Culture

Les filles en humour: drôlement libres!

Les filles sont nombreuses en humour. Frondeuses. Elles défoncent les portes, et prennent leur place – non sans difficulté.

Virginie Fortin / Photo: Julie Artacho

Katherine Levac, Mariana Mazza, Valérie Blais, Virginie Fortin, Mélanie Couture, Léane Labrèche-Dor, Emilie Ouellette. Depuis quelques années, on dirait qu’il y en a partout, de ces joyeuses allumées qui veulent nous faire rire.

« Il y a une relève incroyable de stand-ups féminines », constate Charles Deschamps, responsable de la programmation du très in Bordel Comédie Club qu’il a fondé il y a moins d’un an avec quelques humoristes, dont Mike Ward, Louis-José Houde et Laurent Paquin. « Et le Bordel veut en présenter beaucoup. Pas pour leur laisser une chance. Parce qu’elles sont bonnes pour vrai ! »

Pour le grand public, le phénomène semble nouveau. Pourtant, à l’École nationale de l’humour (ÉNH), pépinière de presque tous les humoristes québécois, il y a longtemps que les filles comptent pour environ le quart de chaque fournée de finissants. Mais, sur la scène comme à l’écran, on les voyait peu.

« Il a fallu du temps pour que les femmes trouvent leur voie, dit Luce Rozon, productrice à Juste pour rire Management. Mais là, ça y est. Au Zoofest cette année, j’en ai vu davantage que de gars, toutes meilleures les unes que les autres. Chacune avec son style et sa personnalité propres. Je vois maintenant comment les vendre. »

Et pourtant. « T’es drôle… pour une fille. » Celle-là, les femmes humoristes l’ont toutes entendue. Et ce n’était même pas une farce.

Parce que, tout le monde le sait, ce sont les gars qui sont drôles. Un homme qui a le sens de l’humour fait rire les autres. Une femme qui a le sens de l’humour rit des blagues des autres…

Clémence DesRochers / Photo: Julien Faugère

Ça doit être pour ça que personne n’a jamais pensé à recruter une Cynique pour faire rire le Québec. Que pendant deux décennies, Clémence DesRochers était la seule à faire des one woman shows. Même dans les années 1980, un groupe d’humoristes s’en tirait très bien avec « sa » fille, Chantal Francke pour Rock et Belles Oreilles ou Marie-Lise Pilote pour le Groupe sanguin, par exemple.

Et les courageuses qui se risquaient au sport extrême qu’est le stand-up ne l’avaient pas facile. Elles en ont entendu de toutes les couleurs – « On va te faire refaire les boules, ça va aider ta carrière », par exemple.

C’est de moins en moins vrai. Grâce à des forces de la nature comme Lise Dion, Claudine Mercier, Cathy Gauthier, qui ont défoncé des portes. Permettant que s’y engouffre une nouvelle génération de comiques.

Cela dit, la pente qui mène aux Olivier reste raide et savonneuse. Pour tout le monde. Car les humoristes en herbe, tous sexes confondus, sont légion. « Il y a 20 ans, on me donnait 125 $ pour un stand-up de 10 minutes dans un bar à Victoriaville ou à Saint-Jérôme », dit Anne-Marie Dupras, vieille routière du milieu et membre (avec Annie Deschamps) du duo Les zélées. « Aujourd’hui, on te fournit la bière ou on “splitte la porte” entre les artistes. Parce qu’on est deux, Annie et moi, on en a eu souvent des 12,50 $ chacune. Ça paie le stationnement… »

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Maudit « humour de fille »

Obstacle supplémentaire pour les humoristes à talons : le préjugé, tenace, selon lequel un gars drôle fait de l’humour alors qu’une fille drôle, elle, fait de « l’humour de fille », considéré comme une spécialité un tantinet inférieure. Un peu comme ces vins californiens ou sud-africains, intéressants certes, mais quand même loin des crus français ou italiens…

« Ça m’énerve ! » dit l’auteure et scriptrice Marie-Andrée Labbé qui a signé, entre autres, les textes du spectacle solo de Valérie Blais. « Monsieur raconte sa vasectomie, c’est de l’humour ; madame parle de sa grossesse, c’est de l’humour de fille. Pour tout le monde, 19-2 était une bonne série. Alors que La galère était une émission de fille. Pourquoi ? »

« On observe le monde et on écrit à partir de ce qu’on est, dit Louise Richer, la fondatrice et directrice générale de l’ÉNH. Il est tout à fait normal que les gars et les filles travaillent différemment. Ça ne change rien à la qualité du message. Le problème, c’est que, pendant longtemps, le récepteur (l’auditoire) a catalogué l’émetteur (l’humoriste) avant même que ce dernier ouvre la bouche… On était une femme d’abord, une humoriste ensuite. Pour que ça change, il a fallu une évolution en parallèle, que les filles soient prêtes à prendre la parole et que le public soit prêt à les entendre. »

On y arrive tranquillement. Même que cet humour rose, certaines le revendiquent.

« Je suis une fille, je fais de l’humour de fille. Revenez-en ! » a lancé Kim Lizotte dans un colloque il y a deux ans. Sous‑entendu : les gars, eux, ils font quoi, vous pensez ? Eh oui, de l’humour de gars…

Alors, va pour l’humour de fille ! Celle qui sort de sa séance d’épilation, l’entrejambe en feu (la Française Élisabeth Buffet) ; celles qui, sur scène, relèvent un peu leur chandail pour montrer leur grande expérience de la vie – leurs vergetures – à la face du monde (Les zélées) ; celle qui fait revivre le monologue intérieur d’une femme pendant un cunnilingus (Mélanie Couture). Un grand déballage des secrets et des tabous féminins. Une formidable prise de parole.

Mélanie Couture / Photo: Joséphine

Mélanie Couture était sexologue auprès de victimes de violence conjugale et d’inceste. « J’adorais mon boulot, dit-elle. Mais après ma journée de travail, j’avais besoin de légèreté. » Entre une leçon de salsa et une d’espagnol, elle a donc décidé de s’inscrire aux cours du soir offerts par l’ÉNH. La révélation. « Comme sexologue, j’avais un message, dit-elle. Les femmes, toutes les femmes, ont droit à une sexualité saine et épanouie. Même après 40 ans, même si elles portent du 16 ans. Ce cours m’a fait voir le véhicule extra­ordinaire qu’est l’humour. »

Mélanie Couture a plongé. Pour suivre le programme à plein temps de l’École, elle a troqué son poste de professionnelle contre un boulot de serveuse dans une pizzeria et est retournée vivre chez ses parents. Elle avait 28 ans.

Dix ans plus tard, ça donne sur les planches une belle femme aux formes généreuses qui respire une sensualité joyeuse et puissante, et qui fait rire en parlant de sexe. De quoi décomplexer des salles entières de spectatrices. L’humoriste est contente, la sexologue aussi.

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Prise de parole, prise de pouvoir

De Manda Parent à Hélène Bourgeois Leclerc, il y a toujours eu des comédiennes spécialistes du rire. Comme en chanson, où il y a toujours eu beaucoup plus d’interprètes féminines que d’auteures-­compositrices-interprètes. « Passer au one woman show implique de monter toute une marche, dit Louise Richer. Un stand-up est un auteur-interprète. Il ne se cache pas derrière un personnage ou les mots d’un autre. Il est tout nu avec son micro et doit s’assumer totalement. »

Et une femme qui le fait peut paraître menaçante. C’est pour cette raison que les femmes humoristes ont longtemps eu recours à l’autodérision, croit Lucie Joubert. Directrice du Département de français à l’Université d’Ottawa, elle alimente, par plaisir et par intérêt, La clef – Comment l’esprit vint aux femmes, un site web consacré à l’humour féminin. « Lise Dion et son poids, Clémence et son 32A… Avant, les humoristes se moquaient d’elles-mêmes, dit-elle. Quand je ris de moi, je n’attaque personne et je ne me mets pas le public à dos. Les femmes osent enfin sortir de ça pour rire non pas des hommes, mais des gens de pouvoir, des travers de la société. »

Bref, les filles prennent leur place. Et n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Sur scène, ça parle de sexe, de cul, ça sacre allégrement. Et ça verse parfois dans l’entreprise de démolissage de la sacro-sainte féminité polie et bien élevée.

Mariana Mazza s’est offert un numéro récemment où elle décortique la finissime insulte que certains gentlemans servent aux femmes qui osent se fâcher. « Cout’donc, toi, as-tu du sable dans le vagin ? » Extrait de son commentaire : « Peut-on imaginer une femme qui demande à un gars en colère s’il a de la garnotte dans le prépuce ? » De quoi défriser les tantes Rita égarées dans la salle. Et il y a eu l’affaire du « fingergate », déclenchée par le doigt d’honneur que la même Mariana a brandi quand Sugar Sammy, sur la scène du Gala Les Olivier au printemps dernier, lui a balancé une vacherie à caractère sexuel. On a crié au scandale, fustigeant la vulgarité des deux protagonistes.

« Pas pantoute envie de m’excuser, dit l’humoriste. Je veux pouvoir ­parler de sexe, de drogue, de racisme, de tous les sujets dont les gens ont peur de parler. Le devoir d’un humoriste est social et politique. Je n’en ai rien à foutre d’être aimée. Je veux être écoutée. »

Casser les tabous et éviscérer les préjugés, ça se fait rarement la bouche en cœur et le petit doigt en l’air…

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Maman stand-up

Lise Dion / Photo: Gilbert Fortier

Un autre obstacle se dresse devant les femmes en route vers leur premier gala. La maternité, qui, elle, ne risque pas de disparaître demain.

Passer ses fins de soirée dans les bars à faire rire des auditoires de jeunes adultes un peu imbibés (passage obligé pour les humoristes juniors), ça ne cadre pas toujours avec l’horaire ni les envies des nouvelles mamans.

Clémence DesRochers, Claudine Mercier, Cathy Gauthier, Marie-Lise Pilote n’ont pas d’enfants. Lise Dion et Annie Deschamps sont entrées à l’École une fois leur nichée bien embrayée.

Emilie Ouellette, elle, a décidé de transformer la difficulté en possibilité. La maternité est devenue le principal moteur de sa carrière, un parcours pas si étonnant pour cette diplômée en travail social avec spécialité en périnatalité. « De toute façon, dit-elle, je n’ai jamais été à l’aise dans les bars. À l’École, j’avais un personnage de religieuse. Pas grand chances de faire un hit à 1 h du matin… » Elle a donc quitté le chemin le plus fréquenté pour s’engager sur les petits sentiers. Surtout qu’elle est devenue enceinte. « Le Québec fabrique 88 000 bébés par an, note-t-elle. Je me suis dit que j’essaierais de construire quelque chose pour leurs parents qui, parfois, auraient envie de faire autre chose que du cardiopoussette. » Elle a créé son one woman show, qu’elle produit elle-même et qu’elle promène un peu partout depuis quatre ans. Les représentations d’Accoucher de rire se font l’après-midi dans des salles qu’elle équipe d’une table à langer, de chaises d’allaitement, de tapis de jeu. L’éclairage est tamisé (pour voir quelque chose dans son sac à langer) et il y a un stationnement pour les poussettes. « On vient habillé en mou et on ne stresse pas si bébé fait une crise de larmes pendant le show », dit-elle. Il y avait 40 bébés dans la salle en octobre dernier durant une représentation en Abitibi.

La maternité est l’une des raisons (mais pas la seule) pour lesquelles beaucoup de filles troquent la scène contre la télé, avance Louise Richer. Où elles excellent d’ailleurs. Emilie Ouellette écrit la dernière saison des Parent, Marie-Andrée Labbé planche sur deux téléséries en plus de faire du script pour des galas, Korine Côté est scripte-éditrice pour le spectacle d’Alexandre Barrette. Les filles rédigent des blogues ou des séries web (Camille par Emilie Ouellette, Moments de maman par Anne-Marie Dupras), publient des livres. Anne-Marie Dupras et Annie Deschamps lancent, ces jours-ci, Une fois c’t’une fille…, une histoire de l’humour québécois au féminin.

Tout va pour le mieux au pays des rigolotes ? Pas encore tout à fait.

Korine Côté / Photo: Gilbert Fortier

« Le Gala Les Olivier est encore un beau party de gars, remarque Chantal Lamarre. On continue de voir beaucoup plus de François Bellefeuille et de Jean-Marc Parent que de Korine Côté et de Virginie Fortin dans les talk-shows. Et comparez donc, pour voir, le nombre d’humoristes masculins et féminins qui se promènent dans les salles au Québec… »

L’humoriste Francine Lareau a fait le calcul. Nombre de spectacles d’humour qui tournaient au Québec au début de l’automne : 76. Nombre de ceux qui mettaient une femme en vedette : 7. « Dont le mien (Chu pas connue [encore !]), que j’ai écrit, produit et promené partout au Québec et dans les Maritimes pendant deux ans. »

Le pouvoir ne se demande pas, il se prend, paraît-il. Rendez-vous dans cinq ans ?

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