Chez Catherine St-Laurent, il y a beaucoup de livres, mais pas de bibliothèque : romans et essais s’empilent derrière le canapé, au milieu d’un vaste salon. « Celui-là, je l’ai lu des centaines de fois », fait mon hôtesse devant un exemplaire magané des Hauts de Hurlevent, chef-d’œuvre gothique du 19e siècle. Ici, il n’y a pas non plus de cafetière, mais un bidule design fabriqué en Slovénie acheté sur le web. « Ça fonctionne avec une application et Bluetooth, c’est super geek », explique-t-elle tout en préparant un excellent café dans sa cuisine digne d’une revue de déco scandinave. Et il n’y a pas de télé. « J’ai 30 ans, je suis de mon temps », lâche-t-elle.
Le petit écran est pourtant au centre de sa vie. C’est grâce à lui que le Québec a découvert Catherine St-Laurent en 2017 dans les talons aiguilles d’une danseuse érotique enrôlée dans une téléréalité trash (Sur-Vie, Séries+). À peu près au même moment, elle se transformait en tueuse professionnelle dans Blue Moon (TVA), puis incarnait la fille rebelle de la tenancière gaie d’un bar d’effeuilleurs dans Cheval-Serpent (ICI Radio-Canada Télé). Sa consécration a eu lieu sur cette même chaîne quand, à l’automne 2018, elle s’est jointe au noyau des personnages d’un phénomène télévisuel intitulé District 31.
Détail révélateur : ces quatre séries sont produites par Aetios, la boîte de production de Fabienne Larouche. « Un concours de circonstances », avance l’actrice. Pas tout à fait, assure la puissante productrice. « Pourquoi Catherine dans tous ces rôles ? À cause de son charisme, de son talent, de sa façon de regarder, de bouger, énumère cette dernière. Une belle fille qui a du caractère, avec une attitude, on ne voit pas ça souvent. Elle représente sa génération, même qu’elle la transcende. Je l’adore ! »
Sa place dans District 31
Candide, Catherine concède qu’avant de jouer dans District 31, elle n’avait jamais regardé la série. « Écouter une émission à heure fixe ne rentre pas dans ma routine. Et à la troisième saison, il y a beaucoup de rattrapage à faire. » Les choses auraient pu en rester là, sauf que le téléphone a sonné. Au bout du fil, l’une des réalisatrices du feuilleton télé, Catherine Therrien, qui avait déjà dirigé Catherine dans la série web Fourchette. Elle lui proposait un rôle épisodique, celui de Noélie St-Hilaire, « une jeune policière très séduisante », selon la description initiale sur le site d’ICI Radio-Canada Télé. « J’ai même pas eu à passer d’audition. C’est cool. » Plus cool encore : Noélie n’a pas tiré sa révérence après trois scènes et quatre répliques. « Tout le monde en a été surpris », dit-elle.
Sauf Luc Dionne. C’est lui qui a orchestré la transformation de Noélie en personnage clé. Dans Blue Moon, dont il est l’auteur, il avait remarqué chez Catherine un aplomb qu’il trouvait très rafraîchissant. « Je ne l’ai jamais sentie jouer, comme si son personnage de paramilitaire faisait partie de sa personnalité, dit-il. Tel un caméléon, elle se fond dans le décor. Quand je l’ai vue à l’œuvre dans District 31, je me suis dit qu’elle avait trop de talent pour le gaspiller dans un rôle au départ très limité. Ça m’a fait réfléchir à la façon dont elle pourrait s’intégrer à l’équipe et devenir agent, puis sergent-détective. »
Plus de deux ans ont passé, et Catherine s’étonne encore de l’effet d’une émission suivie religieusement par 1 700 000 paires d’yeux quatre soirs par semaine et huit mois par année. « Pendant la pandémie, j’ai réalisé l’importance de District 31. J’ai compris à quel point on fait partie du quotidien des gens quand François Legault en a parlé lors d’une conférence de presse. La première fois que j’ai parlé des cotes d’écoute à Simon [son amoureux], il m’a demandé si ce n’était pas cumulatif, par semaine… Le chiffre n’avait tellement pas de sens que je me suis dit que je m’étais peut-être trompée. »
Ce sera l’unique fois où sera mentionné le nom de Simon Cliche Trudeau, alias Loud. Il a beau être absent lors de ma rencontre avec Catherine, l’aura du seul rappeur québécois capable de remplir le Centre Bell est manifeste en ces lieux, ne serait-ce que par la présence de ses trois Félix sur le piano.
Sur leurs comptes Instagram respectifs, rien n’indique qu’ils sont ensemble. Et le mur presque palpable érigé par Catherine pour protéger leur relation n’invite pas à l’escalade. « Ma vie privée, je la garde pour moi, dit-elle d’un ton posé. J’utilise les réseaux sociaux comme une extension de mon travail seulement, et ça m’arrive de m’interroger sur leur nécessité. Les influenceurs rêvent d’être connus, je n’ai jamais eu ce désir-là. Je le suis devenue à cause du métier que je fais, mais ce n’était pas le but. »
La liste de ses envies
Catherine se raconte depuis près d’une heure – un exercice nouveau pour la jeune comédienne – quand elle a cette réflexion: « C’est un peu ésotérique de le dire, mais je crois à ma bonne étoile. » Avec raison, car son parcours est plutôt inhabituel.
Le point de départ n’est pourtant pas si singulier. Elle est née à Québec d’un père ingénieur et d’une mère employée dans une firme de sondage.
« Mes parents m’ont toujours soutenue dans mes penchants artistiques, venus de nulle part. » Premier dada, un engouement partagé aujourd’hui avec ses 60000 followers: la mode. « En troisième année, je voulais devenir designer. À 12 ans, j’ai fait un camp d’été pour mannequins. Oui, ça existe ! »
Puis, son amour de la danse a pris le dessus, d’abord le ballet, suivi de la gigue irlandaise au niveau compétitif. À 18 ans, Catherine entre à l’École de danse contemporaine de Montréal, en ressort trois ans plus tard avec un DEC… et des doutes. « Il faut vraiment être passionnée par la danse pour en faire une carrière. Je pensais déjà, sans me l’avouer, m’inscrire dans une école de théâtre », dit-elle. C’est alors que sa bonne étoile entre en scène.
Un départ en lion !
Au printemps 2013, quelques jours avant d’être acceptée au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, Catherine décroche un des rôles principaux du nouveau film de Stéphane Lafleur, Tu dors Nicole. « Je n’avais jamais parlé devant une caméra. La veille du premier jour du tournage, j’ai reçu ce qu’on appelle une call sheet, la feuille de route pour le lendemain, et je ne comprenais rien. » Le film s’est retrouvé au Festival de Cannes en 2014, en compétition à la Quinzaine des réalisateurs. « C’était l’année de Mommy, de Xavier Dolan. J’ai monté les fameuses marches… » Un moment irréel aux couleurs de conte de fées pour l’étudiante en première année au Conservatoire.
Une fois diplômée, en 2016, Catherine a une longueur d’avance sur sa cohorte. Non seulement a-t-elle été recrutée l’année précédente par l’agence Goodwin, l’une des plus importantes au Québec, mais elle a surtout une vision très nette de la prochaine étape qu’elle compte franchir. « Je voulais faire de la télé et du cinéma, ce qu’il ne faut pas dire quand t’es au Conservatoire, parce que les autres pensent alors que tu veux être une vedette. Le théâtre, c’est tellement différent, j’en ai fait un peu, j’aimerais en refaire, mais ce n’est pas ma zone de confort. Alors que, sur un plateau, j’ai du fun, je me sens chez moi. »
Trop belle pour moi
Appuyée sur l’îlot central de sa cuisine, éclairée par un soleil timide, Catherine a laissé tomber sa réserve du début. Elle s’amuse, rit souvent, imite Sharon Stone couverte de fourrures dans Ratched, son coup de cœur sur Netflix. Fabienne Larouche avait mentionné son charisme. On pourrait parler de magnétisme.
L’actrice et autrice Sarah-Maude Beauchesne, qui a notamment scénarisé Fourchette, se souvient bien de sa première rencontre avec Catherine, il y a six ans. « Elle m’impressionnait. Pour la fille de 24 ans que j’étais, insécure et mal dans sa peau, la voir entrer dans une pièce, c’était confrontant. Je la trouvais trop belle et trop cool pour l’imaginer être mon amie. » Elles le sont néanmoins devenues, formant le centre de gravité d’une sororité bétonnée qui englobe aussi les comédiennes Sarah-Jeanne Labrosse et Juliette Gosselin. « Catherine, c’est un grand cœur qui veut juste aimer, dit Sarah-Maude. Elle m’a appris à prendre les choses avec plus de légèreté, car pour elle, rien n’est très compliqué. »
Catherine admet ne pas être anxieuse de nature. « En sortant du Conservatoire, je me suis dit : c’est pas vrai que je vais me tourner les pouces chez nous en attendant que le téléphone sonne. J’ai trouvé trois jobines : dans une pizzéria, dans une crèmerie et sur un bateau de croisière. » Elle n’aura pas le bonheur d’apprendre l’art du sundae. Deux semaines plus tard, elle rejoignait Patrick Huard et Mariana Mazza sur le tournage de Bon Cop Bad Cop 2. Et elle n’a jamais manqué de travail depuis.
Sa bonne étoile, probablement. Et si l’astre s’éteint en cours de route ? A-t-elle un plan B ? La question la fait pouffer. « Oh non ! Peut-être la poterie », blague-t-elle, en montrant sur la table un objet oblong né de ses mains. «C’est une tentative de vase», précise la céramiste en herbe devant mon regard interrogateur.
L’Après-District…
Fabienne Larouche est persuadée que le jour où Catherine portera une série sur ses épaules n’est pas loin. Entretemps, l’actrice apprivoise le succès, reçoit des offres. Mais faire partie de l’aventure de District 31 exige beaucoup de temps, ce qui réduit du même coup ses possibilités d’aller voir ailleurs. « Je suis dans une position privilégiée, dit-elle, et je n’ai pas peur de dire non à une audition pour trois scènes dans un film où je suis à poil dans l’une d’elles. »
Catherine a déjà deux films en anglais à son cv, The Gift (tourné à Montréal par le réalisateur québécois Claude Lalonde avec l’acteur britannique Patrick Stewart et l’actrice américaine Katie Holmes) et The 20th Century (du cinéaste canadien Matthew Rankin). Selon Luc Dionne, elle est promise à une carrière internationale. « Elle a tout ce qu’il faut, dit-il. Ça prend seulement le bon projet. On n’a qu’à penser à ce qui est arrivé à Marie-Josée Croze en France. »
En 2014, dans leur critique de Tu dors Nicole, les magazines les plus influents du cinéma américain, Variety et The Hollywood Reporter, ont souligné la présence au générique de l’« excellent newcomer » Catherine St-Laurent. Un bel engouement qui n’a toutefois pas eu de retombées. « Quand je suis allée à Cannes, j’étais trop jeune, concède la comédienne. Maintenant, ce serait différent, mon agente serait là, il y aurait une stratégie de marketing. » Bref, ce n’est que partie remise pour une fille qui ne considère pas l’ambition comme un vilain défaut. « En ce moment, mon ambition, c’est de décider quel genre d’actrice je veux être, en faisant des choix intelligents. » Parions qu’elle fera les bons.
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