Culture

Lara Fabian, une star et une mentore comblée

Adulée, vénérée, Lara Fabian a connu la gloire planétaire, a partagé la scène avec des légendes de la chanson française, puis s’est effondrée. Troubles alimentaires, dépression, mal de vivre généralisé… Mais à l’aube de la cinquantaine, elle rayonne comme jamais. Et est prête à donner au suivant.

Lara Fabian

Photo : Andréanne Gauthier

À part les airs de Mozart en sourdine, la maison de Lara Fabian est silencieuse. Lou, sa fille, et Gabriel, son mari, sont absents. Même le chien est parti en promenade. Sans maquillage, les cheveux détachés, la nouvelle campagnarde est radieuse.

« J’ai décidé de quitter Montréal quand j’ai vu se déployer cette crise que nous traversons depuis deux ans. Je me suis dit qu’un peu d’espace et de silence seraient appréciés. » Depuis son arrivée au Québec, voilà bientôt 30 ans, l’artiste d’origine italo-belge n’avait quasiment vécu que dans la chic ville de Westmount, sur l’île de Montréal.

Au début de la pandémie, le choix de cette maison baignée de lumière et de son vaste terrain à flanc de montagne, à Bromont, s’est fait sans hésitation.

Heureux hasard, quelques semaines après y avoir emménagé, Lara était invitée à devenir la directrice de l’académie à l’émission Star Académie, enregistrée dans une maison ancestrale de Waterloo, à deux pas de chez elle. Une occasion inespérée. « Je veux aujourd’hui transmettre ma passion de la musique. Cela m’apparaît comme une évidence pour les 15 ou même 20 prochaines années », dit-elle, résolue.

Lara Fabian

Photo : Andréanne Gauthier

Une nouvelle vocation

La première saison de la mouture rafraîchie de la téléréalité Star Ac, diffusée à l’hiver 2021 à TVA, a confirmé cette nouvelle vocation.

Chaque semaine, un million de téléspectateurs l’ont vue prendre sous son aile les jeunes candidats avec une bienveillance quasi maternelle. Et encore, les minutes retransmises à la télé ne représentent qu’une fraction des heures qu’elle leur consacre.

Ce qu’elle veut transmettre, c’est avant tout la notion d’intégrité. Elle insiste sur ce mot. « Beaucoup de jeunes se perdent en essayant d’exister dans ce métier. Je veux leur montrer que c’est en restant fidèles à eux-mêmes qu’ils sauront toucher le cœur du public. » Elle cite Peter Gabriel, Freddie Mercury et Barbra Streisand pour illustrer son propos. Parce qu’ils n’ont incarné qu’une seule et unique version d’eux-mêmes.

Félix Lemelin, 24 ans, est de ces jeunes chanteurs que Lara accompagne. Ils se sont rencontrés lorsqu’il était candidat à l’émission La voix en 2018 et sont devenus amis. « J’étais assez intimidé au début, mais j’ai vite découvert une personne chaleureuse, qui n’a pas peur de montrer ses émotions. Elle a été très présente pour moi dans l’aventure et l’est restée par la suite. Je la considère aujourd’hui comme ma deuxième maman », dit-il.

Lara lui a écrit la chanson « Chez nous », qui évoque justement l’importance de se rappeler d’où l’on vient. En 30 ans de carrière, elle a appris à ses dépens qu’il est parfois facile de l’oublier, avance-t-elle. Elle réfléchit un moment, prend quelques gorgées d’eau et poursuit. « Mais je n’ai aucun regret ! L’ensemble de ma carrière aura été un enseignement magistral. C’est grâce à cela que je me sens aujourd’hui prête à conseiller la relève. »

Lara Fabian

Photo : Andréanne Gauthier

Le rêve américain

Au début des années 1990, son amoureux, le compositeur Rick Allison, la convainc de quitter la Belgique où elle a grandi pour venir vivre avec lui le « rêve américain ». Et c’est ici que sa carrière prendra son envol jusqu’à la propulser sur les scènes les plus prestigieuses d’Europe, d’Asie et d’Amérique.

Elle aura à son actif une vingtaine de disques – tous sacrés or, platine et même diamant. Elle chantera aux côtés des plus grands dans des duos mémorables : Serge Lama, Johnny Hallyday…

Une évidence : son succès ira bien au-delà de ses espoirs.

Son premier album, simplement intitulé Lara Fabian , elle l’enregistre à Montréal en août 1991 grâce à l’argent que lui prête son père. Une somme importante pour ce chauffagiste belge. Guitariste à ses heures, il a toujours cru dans le talent de sa fille unique.

Pendant des mois, Lara et Rick parcourent le Québec d’est en ouest pour se produire dans des émissions de radios régionales. Une épopée mémorable durant laquelle ils dorment plus d’une fois sur la banquette de leur Chevrolet Lumina.

« Je me suis très vite sentie chez moi. Le Québec, c’est ma paix. Je respire ici. Il y a de la lumière. Regarde ce qui nous entoure ! » lance-t-elle joyeusement en indiquant la forêt à l’extérieur.

Ce n’est qu’à l’hiver suivant que sa notoriété fera boule de neige. Lara est invitée à chanter au talk-show de Sonia Benezra à TQS. Une consécration, à l’époque. Sa prestation aurait pu passer inaperçue mais, ce soir-là, une tempête fait rage et les Québécois sont nombreux à s’être réfugiés devant leur téléviseur. Dans les jours qui suivent, son disque se vend à plus de 100 000 exemplaires. Et les succès s’enchaînent.

Lara multiplie les concerts à guichets fermés un peu partout au pays, enre gistre un deuxième album, Carpe Diem, couronné disque d’or en moins de deux semaines, et rafle le Félix de l’Interprète québécoise de l’année et du Spectacle de l’année, interprète, en 1995.

« J’ai fini par être comparée à Céline. Les Québécois me faisaient ainsi un compliment. C’était une façon pour eux de me désigner comme une autre des grandes chanteuses. Ils ont commencé par m’appeler par mon prénom. C’est extraordinaire quand, dans le cœur des gens, vous devenez un prénom ! J’ai vécu cela comme l’un des plus grands honneurs décernés par le public », dit-elle avec reconnaissance.

Son directeur musical actuel, Manu Pitois, se rappelle très bien cette époque. « Elle est arrivée comme une bombe ! Et très vite, elle a aussi eu du succès en France. Grâce à son talent, c’est indéniable, mais aussi parce que les années 1990 étaient idéales pour lancer une carrière de chanteuse. L’âge d’or de l’industrie musicale ! » s’exclame-t-il.

Lara Fabian

Photo : Andréanne Gauthier

« Assieds-toi, Crokaert ! »

En 1997, Lara s’associe au label Sony. Une première grande tournée s’amorce, d’abord en France et en Belgique puis, quelques mois plus tard, aux quatre coins de la planète. Elle mène sa vie à 100 à l’heure. Et plonge dans une longue descente aux enfers.

On le devine, la pression est énorme sur les artistes de ce niveau : les grandes maisons de disque réclament qu’ils enfilent les hits.

Lara Fabian s’efforce de répondre aux exigences de ses partenaires financiers avec un registre de chansons plus commerciales, des cheveux plus blonds, une allure plus sexy. Elle s’astreint à perdre du poids. Toujours un peu plus.

Un soir, après un spectacle, elle se fait vomir dans les toilettes d’un restaurant chic de New York. Suivront ensuite sept années de lutte contre l’anorexie.

Au même moment, sa relation avec Rick Allison prend fin. Les médias qui ont contribué à son ascension sont désormais les premiers à se régaler des ratés de sa vie privée. Des émissions françaises, bien connues pour leurs concepts provocateurs – Tout le monde en parle, version France, notamment –, se moquent d’elle en l’associant au cliché de la chanteuse superficielle et écervelée. Un acharnement qui la blesse encore aujourd’hui.

« Quand tu es jeune, tu n’as pas assez de recul pour affronter ça. Tu en prends plein la gueule. Je reconnais que je leur donnais du grain à moudre, mon attitude n’était clairement pas alignée sur qui j’étais vraiment, mais je ne pense pas que c’était caution à méchanceté », lâche l’autrice-compositrice-interprète.

Lara s’enfonce dans un marasme qui durera près d’une décennie. C’est paradoxalement pendant cette période qu’elle écrira les ballades à succès « J’y crois encore » et « Immortelle ». L’expression musicale de ses sentiments les plus profonds.

Son corps lui signalera bientôt son point de rupture. Un jour, en 2010, Lara se brise deux vertèbres en soulevant un sac d’épicerie. Comme ça, sans signe avant-coureur. Une fracture très douloureuse, et surtout très rare, que les médecins expliquent comme la conséquence de sa détresse émotionnelle.

Assise en tailleur entre les gros accoudoirs de son fauteuil, elle exagère son accent belge avec une voix grave. « C’est le moment où la vie m’a dit : “Assieds-toi, Crokaert [son véritable nom de famille]. Il faut qu’on parle”. » Cette soudaine touche d’humour contraste avec la gravité de son récit.

Prise de conscience

Lara s’engage alors sur le chemin de la réhabilitation, pavé d’une légèreté aujourd’hui bien apprivoisée. Ses années de guérison, elle les partage entre Paris et Bruxelles, à l’abri des médias.

C’est aussi loin des projecteurs et des paparazzis qu’elle a vécu sa grossesse et la naissance de sa fille, Lou, qu’elle a eue avec le réalisateur franco-tunisien Gérard Pullicino en 2007. « Lou est le fruit de mon retour à la vie. On est beaucoup moins concentrée sur son petit nombril quand on est mère. Je devais guérir pour elle, je n’avais pas le choix », avance-t-elle.

Une photo en noir et blanc du duo mère-fille trône bien en vue dans la pièce. Lara y jette un œil et son visage exprime la fierté.

Lou est une adolescente charmante, passionnée de pâtisserie et de mangas, dixit maman Lara. « Elle est drôle, si drôle ! C’est une chouette gamine avec un monde bien à elle. Elle ne s’encombre pas des complexes qui ont été les miens. C’est merveilleux de voir que je ne lui ai pas refilé mes casseroles. »

La méditation kototama a permis à Lara de faire un premier pas vers la guérison. Cette technique consiste à produire des sons pour faire vibrer certaines parties du corps et en apaiser les maux. Une véritable révélation pour la chanteuse, qui s’y entraîne assidûment depuis une dizaine d’années. « Quand la vibration touche là où ça fait mal, la douleur disparaît. C’est irrésistible. Quelque chose en vous cède et accède à la conscience. C’est d’une simplicité incroyable, ça vous ramène à la candeur et à la joie de l’enfance. »

Cette démarche l’a guidée vers d’autres pratiques qui, au fil des années, l’ont incitée à revoir l’ordre de ses priorités. Elle éclate de rire. « Les gens vont se dire que j’ai fumé la moquette! Mais ce n’est vraiment rien d’ésotérique, seulement des approches concrètes qui m’ont aidée à comprendre qui j’étais et à mener une vie qui a du sens. »

En apprenant à se poser, Lara s’est guérie de ses blessures. « C’est comme ça que je suis devenue enfin prête à faire mon grand retour auprès du public en 2018, quand on m’a invitée à occuper l’un des fauteuils de l’émission La voix. J’allais enfin pouvoir être transparente aux yeux de tous, être intègre, être moi. »

Lara Fabian

Photo : Andréanne Gauthier

Des projets lumineux

Cette sérénité a aidé Lara à retrouver l’appétit. Cela lui a même inspiré un genre d’autobiographie culinaire intitulée Je passe à table, parue en novembre 2021 aux éditions Libre Expression.

Elle y dévoile des moments importants de sa vie, entrecoupés de recettes qu’elle affectionne particulièrement. On y découvre, entre autres, les étapes de préparation des légumes teriyaki et du sashimi de saumon en sauce de son amie Masayo Hashimoto, cheffe du restaurant japonais Momoka, à Paris.

Masayo venait d’ouvrir son établissement juste en face de chez Lara, dans le neuvième arrondissement, quand elle l’a rencontrée en 2003. « Je ne savais pas qu’elle était connue. J’avais offert des gâteaux à son garde du corps et elle est venue en personne pour me remercier. Elle m’a tout de suite paru d’une grande simplicité », se souvient la cheffe.

Les deux femmes se retrouvent régulièrement pour partager des confidences autour de bons petits plats. Masayo a vu Lara changer au cours des dernières années. « Au début, elle n’allait pas bien. Elle ne mangeait presque pas. Mais au fil du temps, elle a trouvé de la lumière. Et c’est l’amour qui a fini de la guérir. »

L’amour, c’est Gabriel Di Giorgio, que Lara a épousé en 2013. Celle-ci fait une pause pour définir leur relation avec justesse. « La volonté que nous avons de prendre soin l’un de l’autre est un écrin. Quand vous avez dans votre vie cette bienveillance et cette délicatesse, vous êtes dans le plus bel espace qui puisse exister. »

Il veille sur Lou comme un père. Et il s’occupera d’elle cet été, quand Lara partira pour sa tournée 50 World Tour qu’elle n’a pas encore pu entamer à cause de la pandémie. Ensuite, la famille décidera où elle souhaite s’établir.

Citoyenne canadienne, la chanteuse affirme se laisser guider par l’amour. « Je n’ai pas envie de choisir. Ces dernières années, vivre au Québec allait dans le sens logique. Et ça le sera encore pour quelque temps, jusqu’à ce qu’un autre projet m’appelle ailleurs. »

Ce projet pourrait bien être l’ouverture de sa propre école. Au Québec ou ailleurs. Elle y réfléchit depuis quelques années. Un lieu pour apprendre à chanter, évidemment, mais surtout à être soi-même. En pratiquant le kototama et en s’éveillant à tout ce qui, selon Lara, permet de vivre en accord avec sa conscience.

Voilà bientôt deux heures que dure cette interview. Mozart s’est tu. Lara s’étire, la mine satisfaite. Elle n’a plus rien à ajouter. Ou presque.

« La confiance et l’amour du public m’ont donné une voix. C’est mon capital. Je veux désormais l’utiliser au bénéfice des autres. Et jusqu’à la fin de mes jours, ce partage sera mon privilège. »

Cette fois, tout est dit.

En plus d’assurer la direction de Star Académie, Lara sera en spectacle au Québec en mai et en juin 2022. À l’automne, elle amorcera une tournée de 18 spectacles en France, en Belgique, en Hongrie et en Estonie, notamment. Tous à guichets fermés.

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