Culture

Élise Guilbault : le début d’un temps nouveau

On s’est fait un beau cadeau : un tête-à-tête avec Élise Guilbault. La fabuleuse actrice a connu une année marquante, en raison de la pandémie, bien sûr, mais pas seulement. Pour elle, il y aura un avant, et un après, 2020. Et c’est loin d’être négatif…

Photo : Andréanne Gauthier

La rencontre n’a pas lieu chez Élise Guilbault, mais c’est tout comme. Nous sommes au café Station W, dans le quartier Rosemont, à Montréal. « Un des murs ici m’appartient, à force de cafés et de bouffes », blague-t-elle, saluant au passage le copropriétaire, l’acteur Éric Paulhus. Résistant aux œillades du biscuit décadent végane au chocolat, la comédienne se contente d’un déca au lait d’amande. Elle y puisera assez d’énergie pour se livrer pendant plus de deux heures.

Pour Élise comme pour nous tous, l’année qui se termine (enfin!) n’a pas été de tout repos. « J’ai été beaucoup affectée par la COVID. Je suis passée à travers toutes sortes d’états. Au moins, j’ai découvert que j’étais capable de vivre seule. » Pendant le confinement, elle n’a vu que sa sœur aînée, Denise, metteuse en scène et ex-directrice de la section française de l’École nationale de théâtre. Que le Dr Arruda se rassure: voisines, les frangines respectaient les consignes. « Depuis 30 ans, on habite le même duplex. C’est ma meilleure amie, la personne qui me connaît le mieux. On dit souvent qu’on est des jumelles avec quatre ans de différence. Certains pourraient y déceler une sorte de dépendance affective, et je m’en fous. La vie est meilleure avec Denise tout près. »

La troisième sœur Guilbault, au contraire, vit très loin. Ethnomusicologue de réputation internationale, Jocelyne enseigne les rapports entre musique et société à la prestigieuse Université de Californie à Berkeley. « Une réussite éblouissante, souligne Élise. J’ai aussi un frère dans la finance. Son œuvre extraordinaire, à lui, ce sont ses trois fils, alors que mes sœurs et moi n’avons pas d’enfants. C’est la particularité de notre famille. »

Plus tard, quand nos tasses seront vides et la confiance installée, Élise reviendra sur la pointe des pieds clore ce chapitre, qu’elle situe « entre l’extrême timidité et l’évidence ». Et dont jamais elle ne parle. « À aucun moment dans ma vie je ne me suis dit : je ne veux pas d’enfants. Je les adore. Mais la carrière a pris beaucoup de place. Et il y a le contexte, la rencontre d’amoureux qui auraient pu ou non être des géniteurs. C’est un non-choix qui devient un choix. Être mère, conclut-elle, c’aurait été très bien, mais je ne le saurai jamais. Et à 59 ans, je me dis, c’est bien comme ça. »

Photo : Andréanne Gauthier

Noël ? La sainte paix

La période des Fêtes n’est pas « le moment le plus hilarant de l’année » pour l’actrice. Exit le sapin, les guirlandes et le rôti de dinde. Élise, qui cuisine peu, « par paresse, insécurité et un petit manque de curiosité », adore, par contre, être reçue. « Je suis une excellente invitée. » Avis aux intéressés.

Bien sûr, comme elle est membre d’une famille aux liens tissés très serré, la fin décembre donne lieu à des rassemblements chez l’un ou l’autre. La vedette, alors, n’est pas la comédienne, mais sa mère bien-aimée. « À 92 ans, maman est très autonome ; elle conduisait encore sa voiture il y a six mois. Je suis très proche d’elle. »

Ce qu’Élise apprécie le plus pendant cette période de réjouissances et de bombances ? Le 25 décembre et le 1er de l’An. « Tout le monde dort et cuve son vin. La ville est plongée dans le silence. La paix. Comme au temps du confinement, les rues sont vides. » En fait, sur le bitume, il n’y a qu’Élise, heureuse et libre, qui se balade en toute quiétude…

Et la gagnante est…

Aux clients qui la saluent discrètement, Élise répond par un sourire vrai et un bonjour senti. Habituée ? Oui. « Ça fait un bout que je suis là, dans l’œil du public, que je m’impose. Depuis 1985. » Blasée ? Jamais. « Le renforcement positif, l’amour exprimé, chaque fois, cela ajoute des plumes à nos ailes. »

Des preuves d’amour tangibles et récoltées au fil du temps, elle en a accumulé de nombreuses : Métrostar, Artis, Gémeaux, Jutra, un Génie à Toronto et un Bayard d’or à Namur, en Belgique, pour son rôle dans La femme qui boit, du cinéaste Bernard Émond. En tout, 16 trophées, d’après son CV officiel. « En fait, j’en ai 17, précise-t-elle. J’en ai reçu un, honorifique, de la région d’où je viens, Lanaudière. Et il est très beau. »

Sa plus récente nomination aux Gémeaux – la 42e ! –, l’actrice l’a décrochée pour son interprétation puissante de la mère désemparée d’un jeune schizophrène dans Mon fils (TVA), une série lancée cet automne. Son jeu a bouleversé Anne Boyer, coauteure de la minisérie avec Michel d’Astous. « Elle m’a fait pleurer plusieurs fois, même si je connaissais l’histoire », s’exclame-t-elle.

La scénariste côtoie Élise depuis 30 ans. « On a fait nos débuts à la télé ensemble, en 1989, elle devant la caméra, moi derrière, avec notre premier téléroman, Jeux de société, à Radio-Canada. » Plus tard, l’actrice a été de l’aventure mémorable de Deux frères (1999-2001) et de Yamaska (2009-2016), deux autres succès signés par le duo Boyer-d’Astous. « Et vous savez quoi ? Élise me surprend encore ! »

Surprise, surprise

Parlant de surprendre… Élise en a étonné plus d’un l’été dernier dans un rôle inédit : collaboratrice à l’émission quotidienne Bonsoir bonsoir !, à ICI Radio-Canada Télé. Ses interventions désopilantes auprès d’un Jean-Philippe Wauthier complice ont fait mouche. L’une de ses chroniques – où la comédienne lit des lettres de rupture qu’elle a reçues – a suscité un nombre record de messages sur la page Facebook de l’émission. « Ah oui ? fait-elle, soudain inquiète. Je ne vais jamais lire ce qu’on dit de moi sur les réseaux sociaux, de peur d’être égratignée. » Aucune crainte, Élise. Que des fleurs. Un énorme bouquet à garder en réserve pour les jours de doute !

Il est vrai qu’Élise Guilbault est l’incarnation de la femme posée et réfléchie, un peu sur son quant-à-soi. Une réserve naturelle qui est la somme, devine-t-on, d’une bonne éducation, d’une pudeur des sentiments et d’un reste de cette timidité quasi maladive qui la poussait, enfant, à « marcher à l’ombre des arbres ». Rien ne dépasse, tout est à sa place. « Je suis assez control freak sur l’image que je projette. »

L’actrice est tout le contraire : une pasionaria qui brûle les planches. « L’une des plus grandes tragédiennes du Québec », a statué la bible du milieu, la revue de théâtre Jeu. «C’est vrai que j’ai beaucoup, beaucoup donné dans des rôles émotivement très engageants. Je suis morte de chagrin, du sida, je me suis immolée, j’ai eu les yeux bien gonflés à force de pleurer.» De là, sans doute, explique-t-elle, les yeux ronds dans les chaumières devant ses prestations loufoques à Bonsoir bonsoir ! et à La Soirée est (encore) jeune, l’émission radiophonique phare sur ICI RadioCanada Première.

Il faut dire que la tragédienne avait déjà délaissé les vallées de larmes pour mordre dans la comédie. «Mais, assure-t-elle, avec la même rigueur et le même sens du devoir. » Preuves éclatantes de sa polyvalence : Estelle Poliquin, comédienne sur son déclin dans Les hauts et les bas de Sophie Paquin et son dérivé, Penthouse 5-0, et Britany Jenkins, détective privée dans Le cœur a ses raisons . C’est un fait établi : Élise peut tout jouer. Sauf qu’à Bonsoir bonsoir !, ce n’était pas l’actrice qui était convoquée. Il n’y avait ni personnage à défendre ni mise en scène à respecter. Le texte, elle l’avait écrit seule, ou avec l’auteur René Brisebois. Bref, c’était Élise Guilbault sans masque, au propre comme au figuré. « Dans un studio de télé, je suis aussi à l’aise que dans mon salon. » Un environnement idéal pour oser montrer un aspect méconnu de sa personnalité. « Il y a une sorte de légèreté qui s’est révélée et qui m’a fait du bien », confie-t-elle.

Photo : Andréanne Gauthier

Entendue à la radio

Élise rêvait d’apprivoiser la radio. C’est chose faite. Chaque semaine, l’été dernier, elle a copiloté l’émission radio-canadienne Laisse-moi te présenter avec le comédien et humoriste Philippe-Audrey Larrue St-Jacques. Le concept : je te présente mes amis (Marc Labrèche et Josée di Stasio, pour elle), tu me présentes les tiens (Cœur de pirate et Guillaume Lambert, pour lui). Plus qu’un coanimateur, Philippe-Audrey, révélé dans Like-moi! (Télé-Québec), est l’un de ses intimes.

« On se texte tous les jours, confirme-t-il. Quand j’ai rencontré Élise, lors d’un gala, je l’ai appelée madame Guilbault. Elle n’a pas aimé. » Un « madame » pourtant très respectueux. « Pour moi, elle fait partie des mythes du métier. » Ils participaient à un sketch, « qui s’est révélé pourri », ajoute-t-il, certain à l’époque d’avoir fait chou blanc devant le mythe. Quelques semaines plus tard, dans les gradins du Grand Prix de Montréal, leurs chemins se sont croisés. Et la course n’était pas terminée que l’amitié était scellée.

« On a peut-être 26 ans de différence, mais Philippe-Audrey m’apprend tellement de choses, en musique, en littérature, résume Élise. Il est tellement brillant. Les gars de La soirée est (encore) jeune m’ont beaucoup niaisée sur notre relation, parce que j’ai longtemps été en couple avec un homme plus jeune que moi. » Le comédien Daniel Thomas, pour ne pas le nommer. « Non, il n’y a rien entre Philippe-Audrey et moi, il a une copine. Et oui, je le trouve beau, il a un charme fou. »

L’admiration est mutuelle. « Élégante, discrète, Élise ne se met jamais à l’avant-plan, dans la vie de tous les jours comme à la scène, où elle s’efface derrière ses personnages, dit Philippe-Audrey. Elle n’a pas l’obsession de la jeunesse, mais elle prend soin de son corps, comme un violoniste entretient son instrument. Elle inspire la réussite, le prestige, elle se connaît et sait ce qu’elle veut. »

Photo : Andréanne Gauthier

Être soi

La comédienne sait surtout ce qu’elle ne veut plus. «On m’a souvent parodiée du fait que je bute sur chaque syllabe quand je suis nerveuse. Pour moi, longtemps, ça a été un défaut, jusqu’à ce que je me dise, Élise, t’auras beau vouloir parler comme tout le monde, ce ne sera pas possible. J’ai une effervescence naturelle que je ne modère plus maintenant. Puis, si ça se trouve, ça me sert. Ce n’est pas stratégique. J’ai juste moins envie de me faire ch… » Notez que le ch… était quasi inaudible. La classe, quoi!

« Plus je vieillis, conclut-elle, plus l’armure tombe. Je suis davantage moi-même, donc plus proche de ce que je suis vraiment. » Anne Dorval, confidente depuis leurs premiers pas dans le métier, est d’accord. « Je la sens plus libre et confiante qu’il y a quelques années, moins angoissée face au temps qui passe. D’ailleurs, Élise porte son âge avec fierté, elle n’a pas peur de le dire et elle a raison, avec son énergie de feu, son body et ses jambes de rêve… »

En retard pour un rendez-vous, Élise doit filer. Un sourire offert à bonne distance en guise de bise, elle me quitte sur un dernier mot: « En ce moment, c’est comme le début d’un temps nouveau. »

 

En 2021 Élise Guilbault sera de la distribution du film La cordonnière, une adaptation du roman historique de Pauline Gill.

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