Châtelaine : Malgré leur longue lutte pour la liberté, les Haïtiennes vivent encore sous le joug patriarcal. Que fait votre gouvernement pour changer les choses ?
Michelle Pierre-Louis : Je tiens d’abord à dire que le pays vit une situation extrêmement difficile. Ce n’est pas tant le fait des catastrophes naturelles que des nombreuses années de mauvaise gestion des biens publics. La population s’attend à ce que tous les problèmes soient réglés le plus vite possible. Je comprends son impatience, mais c’est irréaliste. J’occupe les fonctions de premier ministre depuis le 5 septembre 2008 et je me rends compte de l’immensité de la tâche. Il faudra du temps pour changer les choses.
Cela dit, pour répondre à votre question, grâce à une étroite collaboration avec les organisations de femmes, le ministère à la Condition féminine et aux Droits des femmes a fait voter par le Parlement un certain nombre de lois interdisant la discrimination envers les femmes [le Code pénal punit désormais les violeurs et agresseurs sexuels. Et l’adultère au féminin a été dépénalisé]. Le Ministère travaille aussi à un projet de loi sur la paternité responsable [incitant les pères à s’occuper de leurs enfants]. En plus de ces actions, le Ministère a entrepris de nombreuses campagnes de sensibilisation pour dénoncer les comportements discriminatoires à l’égard des femmes.
En 2008, le gouvernement haïtien devait présenter aux Nations unies un rapport complet sur les droits des femmes en Haïti. Qu’en est-il ?
La ministre à la Condition féminine et aux Droits des femmes a présenté aux Nations unies, en janvier dernier, le rapport complet sur la situation des droits des femmes en Haïti, conformément à l’article 18 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Même s’il reste encore beaucoup à faire, il y a eu des avancées. On les doit, d’une part, aux organisations de femmes qui militent depuis une vingtaine d’années pour dénoncer les inégalités entre les hommes et les femmes et, d’autre part, au fait qu’elles ont pu mener leur combat sur les plans institutionnel et juridico-légal. Le pays a rattrapé un retard de 25 ans.
Le Carnaval est le moment phare de l’année pour tous les Haïtiens. Mais les images qu’il véhicule sont fondées sur des stéréotypes sexuels tenaces…
Chaque année, le ministère à la Condition féminine évalue les paroles des chansons, observe la tenue des danseurs, leurs gestes, afin d’anticiper à quoi ressembleront les trois jours « gras ». Le Carnaval représente le temps de la transgression, un moment de débordement. L’essentiel pour l’État consiste à mettre en garde la population contre les obscénités et la vulgarité excessive, donc de mettre davantage l’accent sur la fête.