Culture

Christine Beaulieu: tout simplement électrisante

Portrait de Christine Beaulieu, une comédienne électrisante

Photo: Andréanne Gauthier

Révélée par son rôle de bombe sexuelle dans le film Le mirage, elle a surpris tout le monde – et elle-même au premier chef – en écrivant la pièce documentaire J’aime Hydro, en tournée en ce moment au Québec. À partir d’un sujet aride, elle a créé un étonnant succès critique et public qui a changé sa carrière. Et sa vie. 

Depuis deux, trois ans, cette comédienne est ici, là, ailleurs, partout. Et, règle générale, quand elle apparaît, elle fait mouche.

Quand Christine Beaulieu est apparue cet après-midi-là, la tignasse en bataille, l’œil azur amical et le sourire grand comme ça, elle n’avait rien en commun avec la femme fatale du film Le mirage. Ni avec l’agente immobilière de la série télé Les pêcheurs, dont la tirade est devenue une scène d’anthologie. Pas plus d’ailleurs qu’avec tous ses autres personnages vus dans District 31, Les Simone, Web Thérapie, Hubert et Fanny, Lâcher prise

Non, j’avais devant moi la vraie Christine, Cric pour les amis. La fille touchante, trifluvienne d’origine, drôle et sans prétention. La citoyenne qui s’interroge beaucoup et cherche des réponses. La dramaturge inattendue de J’aime Hydro, qui parle d’elle, d’environnement et d’électricité pendant près de quatre heures sur scène. Et qui n’a pas fini de le faire.

Justement, elle venait d’enregistrer un balado complémentaire de sa pièce dans un studio du Plateau et m’attendait pour « faire un tour de char ». Électrique, bien sûr.

« On recevait aujourd’hui monsieur Couture, il est venu faire sa voix dans le podcast! » Cet homme qui l’emballait tant, ingénieur de profession, a mis au point pour Hydro-Québec un moteur-roue électrique pour voiture dans les années 1990 – une invention visionnaire que la société d’État a abandonnée pour des raisons obscures. D’habitude réticent à s’exprimer publiquement sur cet épisode, Pierre Couture a fait une exception pour Christine. Son témoignage se greffe donc à la pièce, à côté de quelques dizaines d’autres. Comme celui du PDG de l’entreprise (« Quand j’ai interviewé Éric Martel, il venait d’arriver en poste et j’en savais plus que lui… ») ou de Bernard Rambo Gauthier, le redoutable syndicaliste de la Côte-Nord. Dire qu’avant son « enquête citoyenne » sur Hydro-Québec, quand elle entendait parler de la Romaine, cette rivière à saumon sur laquelle un barrage a été construit dans la controverse, elle croyait « qu’il s’agissait de la salade! »

Bien branchée

On s’est dirigés vers sa voiture branchée à une borne de recharge, rue Saint-Hubert. « Je ne suis pas une fille de char et j’ai vécu longtemps sans auto. Quand t’habites à Montréal, ce n’est pas vraiment nécessaire. » Puis, en 2016, elle est devenue porte-parole des Rendez-vous branchés, une initiative d’Équiterre pour promouvoir les véhicules électriques. « Aujourd’hui, je trouverais difficile de revenir à une voiture à essence. Je me suis habituée à l’électrique, et je me sens moins coupable. Au Québec, l’énergie qui la propulse est renouvelable à 99 %. Je veux réduire ma consommation de pétrole », a précisé celle qui était aux premiers rangs des personnalités lors du lancement du Pacte pour la transition, en novembre dernier. 

« Bon, on va où? » On a roulé sans but, puis, la faim venant, on a partagé une assiette d’entrées dans un resto italien d’Hochelaga-Maisonneuve. Conductrice accomplie, la comédienne est aussi une autrice saluée, lauréate 2017 du prix Michel-Tremblay « pour avoir enrichi notre univers théâtral d’une œuvre remarquable », selon le Conseil des arts et des lettres du Québec, l’un des partenaires de la récompense de 20 000 $. L’accolade prestigieuse l’estomaque encore. « Jamais je n’aurais imaginé qu’un jour j’écrirais une pièce, qui, en plus, me mettrait en scène. »

Christine a longtemps tergiversé avant d’accepter la proposition inattendue d’Annabel Soutar, dont la compagnie Porte Parole se spécialise en théâtre documentaire. « J’avais déjà travaillé avec Christine, explique Annabel, et j’avais remarqué qu’elle était très à l’aise pour s’adresser directement au public en brisant le quatrième mur », celui, imaginaire, qui sépare la scène de la salle. « Ce n’est pas le cas de tous les comédiens. Je ne savais pas si elle pouvait écrire un texte, mais mon instinct me disait que si je trouvais une façon de l’accrocher à un projet, elle se montrerait capable, et courageuse, pour creuser. »

À l’aide d’archives télévisuelles, d’extraits de chansons et avec l’apport de deux autres comédiens qui interprètent tous les intervenants, J’aime Hydro rend compte du processus de création et de réflexion entourant l’œuvre: valse hésitation, premiers pas, rencontres, découvertes, pannes d’inspiration, voyages – à la baie James en avion, jusqu’à Havre-Saint-Pierre en solo et en voiture électrique.

Le coup de génie de J’aime Hydro? À ce récit, Christine marie son quotidien de femme dans la trentaine, avec humour, finesse et une franchise désarmante: achat de boules de Noël anciennes au marché aux puces, audition qui se termine en crise de larmes, hauts et bas d’une relation amoureuse naissante… « Moi qui suis très réservée, très pudique, avec cette pièce, je me retrouve à me jouer moi-même, et c’est l’enfer! »

Une comédienne enquêteuse

Christine est plutôt pointilleuse quant au respect de sa vie privée. Vous lui demandez tout bonnement dans quel quartier elle habite, qui est le même que celui de la moitié du bottin de l’Union des artistes? « Oh non! Je ne veux pas que ça se retrouve dans le magazine. » Idem pour l’identité de cet amoureux qu’elle mentionne ici et là dans J’aime Hydro. « Ouais. » Gros soupir. « Je préférerais que tu écrives que, oui, j’ai un chum, avec lequel je fais de la voile… ». Point.

Pourtant, dans sa pièce, qu’elle coproduit, elle fait état de ses sept années de psychanalyse. « Je recommanderais à quiconque ressent des difficultés à s’assumer, à prendre la place qui lui revient, de consulter pour faire tomber ces barrières. J’en avais plein… Une journaliste m’a demandé l’autre jour ce que j’avais fait de plus grand jusqu’à présent. Non, ce n’est pas J’aime Hydro. Ç’a été de guérir les blessures qui m’empêchaient de faire les choses, d’atteindre mon plein potentiel. J’en suis très fière parce que cela est très dur. »

Alexandre Ferron, son meilleur ami, joint à Berlin où il travaille, a été surpris de voir Christine « aller si loin dans certains détails. Elle se dévoile beaucoup dans J’aime Hydro. Elle n’a pas honte de montrer son ignorance du début sur Hydro-Québec. C’est fait avec tellement d’honnêteté, d’humilité que les spectateurs n’ont pas le choix de tomber en amour avec elle. Ce qu’ils voient sur scène, c’est assez proche de ce qu’elle est dans la vie. »

Les deux se sont liés sur les bancs du cégep de Saint-Hyacinthe. Elle voulait devenir enquêteuse… ce qu’elle sera bien plus tard grâce à District 31. « Mais quand j’ai réalisé que les études étaient longues, qu’il fallait faire de la patrouille, j’ai changé d’idée. J’ai été attirée par les gens en option théâtre. » 

Christine, « c’était l’aventurière de la classe, se souvient Alexandre. Dès qu’on avait congé, elle partait pour quelque part avec son sac à dos. » Nicaragua, Pérou, Guatemala, Honduras, Cuba… Dans le temps de dire cerveza, elle parlait la langue de Cervantès. « J’avais 19 ans, j’étais folle raide. Je ne dormais pas, j’avais peur de rien. »

À la voir ainsi, une belle grande blonde aux yeux bleus, il est aisé de l’imaginer apprenant l’art du jeu en jeune première, la Roxane de Cyrano, la Juliette de Roméo. L’image amuse son ancien camarade de classe, qui a depuis embrassé une autre profession dans le domaine de l’Internet. « Christine était un peu tomboy, révèle Alexandre. Et ce qu’elle proposait allait rarement du côté de la fille fragile et délicate. » 

Christine ne le dément pas. « Je voulais les rôles de gars. Je voulais être comédienne pour jouer ce que je ne suis pas. Dans ma vingtaine, j’avais de la misère à assumer ma féminité. »

Photo: Andréanne Gauthier

Le miracle du Mirage

En 2003, à 21 ans et fraîchement diplômée, elle se lance. La vie rêvée de Mario Jean, L’auberge du chien noir, Les invincibles, une pub de bière, du théâtre à La Licorne ou à l’Espace libre, trois ans en sexologue dans Virginie… Dans son cv, des rôles épisodiques, rien de marquant. Les années filent, le succès tarde. 

Puis, en 2015, miracle, c’est Le mirage: 330 000 spectateurs, deuxième des films québécois les plus courus de l’année, des pointures au générique (Louis Morissette, Julie Perreault, Patrice Robitaille), et un « nouveau » visage, Christine Beaulieu. « On a longtemps cherché la comédienne pour incarner Roxanne, la bimbo, explique le réalisateur Ricardo Trogi (Québec-Montréal, 1981, 1987, etc.). Ce personnage risquait de tomber dans le cliché. Et Christine est la seule en audition qui a réussi à trouver une façon de parler et d’être qui n’avait pas l’air artificielle. En plus, elle est capable d’être drôle… »

Quand elle a eu vent de ce rôle, Christine s’est dit: je le veux. « J’avais 32 ans. Je travaillais, mais je n’avais pas encore eu de morceau tripant à me mettre sous la dent. J’étais rendue un peu impatiente et tannée de ne pas assumer ma féminité. OK, je vais la faire, let’s go, envoye la pitoune! Roxanne, je ne l’ai pas jugée, au contraire, je l’ai défendue. » 

Sacrée à juste titre « révélation » du film, Christine a joué à fond la carte de la bombe, spectaculaire en talons aiguilles et avec beaucoup de monde au balcon. « Elle a déjà une poitrine assez généreuse, mais on voulait quelque chose d’un peu plus gros, pour servir l’aspect comique et justifier l’obsession du personnage interprété par Louis, explique Ricardo. Dans la scène du baintourbillon, je crois que ça la mettait à l’aise de porter une prothèse. Je lui ai dit, tu sais, les gens vont peut-être penser que ce sont les tiens. Elle m’a répondu, c’est pas grave, moi je sais que ce ne sont pas les miens. »

Donner du sens

 Lire J’aime Hydro – le texte de Christine a été publié en 2017 chez Atelier 10 – permet de s’arrêter sur certains passages où elle s’interroge en coup de vent sur des sujets existentiels. Comme lorsqu’elle se demande si son métier est superficiel, tout de suite après un extrait de la fameuse scène du bain à remous du Mirage, où la conversation tourne autour des seins refaits de Roxanne.

 A-t-elle trouvé une réponse ? « C’est un souci que j’ai moins qu’avant. Des fois, c’est vrai que mon métier me paraît absurde. J’ai joué dans un théâtre d’été en portant une grosse tête de renard et je ne voyais rien… Avec J’aime Hydro, j’ai l’impression de proposer quelque chose qui fait sens. Cela dit, je ne dénigre absolument pas la comédie, le divertissement est essentiel. »

Plus loin dans la pièce, lancés dans un océan d’informations, allant de la technologie des turbines aux formalités d’une demande de subvention, quelques mots surnagent : Voir ma sœur plus jeune accoucher de son deuxième enfant. Me demander si je fais de bons choix de vie. 

Il y avait là une porte entrouverte, qu’aucun journaliste n’avait encore poussée. J’ai osé. « Ça ne me dérange pas d’en parler. J’ai trois sœurs : une plus âgée, sans enfant, et deux jumelles nées prématurément neuf mois et demi après moi. Les jumelles ont chacune deux enfants. En ce moment, ma plus grande préoccupation, c’est : faire ou ne pas faire un enfant, ou en adopter ? Je veux être sûre d’agir pour les bonnes raisons : pour répondre à une idée que j’ai de ce que doit être la vie d’une femme ? J’essaie de démêler tout ça, j’ai envie de vivre ça. » Pause. « Mais j’ai beaucoup de travail. »

En effet. La comédienne tiendra, pour la première fois, le rôle principal dans une série télé, en plus d’avoir quelques projets en cinéma qui mijotent. Le septième art aime Christine, qu’on verra cette année dans deux films tournés en 2018, dont La beauté du monde, le nouvel opus d’André Forcier, avec Roy Dupuis et Yves Jacques. 

La dramaturge est aussi invitée à des débats sur l’électricité : en janvier dernier, c’était à Polytechnique, en compagnie d’une anthropologue américaine spécialiste de l’avenir énergétique. Sans oublier J’aime Hydro, en tournée jusqu’à l’automne de Val-d’Or à Granby. Il est même question d’une participation l’été prochain au prestigieux festival de théâtre d’Avignon, de quelques dates en Europe francophone et d’une version anglaise du spectacle.

Et puisque, depuis la dernière mouture de la pièce, nous avons un nouveau gouvernement, Christine fera une mise à jour. Rappelons qu’en 2016, François Legault, chef de la CAQ, aujourd’hui premier ministre, clamait son intention de construire « la Baie-James du 21e siècle ». 

« Il ne donnait pas les mêmes chiffres que ceux que j’avais. Il mélangeait le prix du marché avec le prix unitaire. » Un tête-à-tête Beaulieu-Legault a eu lieu et, selon ce que Christine a révélé à La Presse, le courant a passé entre les deux. Le monde qui les sépare n’aurait donc pas fait barrage ? Hum… Réponse dans un théâtre près de chez vous. 

Jamais sans ma tasse !

Une anecdote racontée par Karine Lapierre, son agente : « Sur le film Le rire, de Martin Laroche, qui sortira cette année, Christine n’avait qu’une journée de tournage. Et pourtant, elle a convaincu la productrice de limiter les déchets à la cantine et de ne plus utiliser de gobelets ni d’ustensiles en plastique ! » Il n’y a pas si longtemps, Christine avait « zéro conscience environnementale ». Disons qu’elle a changé. « Mais sans être devenue rushante avec les autres », précise-t-elle. Dans sa sacoche, elle a toujours à portée de main sa tasse réutilisable avec couvercle. « Ça se vend partout. Les gens ne le savent peut-être pas, mais quand on achète un café, le couvercle en plastique n’est pas recyclable. Le jour où je m’en suis rendu compte, je me suis trouvée ridicule. » L’un des « enseignements » de J’aime Hydro : économiser un kilowattheure, c’est bien moins cher qu’en produire un. « Au Québec, on a trop d’énergie, on ne sait plus quoi en faire et on la gaspille parce qu’elle n’est pas chère. On est twits. Voilà c’est dit. Il y a tant à faire au niveau de l’efficacité énergétique : mieux isoler sa maison, baisser le chauffage et éteindre les lumières quand on sort... C’est un grand chantier à entreprendre. »

Merci au restaurant Perles et Paddock pour son accueil lors de la séance photo.

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