Voyages et escapades

La Côte-Nord, d’une beauté insoupçonnée

De Tadoussac à Blanc-Sablon, ce coin du Québec est beau sans bon sens. Devant ces paysages grandioses, entre ciel, fleuve et forêt, impossible de rester de marbre. On risque même d’y retrouver son âme d’enfant !

« On part quand on est prêt. » Cette phrase anodine lancée par notre guide de planche à pagaie, à Havre-Saint-Pierre, me fait rêver encore aujourd’hui. On part quand on est prêt. Peut-on être plus loin du stress de la vie quotidienne?

En ce matin brumeux, notre petit groupe de pagayeurs « était prêt » à 6 h 30. Après avoir reçu les instructions d’usage, nous grimpons sur nos planches et nous nous ébranlons pour un périple de 13 kilomètres en direction de l’archipel des îles de Mingan. Lunettes de soleil rondes sur le nez, barbe négligée et cheveux aux épaules, notre guide Johney Cormier, mène la troupe.

Au large, quelques îles fantomatiques se dessinent dans la brume épaisse qui couvre le Saint-Laurent. Les conditions ? Idéales. Nous avançons sur une mer d’huile. Une inquiétude me gagne tout de même : s’il fallait que je tombe à l’eau… La température du fleuve, ici, peine à franchir les 13 degrés.

Côte-Nord

Photo : Côte-Nord TQ / Martin Laporte

Soudain, droit devant, deux têtes rondes comme des boules de quille émergent. Des phoques ! Curieux et joueurs, ils nous tiennent compagnie une dizaine de minutes avant de se lasser et de s’éclipser vers le large.

Nous atteignons enfin la Grosse île au Marteau, première escale de l’expédition. Tout près de sa côte rocheuse, une eau cristalline laisse voir un fond marin couvert d’oursins et d’étoiles de mer. Fascinés, nous en oublions presque de lever les yeux pour admirer l’île et ses monolithes de calcaire, étranges formations géologiques sculptées par l’érosion au fil des siècles. Et nous nous rendons à peine compte, aussi, qu’un vent de face s’est levé, rendant soudain le coup de pagaie moins efficace et l’équilibre, plus précaire.

Pour nous déconcentrer encore plus, une dizaine de marsouins se pointent. Ces petites baleines d’environ deux mètres de longueur, nous tournent autour, apparaissant ici et là à la surface. Nous sommes émerveillés.

Côte-Nord

Photo : Côte-Nord TQ / Gremm

Décidément, quelle région magnifique ! À Havre-Saint-Pierre, je suis au point le plus éloigné de mon périple sur la Côte-Nord, que je parcours en une courte semaine, avide de découvrir ses charmes insoupçonnés. Oui, insoupçonnés. Avouons-le, peu d’entre nous plaçons spontanément cette région parmi les incontournables du Québec. Et pourtant. Quelques jours ont suffi pour venir à bout de mon indifférence.

Je m’attendais à être accueilli par des escadrons de maringouins gros comme des libellules. En cette fin d’août caniculaire, pas le moindre moustique en vue. Je craignais que la route soit ennuyeuse, interminable. Au contraire, chaque détour de la 138 offre un nouveau point de vue sur ce fleuve géant qui, à partir de Sept-Îles, tient bien davantage de la mer que du cours d’eau.

Même la radio régionale étonne. Dès le premier jour de ce road trip, en passant à Pessamit, j’ai le privilège d’entendre la récitation du chapelet sur les ondes du 95,1 Radio Ntetemuk. Un chapelet dit en innu-aimun ! Mani tshitatamishkatin ka shakassineshkakuin aiamieuminuashiueuna…

Les Je vous salue Marie s’enchaînent à bon rythme, puis finissent par cesser. Tshima it. Amen. La route, elle, se poursuit, s’étire, suivant les anses du fleuve, plongeant au cœur des forêts, traversant villes et villages. Certains, comme Magpie et Chute-aux-Outardes, ont un charme indéniable. Cela dit, on ne va pas sur la Côte-Nord pour admirer l’architecture… Ici, c’est la nature qui tient le haut de l’affiche.

À mesure que l’on roule vers l’est, la végétation se transforme. Les forêts mixtes cèdent peu à peu la place aux forêts de conifères qui finissent à leur tour par perdre leur majesté. Par endroits, les sapins et épinettes se font rares et chétifs, comme autour de Havre-Saint-Pierre, où les tourbières s’étendent presque à l’infini. On ne s’en étonnera guère, car après tout, on est presque à la même latitude que la Baie-James.

Côte-Nord

Photo : Côte-Nord TQ / Martin Laporte

Le fleuve comme terrain de jeu

De Tadoussac jusqu’à Havre-Saint-Pierre, la vie coule au rythme des marées. À Colombier, à 45 minutes à l’ouest de Baie-Comeau, une dizaine de gens du coin profitent de la marée basse pour ramasser des myes, à une centaine de mètres au large.

Casquette vissée sur la tête, bottes de caoutchouc aux pieds, ils fouillent la vase à l’aide de leur pelle à la recherche de ce délice de la mer. « On a notre souper ! » me lance fièrement l’un d’eux, en revenant sur la grève. Dans son seau, une centaine de myes – ou coques – bien fraîches. « On les mange en les arrosant de jus de citron ou simplement saucées dans le vinaigre », m’explique sa copine. J’en salive, en me promettant de goûter à ces myes au cours de mon périple. Pour l’instant, la 138 m’attend.

Chaque fois que cette route pourrait devenir monotone, une rivière ou une chute vient faire diversion. Comme la chute Manitou, à Rivière-au-Tonnerre. Un arrêt s’impose. Pour en atteindre la base, mieux vaut avoir le mollet solide, car il faut descendre un interminable escalier de bois qui suit un escarpement abrupt. À mesure qu’on descend, le grondement de la chute de 35 mètres s’amplifie. Et au détour d’un rocher, la voilà qui apparaît, large, haute, bouillonnante.

À ses pieds, dans un nuage de bruine, deux amoureuses blotties sur un rocher semblent envoûtées par le spectacle. Tout près, en équilibre précaire sur les pierres glissantes qui bordent la rive, une pêcheuse à la mouche et son conjoint taquinent le saumon. La bête n’est pas dupe. Et boude l’offrande.

Toute la partie méridionale de cette vaste région – qui couvre à elle seule le quart du Québec – n’est qu’eau et forêt.

Le chapelet de villes et villages établis le long du fleuve est bordé de larges rubans sablonneux dont on ne voit pas la fin. Des kilomètres et des kilomètres de plages couleur caramel, la plupart complètement désertes, qui n’ont rien à envier aux plus belles plages de la planète. Sans blague. Seule différence et non la moindre : pas facile d’y faire trempette. L’eau est glaciale. Quelques irréductibles y plongent avec courage. Pour ma part, je m’y glisserai jusqu’aux genoux, et en ressortirai les jarrets bleu pâle…

Ce qui ne veut pas dire que je ne réussirai pas à me saucer au cours de mon séjour. Non, je ne suis pas tombé de ma planche à pagaie, même si les marsouins ont bien failli me faire perdre l’équilibre. C’est plutôt à l’occasion d’une sortie en zodiac, à Sept-Îles, que j’ai pris une douche d’eau salée. Bien malgré moi.

En cette matinée plein soleil, ce qui s’amorce comme une balade pépère en direction des sept îles de Sept-Îles se transforme vite en rodéo marin. Une vingtaine de minutes après avoir quitté le quai, un vent costaud se lève et, avec lui, les vagues. Notre petite embarcation est secouée par des lames de trois mètres qui ont tôt fait de tremper des pieds à la tête la douzaine de plaisanciers hilares. Chacun jette des coups d’œil réguliers vers le visage ruisselant de notre capitaine, Jade, qui rit de bon cœur. Nous voilà rassurés : le naufrage ne semble pas au programme…

À notre arrivée au quai de l’île du Corossol, une nuée de mouettes, de fous de bassan et de cormorans accueille l’équipage secoué et trempé, devinant que nous débarquions avec sandwichs, crudités, salades et petits gâteaux (gardés miraculeusement au sec pendant la traversée).

Un soleil ardent étant de la partie, nos vêtements trempés, étendus sur les tables à pique-nique, sèchent en un rien de temps. Après nous être restaurés et avoir arpenté l’île d’une rive à l’autre, nous devons déjà remettre le cap sur la magnifique marina de Sept-Îles, où badauds et touristes flânent et profitent d’un ciel sans nuage.

Quant à moi, je file vers Uashat.

Côte-Nord

Les monolithes de la réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan : un incontournable de la Côte-Nord. Photo : Daniel Chrétien

Omniprésence autochtone

Les Autochtones sont présents dans la région depuis 8 000 ans, selon les plus récentes recherches archéologiques. On ne s’étonnera donc pas d’y croiser autant de communautés des Premières Nations. Sur les 650 kilomètres qui séparent Tadoussac de Havre-Saint-Pierre, on traverse les territoires d’Essipit, de Pessamit, d’Uashat-Mani-Utenam, pour ne nommer que ceux-là.

À Sept-îles, les Innus sont établis dans deux secteurs, dont l’un est situé à l’entrée de la ville : Uashat, qui se prononce « Uahhhat », précise Nancy Pinette, gérante de l’atelier-boutique Atikuss, où je la rencontre.

Dès qu’on pénètre dans ce capharnaüm consacré à l’artisanat autochtone, on est témoin d’un savoir-faire transmis de génération en génération. Dans tous les recoins, des mitaines de fourrure, des peaux, des chapeaux, des mukluks, des mocassins, des perlages, des capteurs de rêve…

Sous le comptoir vitré, près de la caisse, une paire de hautes bottes en peau garnies de perles, de broderies et de fourrures attire mon attention. « Ce sont les bottes de l’espoir », m’explique Nancy, 37 ans, le visage fendu d’un large sourire. Ces bottes sont confectionnées à la main, à Uashat même, selon des techniques ancestrales. Le cuir et la fourrure sont fournis par les trappeurs de la région, les boutons sont sculptés dans des panaches d’orignaux, les coutures sont réalisées avec de la babiche. Bref, on fait difficilement plus artisanal… et plus local.

Et on comprend mieux leur prix somme toute élevé : 1 200 $ la paire. « Les bottes de l’espoir visent à valoriser le savoir-faire innu et à fournir du travail aux femmes de la communauté. C’est une entreprise à vocation sociale », dit la gérante, en me faisant visiter l’atelier et l’entrepôt de fourrure rempli du plancher au plafond.

Sur la route du retour, je repense à toutes ces Innues – plus de 400 jusqu’à présent – qui ont été aidées par les Bottes de l’espoir, cette initiative hors de l’ordinaire née il y a sept ans de l’imagination de Josée LeBlanc, directrice générale d’Atikuss.

En repassant à Pessamit, sur les ondes du 95,1, pas de chapelet cette fois. Je ne comprends toujours pas un mot de ce que raconte l’animateur, mais je saisis bien l’amour qu’il porte à la chanson populaire québécoise des années 1970. « Winnipeg », de Pierre Lalonde, et surtout « Kiss Me », de Michèle Richard, me hanteront longtemps.

Et sur le traversier qui mène de Tadoussac à Baie-Sainte-Catherine, dans Charlevoix, je me rends compte que des quelque 300 000 kmde la Côte-Nord – l’équivalent de l’Italie ! – je n’ai vu qu’une infime partie.

Un autre voyage s’imposera, un jour. Et cette fois, il me mènera bien au-delà de Havre-Saint-Pierre. Aguanish, Natashquan, Harrington Harbour, Tête-à-la-Baleine, Blanc-Sablon, j’en rêve déjà.

Les frais de ce reportage ont été payés en partie par Tourisme Côte-Nord, qui n’a eu aucun droit de regard sur son contenu.

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