’est la respiration profonde, celle que le bébé connaît pendant les premières heures de sa vie… mais qu’il oublie ensuite. « Quand il fait face à des expériences frustrantes, l’enfant réduit sa respiration pour moins ressentir la douleur, dit la psychologue Louise Fréchette. En faisant cela, il contracte son diaphragme, réduit la mobilité de ses muscles thoraciques. La tension s’installe. »
  • Prenez le temps de manger.
  • Évadez-vous dans des activités relaxantes. Pourquoi pas le yoga ?
  • Retapez votre intestin grâce à un régime riche en fibres.
  • Massez-le : le ventre est extrêmement sensible au toucher.
  • Dansez ! « C’est la joie de vivre, dit Samia, spécialiste du baladi. La danse fait tout vibrer à l’intérieur. »

<a class="linkregular" href="article.jsp&page=« >

<a class="linkregular" href="article.jsp&page=« >

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.