La grande maison que j’habite, achetée il y a deux… décennies, a plusieurs atouts, dont l’un n’est pas si fréquent: une pièce du sous-sol est insonorisée. C’est que la précédente propriétaire était psychologue et elle tenait bureau à la maison.
L’aménagement des lieux se prêtait bien à sa pratique. Par la porte principale, on peut descendre directement sans passer par l’étage de résidence. Au sous-sol, une grande pièce faisait, pour elle, office de salle d’attente; la pièce insonorisée, c’était son bureau de consultation, doté en plus de deux portes, ce qui permettait de sortir sans croiser le patient suivant.
Notre petite famille a transformé la grande pièce en salle de jeux, et le bureau de la psy est devenu une chambre d’ado, étouffant les sons dérangeants. On n’aurait pu rêver mieux!
Quelques années plus tard, ce fut à mon tour de consulter une psychologue. Elle aussi travaillait à la maison et elle avait transformé une toute petite pièce en salle d’attente, juste assez éloignée de l’entrée pour qu’on ne puisse voir qui venait la consulter. Ça faisait bien mon affaire –et j’ai mieux mesuré à quel point les deux portes du bureau de notre ancienne proprio était un aménagement astucieux.
Je notais par ailleurs la sobriété de la décoration, qui faisait presque oublier qu’on était dans une résidence privée. Néanmoins, une collection d’orchidées attirait l’attention.
C’est tout aussi sobre chez ma médecin de famille, qui a aussi son bureau dans sa demeure. Celui-ci est tout à côté de la porte d’entrée; dans le hall, les chaises d’attente sont alignées devant les portes fermées derrière lesquelles se trouvent le salon et d’autres pièces privées. Une totale discrétion.
N’empêche que pour aller à la toilette réservée aux patients, il faut traverser la cuisine familiale. Or, en plusieurs années de fréquentation, je n’y ai jamais rien vu traîner; tout est même d’une propreté méticuleuse. Pourtant ma doc a deux enfants. La mère en moi mesure l’exploit…
Tout ça pour dire qu’un ouvrage consacré aux bureaux de thérapeutes, ici des psychologues, ne pouvait que m’interpeller. L’espace de la relation (éditions Varia) est signé Francis Levasseur.
L’auteur, lui-même psychologue, a interviewé dix de ses confrères et consoeurs de la région montréalaise qui pratiquent en institution, en bureau privé ou à la maison pour parler de leur espace de travail. Rien d’autre.
Mais ça en comprend des affaires! Du quartier où leurs locaux sont situés jusqu’au cadre de porte, en passant par la lumière, le fauteuil, les mouchoirs, même les magazines de la salle d’attente… tout est mis sur la table. Et il y a beaucoup à dire. Car, curieusement, les lieux de pratique des psychologues n’ont jamais été vraiment étudiés.
Le mot «curieusement» s’applique parce que si plusieurs professionnels reçoivent des clients dans des bureaux à eux, chez les psys cela prend une dimension particulière. Vu leurs connaissances de la psyché humaine, ceux-ci réfléchissent vraiment à leur environnement et s’en servent dans leurs consultations.
Ainsi de l’insonorisation. Pas pour rien que cette particularité de ma maison m’a tant frappée dès la première visite: c’est la préoccupation numéro un de tous les psys interrogés! La confidentialité, c’est le sens même de leur relation avec un patient, et il faut pouvoir la lui assurer, ce qui relève souvent du défi.
Mais ce qui m’a surtout happée, ce sont les détails pris en considération dans ce bouquin.
Il n’est donc pas surprenant que j’aie souvenir des orchidées de ma psy. Dans la section consacrée aux plantes, l’auteur note que de tous les éléments du décor, ce sont elles qui suscitent le plus de commentaires de la part des patients.
«La raison en est que les plantes et les patients partagent une relation analogue au thérapeute, qui est en quelque sorte responsable de leur soin.» Ah, ben oui… Or l’orchidée (car il en parle!) exige «une attention soutenue»… Fiou, les orchidées de ma sympathique psy étaient superbement entretenues!
La boîte de kleenex cache quant à elle tout un monde d’interprétations. Déjà, contrairement aux plantes, aux magazines ou aux tableaux accrochés au mur, elle est indispensable. Avec le fauteuil, c’est «presque la signature» d’un bureau de psy, écrit l’auteur. Et son message est clair: ici, on peut pleurer.
Dès lors, ce que fera le patient nourrira l’analyse du thérapeute. Les larmes coulent mais il refuse de prendre un mouchoir ou s’excuse de le faire? Il jette le kleenex, le met dans sa poche, le garde dans son poing toute la séance? Tout ça parle autant que des mots…
D’autres sections du livre pourraient s’appliquer à bien des milieux de travail. La salle de bain est exemplaire à cet égard.
En soi, elle est synonyme d’intimité, ce qui ne sied guère à la distance qui doit exister entre un thérapeute et un patient. Quand le psy travaille à domicile, il cherche donc à sortir de cette pièce, ou à camoufler, tout objet qui lui est personnel.
En institution, c’est plutôt le fait que patient et thérapeute peuvent s’y croiser qui casse un rapport tenu de rester strictement professionnel. Malaise. Et on réalise, en tournant les pages, qu’il y aurait tout un livre à écrire sur l’impact de la disposition, ou de l’utilisation, des salles de bain en général! Sur le lien d’autorité notamment ou les interactions entre collègues… ou entre amis.
Pareil pour le cadre de porte, petit espace ignoré et pourtant riche d’enseignement. Car il est la frontière entre les secrets du bureau et le monde extérieur. Tout étroit soit-il, c’est donc le lieu des échanges anodins à l’entrée, sur la météo par exemple, puis, quand on en sort, pour faire le point de manière informelle sur ce qui vient de se discuter. Comme si sur le seuil, chacun quittait le rôle «officiel» qu’il vient de tenir pour redevenir lui-même. Et ces échanges-là peuvent se prolonger, contrecarrant presque la rencontre formelle qui a eu lieu.
Cette dynamique existe dans tous les bureaux, même si on ne le réalise pas. Les psys, eux, ont connaissance de ce qui s’y déroule, donc «gèrent» leur cadre de porte!
Bien sûr, cet ouvrage passionnera les gens qui ont déjà consulté un psy, ou qui oeuvrent dans le domaine. Mais son intérêt me semble plus large: l’aménagement de notre quotidien n’a décidément rien d’anodin.
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Journaliste depuis quelque 35 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres. En 2019, elle a publié J’ai refait le plus beau voyage (éd. Somme toute) et Ce jour-là, Parce qu’elles étaient des femmes (éd. La Presse) soulignant les 30 ans de la tuerie de Polytechnique.
Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.