Famille tout compris

Pour le droit de chialage des mères

Vous l’avez voulu, votre enfant? En plus vous vivez dans des conditions privilégiées en Occident? Pas le droit de vous plaindre!, diront certains. Marianne Prairie n’est pas de cet avis.

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En parcourant le dossier sur la maternité concocté par mes collègues pour le numéro de mai 2015 de Châtelaine (J’adore mes enfants, mais j’en peux pus!, La mère indigne suite et fin, Être mère mènerait-il au burnout?Le ras-le-bol d’une mère moderne), j’en suis venue à la conclusion suivante : on ne chiale pas assez. Pas assez pour exorciser le stress et les nombreux WTF que les mères d’aujourd’hui vivent au quotidien. Il y a un manque à gagner qui forme une boule dans nos estomacs et nous empêche de dormir la nuit. Il y a encore trop de choses qu’on ravale pour ne pas gosser son prochain, pour ne pas paraître poche, pour ne pas se faire dire qu’on se plaint pour rien.

Il y a toujours quelqu’un, quelque part, qui est prompt à nous rappeler que nos litanies sont irrecevables parce que d’autres vivent pire. Selon certains, à moins d’être une veuve cancéreuse devant s’occuper de huit enfants dont trois handicapés dans une zone de guerre ravagée par l’Ébola et la sécheresse, vous ne devriez pas faire état de vos difficultés familiales en public. Votre enfant était désiré? Pas le droit de chialer. Vous l’avez cherché. Tant pis. Vous auriez dû y penser avant. Tut tut tut! Pas un mot.

Ce raisonnement me fait rouler des yeux jusqu’à tomber dans les pommes. Hé, je sais pertinemment que j’ai les fesses bordées de privilèges et que mes soucis n’ont rien à voir avec ceux de milliards de mères en état de survie. RIEN À VOIR. J’ai beau être très myope, je suis capable de voir plus loin que mon nombril (mou) et quand je relativise, j’apprécie la perspective que ça me donne. Fou, hein?

Mais en quoi est-ce que cela me réduirait au silence? Pourquoi cela m’empêcherait de m’exprimer sur ce que je vis, sur ce que je ressens? Et de quelle façon déterminez-vous que j’ai trop souhaité être une mère pour me prononcer à ce sujet? Y’a un test?

Être consciente et empathique à la souffrance des autres, c’est une chose. Une bonne et belle chose. Mais elle est tout à fait distincte du besoin de ventiler sa maternité. De la nécessité de nommer les niaiseries qui nous rendent folles et les drames qui nous font sentir impuissantes. De l’essentiel acte libérateur qu’est se plaindre tout à fait gratuitement à sa gang de chums, à sa coiffeuse ou tout autre adulte consentant.

Photo: iStock

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Chialer, c’est être vulnérable et égoïste, deux faces plus sombres que les mères n’ont pas le droit d’afficher. C’est suspendre le brouhaha familial le temps de crier un peu plus fort. C’est sortir le méchant pour qu’il cesse de nous bouffer de l’intérieur et qu’on puisse le regarder avec un peu de recul : c’est ça qui se passe, pis, tiens, ça m’affecte.

Chialer, c’est se permettre de vivre ces émotions brutes, sans filtre, même quand elles ne sont pas jolies jolies. C’est débriefer le chaos, c’est raconter son histoire, c’est partager le fardeau. C’est s’approprier son expérience de la maternité et revendiquer : «C’est de même que je vis ça, être une mère!»

Et la beauté du chialage, c’est qu’une fois que c’est terminé, on se sent déjà mieux. Pas besoin de trouver de solution ou de penser à un plan d’action, nonon. Être entendue, c’est suffisant. (Pssst, la Ligne Parents est un super service d’écoute.)

Alors contre le burnout parental, prenons exemple sur nos enfants quand quelque chose ne fait pas leur affaire : chialons. Ça fera plus de place en-dedans pour respirer.

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