Culture

Catherine Mavrikakis: qu’est-ce que la COVID-19 a fait de nous?

Chez soi, à l’épicerie, dans les transports en commun, la nouvelle réalité imposée par la COVID-19 nous frappe de plein fouet, écrit la romancière Catherine Mavrikakis.

Depuis le 12 mars dernier, nos corps apprennent à repenser leur manière d’habiter l’espace et d’être dans le monde. Confinés seuls ou encore avec d’autres corps jugés proches (colocataires, animaux de compagnie, famille), les voilà pris à s’imaginer attaqués par le virus ou encore éventuellement cloués sur un lit d’hôpital, sous respirateur. Ils s’astreignent, quand ils se le permettent, à prendre l’air. Santé oblige… Là ils se tiendront à deux mètres des autres corps qu’ils croiseront, frôlant ainsi la mort, écrabouillés par les voitures toujours menaçantes.

Devant les épiceries et les pharmacies, ils se rangent sagement à la queue leu leu, s’apprêtent à répondre aux questions sortant de grands corps d’hommes qui surveillent parfois et souvent intimident.

Les corps post12 mars acceptent non seulement le lavage fréquent de leurs extrémités supérieures, mais ils se résignent à la promiscuité dans des appartements souvent trop petits pour y passer tout ce temps. Ils se rassurent de la distance sous plexiglas qui s’installe entre eux et les visages de caissières que l’on ne regarde plus. La méfiance est partout. Pourtant ils se lamentent, agglutinés aux fenêtres de certains établissements en criant des « je t’aime ». Alors ils maudissent la vitre séparatrice qu’ils tambourinent de leur mieux et sur laquelle ils laissent la trace de leurs mains grand ouvertes et de leur cœur qui saigne.

Ils tremblent en montant dans l’autobus et ou encore en touchant par inadvertance un siège, une porte ou une enveloppe. Ils s’épuisent dans les hôpitaux, les CHSLD, les conférences de presse, les médias ou encore dans des marathons sur Zoom, Team, Skype, Facetime ou « Justnameit », du moment que ce soit en anglais.

Les plus exclus de ces corps, les corps errants de ce monde, depuis longtemps dans une quarantaine socialement acceptable, sont appelés à mendier de loin, avec un gobelet au bout d’un bâton, devenus pour tous ce qu’ils étaient déjà, des corps parias, des corps porteurs de toutes les maladies d’une communauté qui s’étonne maintenant de ressembler à ceux et celles qu’elle a repoussés.

Les corps post12 mars se retrouvent segmentés (on veut des bras, pour soigner les aînés, on évite de mettre ses mains dans le visage), compartimentés en groupes d’âges, en genre, en riches et en pauvres, et finalement exposés de façon impudique dans leur intimité. Les excréments, les déjections sont présentées au téléjournal. On parle sans cesse des couches à changer et des bouches à nourrir. Et justement les plus anciens de ces corps ne peuvent plus que se voir décrépits, à force d’entendre sur tous les tons qu’ils sont en danger et qu’ils doivent être protégés.

Les plus vaillants se projettent ailleurs, se rétrécissent pour convenir au format de leur tablette, de leur ordinateur ou de leur téléphone. Ils finissent par épuiser les possibilités de leur inventivité. Après 10 arcs-en-ciel, agrémentés d’un « Ça va bien aller » et 30 soirées Netflix, ils finissent par sentir le poids de l’emprisonnement sanitaire et peuvent commencer à douter de ce que d’autres appellent « l’insoutenable légèreté de l’être ».

Covid-19

Photo: Unsplash/Kate Trifo

Catherine Mavrikakis a publié à l’automne 2019 son plus récent roman aux Éditions Héliotrope. L’annexe est le récit d’une espionne confinée dans une maison de protection après avoir été exfiltrée de l’Organisation pour laquelle elle travaille. Dans ce lieu qui rappelle l’annexe où Anne Frank et sa famille se cachaient durant la Seconde Guerre mondiale, Anna, l’espionne apprend à vivre en compagnie des livres et des êtres qui l’entourent. Le roman a été aussi publié en France aux Éditions Sabine Wespieser en mars 2020. Elle est aussi l’autrice de huit autres romans.

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