Culture

Les inséparables: le nouveau roman de Stuart Nadler

Stuart Nadler, jeune écrivain américain, signe une brillante fresque contemporaine qui dévoile trois femmes à la croisée des chemins.

Stuart Nadler_livreL’histoire

À Boston, en ce glacial février, un grand vent de changement va bouleverser l’existence de la famille Olyphant. La matriarche, veuve depuis peu, doit se résoudre à vendre sa vieille maison et la ferme attenante. Sa fille est en plein divorce, et sa petite-fille est victime de cyberharcèlement. Triste? Plutôt l’occasion de rebrasser les cartes, de se parler vraiment, de se regarder dans le blanc des yeux, de se reconnaître.

Les personnages

Henrietta, 70 ans. A jadis quitté sa vie d’intellectuelle new-yorkaise – prof de Women’s Studies – pour suivre son mari à Boston, où il allait ouvrir un restaurant haut de gamme. Auteure d’un livre sulfureux, devenu culte pour les mauvaises raisons selon elle. «Clin d’œil» féministe, il fut vivement critiqué par son public cible. Sa fille Oona, chirurgienne orthopédiste, a la malencontreuse idée d’avoir une aventure avec le thérapeute qu’elle et son mari consultaient avant de se séparer. Sa petite-fille Lydia, pensionnaire dans un collège renommé du Vermont, découvre à 15 ans les pièges des réseaux sociaux quand son pseudo petit ami lance sur Internet des photos d’elle dénudée.

On aime

Ce portrait de résistantes pour qui «la honte est un choix». La plume ironique de l’auteur, qui expose le néoconformisme de l’époque. Maisons patrimoniales rasées et remplacées par des immeubles sans âme et hors de prix. Jeunes couples de bobos s’installant dans des banlieues prétentieuses. Chef multiétoilé devant ranger sa toque et fermer son «musée du beurre», les clients réclamant du «végétalien», du «pescétarien». La sexualité exploitée sur Internet causant des ravages.

Photo: Jean-Luc Bertini

Photo: Jean-Luc Bertini

L’auteur

À 34 ans, Stuart Nadler est déjà un auteur reconnu. Diplômé de l’université de l’Iowa, il a reçu en 2012 le prix accordé par la National Book Foundation à un écrivain de moins de 35 ans. Chacun de ses livres, acclamé à sa parution, est traduit en français: Le livre de la vie (2013), recueil de nouvelles, Un été à Bluepoint (2015), son premier roman, et le superbe Les inséparables. Il vit et enseigne à Boston.

Les inséparables, traduit de l’anglais par Hélène Fournier, Albin Michel, 416 pp.

POUR LIRE UN EXTRAIT DES INSÉPARABLES

Les critiques du Club de lecture Châtelaine

karine martelKarine Martel

J’ai aimé: L’histoire de trois générations de femmes imparfaites, mais attachantes, qui passent par des moments difficiles de leur vie. Pour chacune d’elles, l’auteur critique avec virulence les contradictions de la société américaine. La première vient de perdre son mari et est aux prises avec des problèmes financiers. Elle a publié, dans sa jeunesse, un livre érotique sévèrement jugé par ses pairs, et l’auteur en profite pour dénigrer le puritanisme américain. La deuxième vit une séparation amoureuse et s’interroge sur l’échec de sa vie pourtant construite pour se conformer au rêve américain: la maison parfaite, la voiture parfaite et la thérapie de couple parfaite. La troisième vit une situation d’intimidation à l’école et est confrontée à l’hypocrisie des médias sociaux. Elle devra déterminer si la honte est nécessairement subie ou si elle peut être refusée. Bref, trois vies de femmes et trois occasions pour l’auteur d’analyser leurs travers. J’ai aimé le regard acéré de l’auteur et son humour cynique, jamais naïf. Le style d’écriture est simple et direct, et j’ai aimé que les chapitres alternent entre les trois personnages principaux. Je vais certainement ajouter le premier roman de cet auteur à ma liste de lecture!
J’ai moins aimé: Les hommes fiers, fiables et dignes existent, mais pas dans ce roman. Les hommes dans les vies de ces femmes sont tristement irresponsables et égocentriques. Au final, des femmes désespérées et des hommes désespérants! J’aurais souhaité un meilleur équilibre des genres.

Ma note sur 10: 8,5

Raphaelle-LambertRaphaëlle Lambert

J’ai aimé: Le destin de trois femmes qui vivent chacune un moment éprouvant qui les réunit. Trois femmes qui se retrouvent côte à côte et tentent de s’apprivoiser. C’est l’histoire d’un manque de communication, des ratés de la communication mère-fille. Au fond, on ne veut jamais trop inquiéter notre mère et, peu importe notre âge, on reste toujours la fille de notre mère et la mère de notre enfant. J’ai aimé les différents niveaux d’histoire, le passé de la grand-mère, son deuil, ses vieux souvenirs, la saga causée par le livre féministe qu’elle a écrit à une époque puritaine, l’ascension et le déclin du restaurant de son mari. Sa fille qui se sépare, qui s’est toujours donnée à fond au travail, digne de l’indépendance que lui a léguée sa mère, et puis l’incident désastreux de la petite-fille dans son collège chic… La honte portée comme une tare génétique et le regard des autres qu’il faut choisir de subir ou non. Les apprentissages se font à la dure, mais il en reste quelque chose comme une unification des forces et le triomphe du lâcher-prise.

J’ai moins aimé: Je ne sais pas si c’est la traduction, mais l’écriture ne m’a pas vraiment touchée, malgré certains moments cocasses ou émouvants. Il y a quelque chose d’inachevé, il me semble, quelque chose de flottant qui ne conclut rien dans le récit. Mais y a-t-il vraiment grand-chose à ajouter quand on passe à travers ces épreuves? Après tout, la vie ne fait que continuer.

Ma note sur 10: 7,5

 

NathalieThibaultNathalie Thibault

J’ai aimé: De très beaux personnages et une promesse de relations complexes entre trois générations de femmes. Une grand-mère excentrique intellectuelle ayant écrit un roman érotique, qui a passé sa vie à suivre son homme dans la réalisation de son rêve. Sa fille, une chirurgienne insomniaque usée par ses 20 ans de mariage. Sa petite-fille, piégée sur le Net et déjà salie par sa naïveté. Les personnages qui gravitent autour de chacune d’elles sont d’autant plus intéressants qu’ils illustrent un certain cynisme: un mari qui connaît la gloire et la déchéance dans son resto trop français à la cuisine trop beurrée, et un antiquaire lubrique; le gendre constamment défoncé attaché à sa bouée de femme dont il s’échappera et l’amant thérapeute désaxé complètement superficiel; le jeune fils à papa, salopard de première et de père en fils. Entre elles, un lien: la honte. Entre eux: le romantisme salvateur. Un amour dépendance derrière un écran de fumée. Parfois assez cynique, parfois brûlant, le livre contient cette phrase à retenir pour nos héroïnes: «La honte est un choix.»

Je moins aimé: J’aurais préféré lire le roman Les inséparables d’Henrietta plutôt que celui-ci. Je ne me suis pas attachée ni identifiée aux personnages. Leurs vies ne m’ont pas intéressée. L’émotion furtive et le sourire doux-amer m’ont certes habitée par moments, mais aucune curiosité ne m’a motivée à lire encore et encore. Je l’ai terminé en retard et par devoir ! Mais, par chance, je l’ai lu jusqu’au bout: la deuxième partie est meilleure que la première, la troisième que la deuxième, et la quatrième s’avère enfin savoureuse.

Ma note sur 10: 8

 

Anja_DjogoAnja Djogo

J’ai aimé: Je ne peux pas dire que Les inséparables restera gravé dans ma mémoire bien longtemps, mais Stuart Nadler a un style simple et fluide que l’on prend plaisir à lire. Un parfait livre d’été!

Je moins aimé: La réaction du pensionnat de Lydia au fait qu’une photo d’elle dénudée a circulé à son insu m’a semblé complètement incohérente. Pourquoi une école (prestigieuse et de gauche de surcroît) punirait-elle une victime de cyberharcèlement plutôt que de la protéger? Peut-être que Stuart Nadler cherchait justement à susciter un sentiment d’injustice chez le lecteur, mais cet élément a provoqué chez moi plus de scepticisme qu’autre chose.

Ma note sur 10: 7

 

isabellegoupilsormanyIsabelle Goupil-Sormany

J’ai aimé: L’auteur nous offre des personnages forts, typés, caractériels, désespérés. Dès l’amorce du roman, j’ai pris plaisir à les voir s’entrechoquer et s’animer. J’ai aussi apprécié le réalisme de la proposition initiale: deuils, séparation, humiliation, causés par la mort, le divorce, la faillite ou le cybersexe.

J’ai moins aimé: Le roman s’essouffle et ne parvient pas à dépasser les clichés et la superficialité des drames humains décrits. Il ne devient qu’une parenthèse pour des personnages qui, étant donné leurs excès initiaux, nous promettaient davantage. C’est un roman scénario hollywoodien avec le détachement en finale. J’aurais souhaité autre chose.

Ma note sur 10: En décrescendo: 8 au début, 6 au milieu et 5 à la fin.

 

marie-claude_n_bMarie-Claude Rioux

J’ai aimé: La construction du roman m’a beaucoup plu. Un roman choral comme j’aime, dans lequel trois voix féminines s’entrecroisent adroitement. Le présent s’enrichit de retours en arrière judicieusement amenés. L’intrigue autour de l’ado est celle qui m’a le plus interpellée. Les qualités de l’écriture parviennent à camoufler le manque d’originalité de l’intrigue.

J’ai moins aimé: Le manque de nuances et d’épaisseur des personnages (Oona, présentée comme une workaholic, n’a pas travaillé fort, fort pendant la durée du récit. Et que dire de son futur ex-mari, réduit au rôle de fumeur de pot…). J’ai trouvé qu’il manquait de chair autour de l’os. Certains personnages, comme le psy, passent en coup de vent. Plutôt que de faire partie intégrante de l’intrigue, ils y sont rattachés pour les besoins du récit, servent de prétextes, vite évacués. J’ai cherché entre ces pages «l’humour digne de Woody Allen» annoncé en quatrième de couverture. Je le cherche encore…

Ma note sur 10: 5

 

SandrineDesbiensSandrine Desbiens

J’ai aimé: Habituellement, je ne suis pas très fan des histoires multigénérationnelles où chacun a une petite influence sur l’autre. Le livre débute en force. Les problèmes de chacun sont tous exposés dès le premier chapitre, ce qui promet une histoire riche. Viennent ensuite les personnages, drôles et distants les uns des autres. Cette distance entre chaque génération semble provenir de la honte ou du regret d’un geste non posé. Henrietta est le personnage le plus riche et le plus impulsif du livre. Une femme de 70 ans gênée par un livre érotique qu’elle a écrit lorsqu’elle était jeune, c’est fabuleux comme ancre du livre. La relation entre le père et sa fille est bonne, et on peut voir qu’elle s’enrichit jusqu’au dernier chapitre.

J’ai moins aimé: Le début semblait prometteur, mais l’histoire traîne ensuite en longueur jusqu’à la fin. Les dialogues sont courts et dilués dans le flot de pensées et de souvenirs des personnages. Leurs problèmes sont présents en permanence, à chaque conversation et chaque moment. Cela devient lourd au fil des chapitres. Et puis les relations ne semblent pas s’arranger à la fin, mais plutôt tomber dans un abysse de suppositions laissées à la discrétion du lecteur. En fait, l’histoire est comme un amuse-bouche qui n’est pas terminé.

Ma note sur 10: 5,5

 

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