Ce que je faisais avant
J’ai travaillé dans le commerce de détail pendant 30 ans, ces dernières années comme directrice marketing pour l’Amérique du Nord chez Yves Rocher. Je gagnais un très bon salaire, j’avais une maison à Ville Mont-Royal… Le gros kit ! [Rires] Quand ils venaient chez nous, les amis de ma fille s’exclamaient : «Votre vie est parfaite !»
Ce que je fais maintenant
J’ai tout quitté, il y a six ans, pour devenir artiste céramiste. Mon entreprise, Looks Like White, emploie maintenant cinq personnes. Je crée des collections de vaisselle aux lignes pures, très «organiques». Mes pièces, entièrement faites à la main, sont vendues jusqu’aux États-Unis, sur le site Food 52.
L’élément déclencheur
Mon party de 50 ans. C’était très étrange, je me sentais coupée de mes émotions. C’est là que j’ai attaqué de front un sentiment qui me chicotait depuis longtemps : je n’avais pas envie de vivre les 25 prochaines années comme j’avais vécu les dernières, à crouler sous une énorme pression professionnelle. Il fallait que je fasse un virage, et cet appel était plus fort que tout.
Ce qui me manquait
La créativité, une partie fondamentale de mon être depuis l’enfance. J’ai l’impression que la vie m’a d’abord poussée dans une direction qui ne me correspondait pas tout à fait. J’étais capable de prendre des décisions rapidement, si bien qu’on m’a vite confié des responsabilités. À 18 ans, je gérais déjà un département à La Baie ! Je grimpais sans cesse les échelons, je faisais de plus en plus d’argent… Mais quelque chose en moi n’était pas nourri.
J’ai eu une révélation…
Quand j’ai commencé à faire de la céramique dans un centre communautaire, un peu avant de quitter mon poste chez Yves Rocher. Ça me faisait un bien immense. Pour moi, le contact avec l’argile a le même effet que la méditation pour d’autres. Lorsque je la façonne, je perds la notion du temps, j’entre dans un état profond de calme et de concentration. J’ai décidé que c’était le sentiment que je voulais éprouver au quotidien pour le reste de mes jours.
Le plus difficile dans un virage…
C’est d’abandonner son ancienne identité. J’avais mis des décennies à bâtir la Trudy Crane spécialiste en marketing. Et je ne savais pas qui était la nouvelle moi. Je voulais changer, mais je n’étais pas certaine d’en être capable. J’ai dû me parler dans le casque pour me convaincre que c’était la chose à faire.
Les pertes
Le succès de ma collection de vaisselle n’a pas été instantané, il a fallu trois ans pour que mon affaire soit rentable. Et encore là, mon revenu est loin de ce qu’il était autrefois. Mais ça ne me manque pas. Avant, je dépensais beaucoup pour compenser, pour combler des vides. Quand on aime profondément ce qu’on fait, la pulsion de consommer pour consommer disparaît.
Les gains
Je vais sans doute passer pour une illuminée, mais je n’ai jamais été aussi en accord avec ce que je suis réellement. On ne peut pas se tromper quand on suit le chemin vers soi. Je suis remplie de joie jour après jour, en dépit des longues heures de travail et des inévitables soucis.
À qui veut se réinventer…
Je conseille d’avoir un plan, dans lequel on note ses espoirs par rapport à sa prochaine vie. Mais ça ne doit pas être un contrat rigide – plutôt un schéma ouvert à ce qui se présentera, car il y a toujours des imprévus. Cette souplesse facilite la transition.
Une métamorphose exige…
Un certain esprit d’aventure. À vrai dire, je n’en suis pas à ma première transition – à 26 ans, j’ai quitté mon premier mari et l’Ouest canadien, où j’ai grandi, pour m’installer à Montréal. Ensuite, j’ai laissé un poste important pour ouvrir une boutique. La peur est toujours là. Mais lorsqu’on obéit à ses désirs profonds, les affaires se mettent en place. Pas exactement comme on l’aurait cru, par contre !
Pourquoi changer fait rêver
Je crois que bien des gens ne se sentent pas vraiment comblés. Je pense en particulier aux femmes, qui ont tendance à s’occuper des autres – conjoint, enfants, parents – au détriment de leurs propres besoins. Et puis, on cherche tous un sens à son existence. Ç’a été mon cas. Je voulais accéder à quelque chose de plus grand que moi.
Une leçon que je retiens
Les transformations majeures donnent le vertige, à nous-même comme à notre entourage. Et ça peut modifier nos relations. J’ai perdu des gens que j’aimais parce que nous n’étions plus à la même place. Parfois, les autres tentent aussi de projeter leurs peurs sur nous – il ne faut pas se laisser contaminer ! En même temps, je suis plus près que jamais de ma fille Chloé, photographe, avec qui j’ai conçu un livre de recettes cet automne : Saisons – La table végane (Éditions La Presse). Notre lien à travers la création contribue beaucoup à mon bonheur actuel.
Des livres qui m’ont accompagnée
The Power of Now (Le pouvoir du moment présent) d’Eckhart Tolle et The Seat of the Soul (Le siège de l’âme) de Gary Zukav, que j’ai lus dans la quarantaine. À cette époque, j’avais déjà commencé à modifier mes habitudes, par exemple en renouant avec la spiritualité, pour combattre le stress. Au fond, mon existence actuelle est l’aboutissement d’un long travail de réflexion. J’ai attendu que le fruit soit vraiment mûr avant d’agir.
La nouvelle Trudy est plus…
Simple ! Ça se manifeste dans toutes les sphères de ma vie : mon alimentation (presque entièrement végane), ma façon de m’habiller, le décor de mon appartement, la vaisselle que je crée… J’ai l’impression que ça forme un tout cohérent, beaucoup plus dépouillé qu’avant. Et ça m’apporte une paix profonde.