Culture

Evelyne Brochu joue, chante, aime

Follement amoureuse et nouvellement maman, l’actrice et chanteuse mène une brillante carrière dans deux langues et sur deux continents. Le bonheur a un visage: le sien.

Photo: Andréanne Gauthier

Un courriel de son agente intitulé «Urgent» et reçu juste avant le rendez-vous me demande de ne pas sonner chez Evelyne, mais de frapper à la porte. Son fils fait la sieste ? «Non, c’est mon chum, il a travaillé toute la nuit, explique Evelyne, qui m’accueille avec chaleur et une bise. Laurier est à la garderie. Et pas besoin de chuchoter, Nicolas dort dur, c’est la sonnette qui résonne fort. »

La sonnette sera peut-être changée, comme la cloison entre la cuisine et la salle à manger, qui, elle, sera sûrement démolie. La petite famille n’a fait son nid ici que depuis quelques mois, les idées de rénovations se bousculent, mais le temps manque pour les exécuter. Et puis, il y a d’autres priorités. Vivre, notamment. Et savourer le moment.

« Je viens de découvrir le Lillet, me dit-elle avec un sourire. Sur glace, c’est délicieux .» Evelyne prépare l’apéro d’après-midi en veston gris chic sur un pull pâle, prête, dirait-on, pour un cinq à sept. A-t-elle des plans pour après l’entrevue? « Non. Je me suis un peu maquillée. J’avais envie que tu me trouves jolie. » C’est réussi.

Radieuse Evelyne

Est-ce nécessaire de le préciser ? Sa beauté frappe, et a été remarquée bien au-delà de nos frontières. Dans sa recension de Thanksgiving, minisérie d’espionnage présentée l’an dernier sur la chaîne européenne Arte et où elle tient le rôle principal, l’hebdomadaire français Télérama parle de « révélation». Il compare même « notre » Evelyne aux célèbres blondes des films d’Hitchcock.

Son fan-club est international – résultat de sa présence dans Orphan Black, télésérie canadienne-anglaise tournée entre 2013 et 2017 et distribuée dans le monde entier. «La science-fiction crée un engouement que je n’aurais pas pu imaginer. Il y a trois ans, des gens sont venus du Vietnam et de Corée juste pour me voir sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde !» Son personnage, une scientifique française amoureuse de l’héroïne, a résonné dans la communauté LGBT, surtout chez les lesbiennes. Elles sont nombreuses à vouer un culte à l’interprète, à son anglais à l’accent français (forcé pour la cause, car Evelyne maîtrise l’anglais parfaitement), et même à ses boucles d’or.

Sauf que sa beauté ne se résume pas à des traits harmonieux, à une chevelure botticellienne et à la magie d’un fond de teint. Parlez-en à l’humoriste Virginie Fortin, sa sœur bipolaire dans la comédie à succès Trop (ICI Tou.tv Extra). « Evelyne est lumineuse. D’habitude, on dit ça de façon métaphorique, mais dans son cas, c’est réellement de la lumière qui émane d’elle », s’exclame-t-elle. Virginie n’a pas de visions.

Les sceptiques n’ont qu’à regarder sur YouTube l’entrevue d’une Evelyne enceinte de sept mois aux Échangistes, en août 2018. « C’est comme un soleil qui est entré dans le studio », lui dira alors Pénélope McQuade, éblouie.

La source de cette aura ? Le bonheur. Evelyne Brochu est heureuse, comblée, et rayonne, tout simplement. «Quand tu es dans un tel moment de plénitude et de joie intense, il faut le célébrer. Parce que ça n’a pas tout le temps été le cas…» Les trois points se balancent en suspension puis disparaissent, chassés par mon hôtesse. Les ombres du passé peuvent rester où elles sont.

Elle préfère décliner les raisons de ce ravissement. L’une d’elles roupille à l’étage, et l’autre, même absente, occupe toujours ses pensées. «Depuis que je suis mère, tout le reste est un peu secondaire. La maternité élève toutes les sphères de ma vie. J’ai l’impression que mon cœur s’est élargi, que mes énergies ont décuplé, que mes choix deviennent plus clairs. Le rapport au temps change. Quand je joue avec lui, plus rien d’autre n’existe. »

À cet épanouissement personnel s’en ajoute un professionnel, tous azimuts. « Ces jours-ci, je travaille avec René Richard Cyr sur un Tchekhov pour le TNM, dit-elle au sujet du classique du théâtre mondial Les trois sœurs. Et j’apprends encore des choses », ajoute la comédienne en écarquillant les yeux, l’air de dire: que demander de plus ? De bonnes critiques, peut-être. Et c’est ce qu’elle aura, deux semaines après notre entretien: «Evelyne Brochu semble née pour jouer Tchekhov », dixit La Presse. [Malheureusement, malgré un grand succès, la pièce a dû être annulée, comme tous les autres spectacles à l’affiche, en raison de la COVID-19.]

Son plus récent film, La femme de mon frère, réalisé par son amie Monia Chokri, a remporté un prix au dernier Festival de Cannes et a très bien marché au boxoffice québécois et même français. En France, toujours, la blonde actrice figure en bonne place dans la distribution d’une télésérie d’époque au budget faramineux, Paris Police 1900. « La diffusion est prévue là-bas pour l’automne. Je joue une femme formidable qui a existé, Marguerite Steinheil. Une courtisane proche de Zola et de Toulouse-Lautrec et qui a été la maîtresse du président Félix Faure. Il est d’ailleurs mort pendant qu’elle lui faisait une fellation dans un bureau à l’Élysée. C’est cool de jouer ça ! »

Jean-Marc Vallée, qui l’a dirigée en 2011, n’est pas étonné du succès d’Evelyne à l’étranger. «Elle a tout pour ça», lance l’un des réalisateurs québécois les plus prisés à l’international, rejoint à Los Angeles. Il lui a donné son premier rôle important au cinéma dans Café de flore, une coproduction d’envergure avec Vanessa Paradis. « Quand je l’ai eue en audition, si talentueuse, généreuse, vraie, sexy, il était évident qu’elle était parfaite pour jouer Rose. » Celle qui fera craquer au premier regard le personnage incarné par Kevin Parent et l’amènera à quitter femme et enfants. Aimerait-il retravailler avec elle ? « Je le souhaite, ici ou ailleurs. »

Photo: Andréanne Gauthier

Vive le café!

Quelqu’un descend l’escalier: Nicolas, un médecin à l’allure de mannequin. Sur Instagram, Evelyne partage à l’occasion des photos d’eux, en voyage ou sur un tapis rouge, où le duo a tout du couple hollywoodien. Et gentil avec ça, le beau Nicolas. Leur histoire ne doit rien à Tinder ou à Réseau Contact, mais seulement au hasard et à Cupidon. Elle apprenait les textes de la première saison de Trop dans son café préféré, il avait soif d’un latté. « Je l’ai vue, et je suis tombé amoureux », me dit-il, aussitôt récompensé d’une rafale de baisers par Evelyne. « On ne se peut plus ! » fait-elle en riant, un brin confuse, puis ajoute : «Tu vas chercher le bébé ? »

Nicolas parti, Evelyne va à la cuisine avec nos verres pour une deuxième tournée. Sur le buffet, une photo attire l’attention : une femme chic prend la pose, cheveux noirs et pantalon cigarette rouge, clope à la main. « C’est le portrait de ma grand-mère paternelle que j’apporte souvent dans ma loge. »

Une véritable figure romanesque tirée des univers de Michel Tremblay et de Stephen King, qui a nourri l’imaginaire de sa petite-fille. «Elle me racontait des histoires pas possibles! C’était une intellectuelle castrée par les religieuses dans son Lac-Saint-Jean natal, le genre destroy qui buvait sa bière tablette en talons hauts dans une tasse à café. Elle me disait –j’avais cinq ans – que les hommes sont tous des porcs… Sa fureur de vivre avait été éteinte. »

La sienne, à l’opposé, flambe. « Je le confiais à France Beaudoin à En direct de l’univers: je veux tout de la vie, tout ce qu’elle offre, tout ce qui se peut. Pour voir où ça va me mener. »

Photo: Andréanne Gauthier

Écrire, Danser, Chanter

Cet insatiable appétit de vivre a mené loin l’enfant unique née d’une professeure de violoncelle et d’un chauffeur de taxi. «Mes parents se sont séparés quand j’avais un an et demi, et j’ai grandi à Pointe-Claire, dans l’ouest de Montréal, avec une mère monoparentale. Si je me sonde au plus profond de moi-même, j’ai toujours cherché à faire partie d’une famille, d’une tribu. Avec mon chum et mon fils, je m’en suis créé une. J’aime les gangs au théâtre, c’est l’un de mes plaisirs d’actrice. Le sentiment d’appartenance, pour moi, c’est vital. »

Elle aurait pu devenir danseuse. « J’étais inscrite au cégep en danse et en art dramatique.» Elle a appris à jouer de quelques instruments, dont la batterie. Elle écrivait aussi, beaucoup, passionnément, des poèmes. Elle a même déjà envoyé sa prose, rassemblée en un recueil intitulé Comme une mouche dans le guet-apens des lampes, aux maisons d’édition. Tentative demeurée sans réponse. C’était il y a plusieurs années. La poète dilettante pense répéter l’exercice, en bonifiant son recueil de textes plus récents. «Mais peut-être sous un pseudonyme, pour que les gens s’y intéressent pour une autre raison que mon nom sur la couverture. »

À voir aller aujourd’hui cette actrice qui a tourné sous la direction de Denis Villeneuve (Polytechnique, 2009), de Xavier Dolan (Tom à la ferme, 2013) et même du réalisateur culte David Cronenberg (pour le court métrage The Nest, 2013), on pourrait croire que sa carrière a démarré sur les chapeaux de roue. Erreur. «À ma sortie du Conservatoire, en 2005, contrairement à plusieurs de mes camarades de classe, je n’avais pas d’agent. J’avais obtenu un seul contrat, que j’ai perdu parce que je me suis cassé le genou dans un accident de vélo. Cet été-là, je l’ai passé à avaler des antidouleurs en regardant Ramdam à la télé et en me disant : “Oh là là, ça part mal!” »

Découragée, Evelyne a quand même tenu bon, en partie grâce à sa mère. « Elle qui est pourtant inquiète de nature me répétait “ça va marcher, ça va marcher”. Le fait que ma réussite soit une certitude pour elle, je me suis accrochée à ça. »

La voix idéale

Et pendant toutes ces années de jeunesse et de formation, une constante : la musique, le chant, surtout, pratiqué sans autre but que le plaisir. Sa rencontre avec un musicien de son âge, au cégep de Saint-Laurent, a été à cet égard déterminante. « Regarder ses mains bouger sur sa guitare me faisait chavirer…», dit-elle en parlant de Félix Dyotte.

Lui se souvient de l’étudiante de 17 ans, qui a été son amoureuse au départ, puis est devenue choriste dans son band. Et, depuis, l’amie parfaite. «À l’époque, Evelyne n’était pas encore actrice, mais elle avait déjà un tempérament totalement artiste, doté d’une très grande sensibilité, capable de tout faire. Et j’ai toujours trouvé qu’elle possédait, pour moi, la voix idéale. »

Ensuite, chacun a mené sa vie professionnelle de son côté, elle devant les caméras, lui au sein de groupes (Undercovers, Chinatown), puis comme guitariste pour Pierre Lapointe. Un jour de 2017, en tournage à Budapest, la comédienne reçoit un message: son vieux compère et complice lui propose de lui écrire des chansons sur mesure. Comment refuser un tel cadeau, inattendu et inespéré ? « Je me suis mis dans la peau de la fille que je connais, mon Evelyne Brochu », explique Félix, fana de la pop française des années 1960, créateur d’ambiances et orfèvre des mots.

Sorti l’automne dernier, Objets perdus a surpris, et séduit, tout le monde. «Evelyne chante comme elle existe. C’est doux et c’est beau », dit Virginie Fortin.

Maintenant que la glace est brisée, l’actrice et chanteuse prépare la prochaine étape. « Je suis en train d’imaginer mon spectacle, ce qui me fait buzzer complètement parce que c’est ultrapersonnel. Dans ma carrière, j’ai rarement été dans la position décisionnelle. » Et elle adore ça. « Je rêve à des affaires, je propose des choses et on me répond “oui, d’accord”. C’est fou! Tout ça donne le vertige, dit-elle, triturant une mèche de ses longs cheveux. Un vertige heureux, comme tomber en amour. C’est l’inconnu, la perte de repères. À 37 ans, j’ai plus de courage qu’avant. Parce que j’ai ma famille, que j’appelle “mon camp de base”. »

D’ailleurs, les voilà, les deux piliers du camp: le père et le fils, un blond aux yeux bleus rieurs qui prête gentiment son guépard en plastique au journaliste. Qui, lui, quittera les lieux en espérant que le bonheur est contagieux…

Evelyne Brochu amorcera une tournée de spectacles au Québec au cours des prochains mois.

Merci à l’équipe du Gypsy café+bar pour son accueil lors de la séance photo.

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