N’en déplaise aux amateurs de clichés, il n’y a pas que la nature sauvage qui vaille le détour en Colombie-Britannique. La province de l’Ouest se découvre aussi par ses villes. En voici trois, qui m’ont toutes séduite.
Kelowna, la choyée
Un miroir azur. Immense, bordé par les montagnes, traversé par le reflet des nuages qui filent entre les grands arbres. Le Pacifique peut attendre, car le majestueux lac Okanagan n’a rien à lui envier. La ville est juste derrière moi, mais, déjà, je me sens minuscule et un peu perdue. Pourtant, la Knox Mountain est accessible à pied du centre-ville de Kelowna, charmante agglomération de 129 500 habitants. Le chemin escarpé mène jusqu’à une anse d’où l’on aperçoit, en tendant le cou, quelques propriétés dignes des plus chics magazines déco, nichées à flanc de colline. Les piscines à débordement découpent des rectangles turquoise qui semblent flotter au-dessus du lac. Un couple de sexagénaires grimpe la côte au petit trot, souriant. Des athlètes du dimanche, j’en croiserai beaucoup d’autres pendant mon séjour en Colombie-Britannique. Ici, le tonus est de mise à tout âge.
Heureux résidants de la vallée de l’Okanagan! Une température douce été comme hiver, juste assez de pluie pour faire verdir les collines… C’est également une région semi-désertique qu’un efficace système d’irrigation a transformée en verger pris d’assaut par les cueilleurs d’abricots, de pêches, de prunes ou de poires, selon la saison. On l’appelle la «Napa du Nord», en référence à sa cousine californienne située à des centaines de kilomètres vers le sud. Car ici, le raisin est roi et les exploitations vinicoles, renommées. Ce soir, j’ai la chance de goûter les produits de Quails’ Gate, un vignoble familial qui a été l’un des premiers à s’installer dans ce coin de pays, dans les années 1950. Les rangées de vignes qui descendent en pente douce vers le lac Okanagan invitent à la balade après la dégustation. «Nous célébrons souvent des mariages ici », dit Lindsay Kelm, qui travaille à Quails’ Gate, alors que nous nous promenons en goûtant au passage des raisins bien mûrs. Il est vrai que ce cadre bucolique prête bien au romantisme.
En suivant la route des vignobles, j’apprends qu’il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses, des grands domaines à la petite exploitation familiale, de l’ambiance «cuir et cigare» à la joyeuse fantaisie des vignerons hipsters. Sur la côte ouest, les établissements de grand luxe côtoient avec naturel ceux des hippies décomplexés. Ce qui unit tous ces styles? L’amour des produits locaux et l’ouverture sur la communauté, un mot décliné sur tous les tons par les artisans que je croise en chemin, fiers de leur terroir et profondément attachés aux gens qui partagent leur petit coin de paradis.
Le lendemain, mon trop court séjour à Kelowna s’achève sur une journée tout en contrastes. Le matin, je saute sur mon vélo pour une promenade vertigineuse le long d’une ancienne voie de chemin de fer datant du début du 20e siècle: Myra Canyon. La ligne desservait autrefois les villes minières du secteur, à l’époque où l’exploitation de l’or et de l’argent était en plein essor. Pas étonnant que cet endroit ait été désigné lieu historique national du Canada – le tracé de cette voie ferrée qui longe et surplombe même parfois le précipice est une prouesse d’ingénierie. À 900 mètres d’altitude, la température chute de plusieurs degrés et le paysage se pare d’une beauté tragique, avec ses rubans de brume qui s’effilochent aux branches des pins les plus hauts. Çà et là, il porte encore les cicatrices des incendies qui ont ravagé la région en 2003, menaçant les habitations aux portes de Kelowna.
Le soir, changement d’ambiance. L’ancien chef du Ritz de Toronto Daniel Craig – non, pas James Bond – a installé ses pénates dans le restaurant OAK + CRU sis dans le Delta Hotels by Marriott Grand Okanagan Resort. On y propose des produits 100 % locaux présentés avec une incroyable créativité. Le repas commence par un joli monticule de cailloux (oui, oui, des cailloux!) surplombé d’une délicieuse petite pomme de terre craquante gris charbon. Il se poursuit avec une infusion de -champignons concoctée sous mes yeux dans un alambic, et se conclut dans un nuage de fumée blanche dévoilant une mignonne tartelette à la pêche, aux tomates, au fromage de chèvre et au miel.
Vancouver, la lumineuse
Après 45 minutes de vol, me voilà à Vancouver, métropole vibrante et électrique de 631 500 âmes. Même sous les nuages, le verre et l’acier des gratte-ciel étroits accrochent chaque rayon de soleil, parant le panorama de milliers de diamants. Coincée entre montagnes et océan, Vancouver est constituée d’eau et de lumière. Sur False Creek, ce bras de mer qui sépare le centre-ville du reste de la ville, des centaines d’embarcations – de toutes les formes et de toutes les couleurs – sont à flot. Sur la digue, coureurs, cyclistes, promeneurs de chien ou simples passants profitent de la vue en se dégourdissant les jambes.
Pour le souper, rendez-vous au centre-ville, au Spencer’s Resto Lounge. Au menu: cocktails aux arômes boisés, légumes tout juste cueillis et saumon du Pacifique fondant sous sa croûte d’épices. Mia Glanz, la fille du fondateur de l’Odd Society, une distillerie de l’est de la ville, a pris possession du bar. Ex-étudiante en ethnobotanique, elle confectionne ses mixtures ambrées à la pipette, dosant le gin à la giroflée comme une alchimiste. Parfums des sous-bois et textures végétales m’accompagnent pendant tout le repas.
Cette nuit, je dors au Douglas Autograph Collection Hotel, dans Yaletown, un ancien quartier industriel converti en coin branché. Ici aussi, -malgré la présence des vieux entrepôts et l’imposant voisinage du stade de Vancouver, la nature est partout: du tronc d’arbre scellé dans le plexiglas du comptoir d’accueil aux corridors imaginés comme une promenade en forêt avec leur papier peint trompe-l’œil, en passant par le jardin potager surélevé installé sur une passerelle qui sépare le Douglas de l’immeuble voisin. Dans cet hôtel qui se visite comme un musée, je découvre un salon caché derrière une bibliothèque qui bascule comme dans les romans d’espionnage!
Victoria, la charmeuse
C’est en hélicoptère que j’atterris sur l’île de Vancouver, près du centre-ville de Victoria. Le trajet d’une trentaine de minutes permet d’éviter plus de trois heures de transport, entre le voyage en traversier et la circulation routière. J’ai donc renoncé à guetter les baleines qu’on aperçoit parfois du pont du bateau.
La capitale est située sur la pointe sud de l’île. Au bord de l’eau, le centre-ville propose à ses 85 000 habitants une promenade jalonnée de kiosques d’artisanat remplis d’objets souvenirs de la Première Nation salish. Au fond de la baie, face au parlement de la Colombie-Britannique, se dresse l’Empress. Cet hôtel de style «château édouardien» a été construit au début du 20e siècle. Le Canadien Pacifique y logeait les clients de ses lignes de bateaux à vapeur. Le contraste entre ce monument patrimonial et les hydravions jaunes et rouges amarrés tout à côté offre un instantané où se mêlent histoire et modernité.
Quittant le bord de l’eau, je découvre l’un des trésors de la capitale: Abkhazi Garden, le jardin d’une princesse, une vraie, sans lien avec la couronne britannique. Il s’agit de Peggy Pemberton-Carter, l’épouse du prince Nicholas, dernier des souverains d’Abkhazie, un petit royaume du Caucase, entre l’Europe et l’Asie, se trouvant aux confins de la mer Noire. Nicholas et sa belle se sont rencontrés à Paris en 1922 alors que le prince était en exil à la suite de la révolution bolchévique. Ils ont vécu une longue et grande histoire d’amour, principalement à distance, entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique. Comme les amants se sont retrouvés sur le tard après moult péripéties, ils n’ont pas eu d’enfants. À la place, ils ont créé ces lieux empreints de sérénité où les rhododendrons géants et les plantes exotiques et alpines profitent du microclimat de Victoria.
Le jardin, construit en terrasses, rappelle une courtepointe avec ses îlots de fleurs et de verdure. Tout au fond, la maison du prince et de la princesse a été transformée en salon de thé ultra british. Mon earl grey est servi dans une tasse en porcelaine aussi délicate que charmante. L’am-biance est feutrée, on y parle à voix basse en admirant les érables japonais à l’extérieur et les photos anciennes de cette princesse méconnue qui a donné à la ville ce havre de paix et de nature.
L’après-midi touche à sa fin et me voilà prête à partir pour le Sante Spa du Bear Mountain Resort. Gagnant de multiples prix, l’endroit a été reconnu comme l’un des plus beaux spas en Amérique du Nord. En attendant mon soin, j’hésite à me plonger dans le bain à remous extérieur qui fait face aux montagnes Olympiques – c’est leur nom – s’élevant tout juste de l’autre côté de la frontière. Des images de nature plein la tête, je laisse ma masseuse, Laura, m’emmailloter le haut du corps avec des gestes d’une lenteur infinie. Le traitement facial rend ma peau douce, et le massage des épaules me délasse. Ce soir, je serai moi aussi une princesse aux joues roses, mais je me promets de revenir jouer la coureuse des bois à la première occasion. En Colombie-Britannique, on peut très bien être les deux.