
« Nous recevons souvent les déçus de la psycho, ceux qui cherchent un dialogue plutôt qu’un monologue, explique Sophie Guillet, philosophe praticienne. Notre méthode est simple : nous accompagnons la personne dans un cheminement de pensée afin qu’elle trouve elle-même la bonne réponse à ses questions. »
La technique remonte à l’Antiquité, avec Socrate. Le philosophe aimait se promener dans la cité et aider ses interlocuteurs à « accoucher d’eux-mêmes ». Par ses questions adroites et parfois malicieuses, il les conduisait à revoir leurs certitudes pour mieux atteindre la sagesse.
« Le siècle dernier a été celui de la psychanalyse, nécessaire à notre société occidentale qui vivait dans le refoulement, dit Bruno Magret, enseignant et philosophe praticien. Aujourd’hui, tout le monde s’exprime, mais tend à raisonner de travers. On est isolés, on ne dialogue plus, donc on ne raisonne plus. Ou seulement à court terme et en vue du profit. On a besoin de (re)trouver le bon sens et la logique. »
Depuis quelques années, la philosophie est ainsi peu à peu revenue sur le devant de la scène. Les cafés philo, la philosophie pour les enfants, les ateliers de discussion, les consultations et même les voyages philosophiques sont autant d’approches qui ont permis au grand public de goûter au plaisir de philosopher… À Montréal, des réunions intitulées « Philo sans fumée » ont ainsi réuni, depuis 2000, informaticiens, médecins, enseignants, étudiants, camionneurs, artistes, chômeurs, fleuristes, réceptionnistes, comptables… partageant la même envie de philosopher. « Le niveau des réflexions philosophiques s’adapte de façon magique à la clientèle puisqu’elles s’adressent à chacun dans sa qualité d’être humain sans égard à sa classe sociale », explique le conseiller philosophique montréalais François Brooks, à l’origine de ces rendez-vous.

Les consultations philosophiques ne seraient donc pas une simple mode. Elles répondraient à un besoin fondamental et vital de l’humanité.
Mais si la philosophie tend à se pratiquer sous forme de consultation en tête à tête, elle se défend de toute démarche thérapeutique et se positionne aux antipodes de la psychothérapie.

Elle poursuit : « Le principe est somme toute assez simple. Nous partons de la question personnelle pour nous positionner au niveau de la civilisation. Le philosophe laisse l’inconscient de côté. Il ne relève pas les lapsus. Avec son client, il s’intéresse au sens des mots, des concepts. Une façon de mieux apprendre à raisonner, de se détacher de sa propre histoire pour avoir un regard beaucoup plus objectif. En somme, il s’agit de déplacer le curseur et de prendre de la hauteur. »
Clara (elle a demandé de taire son nom de famille), 32 ans, était en période de chômage. Sans travail – elle avait été assistante en production télévisuelle –, elle se sentait déboussolée, inutile et mise au ban de la société. La philosophie l’a aidée à retrouver une certaine sérénité. « Je me demandais si j’existais vraiment sans travail… Le philosophe que j’ai rencontré m’a permis de formuler mes doutes autrement. Ensemble, nous avons établi la véritable question à laquelle il fallait répondre : “Le travail est-il la seule reconnaissance sociale ?” En tête à tête pendant une heure, nous avons essayé de comprendre ce que représentent concrètement le travail, la reconnaissance et la société, mais tout cela d’un point de vue universel. »

« Cet exercice n’est pas facile car il remet beaucoup de choses en cause. Certains prennent peur et cessent immédiatement la consultation, explique Bruno Magret. D’autres y découvrent le plaisir de l’exploration de la raison, la véritable quête de sens et vont de l’avant dans la recherche la plus passionnante qui soit : le sens de la vie. »
Pour Clara, ce fut l’occasion de comprendre à quel point, au-delà de son chômage, elle était prisonnière du regard des autres et de percevoir qu’elle ne prenait vraiment pas assez en considération sa vie intérieure et le reste de l’Univers. « Cela m’a permis de prendre du recul et de me pencher sur des questions plus spirituelles… »
Une chose est sûre, il ne faut pas avoir peur de se triturer le ciboulot et d’accepter de sortir de ses schémas classiques de pensée. Toute idée préconçue, toute certitude peut être amenée à vaciller. « Il faut parfois même mourir à soi-même pour mieux renaître », résume Bruno Magret.
Quelles que soient les motivations de départ, la philosophie semble apporter les mêmes bénéfices à ceux qui s’y plongent : capacité de prendre du recul, possibilité d’avoir des relations plus détendues avec les autres et le monde qui les entoure, apprentissage à aller à l’essentiel.
Mais les psys ne voient pas forcément d’un bon œil ces nouvelles pratiques. La philo pourrait-elle faire de l’ombre à la psycho ? Les philosophes consultants s’accordent à dire qu’ils ne sont pas là pour soigner et n’hésitent pas, si nécessaire, à diriger la personne vers des psys.
Pour François Brooks, il s’agit d’être précis. « Il est important de bien comprendre le rôle spécifique de chacun. La philosophie est, à mon sens, un tronc commun auquel viennent se greffer toutes les sciences humaines, un peu comme le médecin généraliste par rapport au spécialiste. »
Incontestablement, l’une n’empêche pas l’autre. Bien au contraire, elles se complètent. Car, comme l’écrivait, il y a quelques années, le philosophe Bruno Giuliani dans le magazine français Psychologies : « La “psy ” soigne les névroses qui empêchent le bonheur, la “phi” développe les vertus qui permettent le bonheur. La première donne santé et équilibre, la seconde, joie et sérénité. »