Mes skis font des kssch, kssch dans la neige immaculée. Si je pouvais, je me pincerais : je suis en train de dévaler une montagne des Alpes. Ce qui est loin d’être banal pour une fille qui, hier encore, se tenait au bas du remonte-pente, tétanisée.
Ma peur maladive des hauteurs me garde près du sol. Mais mon envie de vivre avec intensité me fait dire «oui !» à toutes sortes d’invitations.
Alors, me voilà à la station Peisey-Vallandry en Savoie, dans un Club Med montagnard. J’y ai été conviée pour apprendre à skier – les dures épreuves du métier, quoi !
Photo: Guiziou Franck/Hemis.Fr/Getty ImagesLe fou rire me prend. Je skie ! C’est grisant. Sur la piste étroite bordée de conifères, les skieurs plus expérimentés me doublent – toujours avec civilité. Je me concentre pour ne pas me retrouver cul par-dessus tête. « Ça va bien, la Canadienne ! » lance Yohann, l’instructeur de mon groupe d’apprentis, que je dépasse, toute contente.
L’ego gonflé à bloc, je poursuis ma descente avec assurance, délaissant même le chasse-neige au profit du ski en parallèle. À un carrefour, des bambins dessinent des S dans la neige en filant à toute allure. Ces ballets acrobatiques sur la piste lumineuse sont beaux à voir en ce petit matin frisquet.
À certains moments, mes camarades font une pause. Tom, timide ado anglais, et Tierno, fier Parisien, rivalisent pour être premier. Dédaignant d’attendre les autres qui traînent derrière, ils foncent sans reprendre leur souffle. « C’est quand même sportif ! » me répète Hine, maman de 39 ans, hors d’haleine.
En seulement deux jours, les uns et les autres ont gagné en confiance. Hier, tous, nous arrivions à peine à nous tenir debout sur nos skis, à maintenir la position du chasse-neige, à contourner les cônes bleu et jaune… Pour ma part, j’ai même pris plaisir à grimper dans les télésièges ! J’ai d’abord hésité entre fermer les yeux ou affronter mes craintes. Mais le décor était si éblouissant que j’en ai oublié ma phobie. Ma rétine s’est remplie de toute la beauté de ce monde grandiose où se profilent pics enneigés et vallées encaissées.
Notre moniteur est hyper qualifié. Plutôt charmeur, il sait manier consignes fermes, sourires ravageurs et blagues bon enfant. Une attitude qui favorise l’apprentissage. D’ailleurs, cet après-midi, je quémanderai son aide à plusieurs reprises.
Le groupe attaque une pente plus costaude, question de « travailler la vitesse ». La vitesse ? Mais pourquoi ? En ai-je vraiment besoin ? Je regarde vers le bas, la pente semble se terminer d’un coup. Alors là, ça dépasse mes capacités. Mes skis sont nerveux et la fébrilité me gagne. Et si je dégringolais en bas en mille morceaux ? « Tes épaules, Johanna ! Reste droite ! » me crie Yohann, agacé. Je sais, je sais.
Il nous donne de nouvelles directives. « Il faut traverser la piste et se rendre de l’autre côté. » Les skieurs passent en trombe dans une habile chorégraphie. Je suis l’un d’eux du regard. Jusqu’à ce qu’il disparaisse… Où est-il passé ? Ça ressemble à un précipice, ça. Les hormones du stress remettent ça. Et au moment de m’élancer, le contrôle des planches m’échappe complètement. Ça va trop vite ! Vaincue, je me lance par terre. L’orgueilleuse en moi veut tout de suite se remettre sur pied. Mais ma cheville droite ne coopère pas. «Qu’est-ce que tu fais là ?» lance, blagueur, Yohann en m’aidant à me relever.
La gang s’installe sur un versant pour expérimenter le slalom. Un tire-fesses nous permet d’accéder aux hauteurs. « Maintenant, les skis en parallèle, tout le monde ! » s’exclame le moniteur. Dans cette côte plutôt abrupte, je perds de ma superbe et mes jambes fatiguées se mettent à trembler. Mais j’arrive en bas. Et je remonte, et m’élance de nouveau…
Je m’arrête un moment. Quelle splendeur de voir se découper au loin ces imposantes montagnes, dont le massif du Mont-Blanc pris au piège dans les nuages ! Derrière mes Oakley, les larmes me viennent aux yeux. Qui aurait cru que je pourrais parvenir jusqu’ici ?
Pour moi, la formule tout compris pour touristes-à-boutte rimait davantage avec les trois P : plage, palmiers et paresse. J’oubliais que le Club Med est aussi établi en montagne. Dans les Alpes françaises, on en compte 15, dont celui de Peisey-Vallandry, situé en plein cœur de la Savoie gourmande. Avec ses 284 chambres, ce dernier n’est ni le plus huppé ni le plus moderne de la célèbre chaîne. Son auberge montagnarde de bois et de pierre offre néanmoins tout le confort nécessaire avec un bon rapport qualité/prix. Détail non négligeable, les leçons de ski (25 heures pour la semaine) prodiguées par des moniteurs de l’École du ski français (ESF) sont gratuites pour les débutants comme pour les experts. Le domaine skiable représente plus de 200 km. Et les premiers télésièges sont à moins de 100 m…
Et que dire des repas ! Toujours spectaculaire, ce buffet : de la choucroute alsacienne, des moules marinière ou un couscous marocain ? « On propose un assortiment de spécialités savoyardes et de plats divers : produits de la mer, ethnique, terroir », dit le chef Marc Puchouau, qui supervise 35 personnes en cuisine. Une mention spéciale pour la tartiflette, un gratin de Savoie fait de pommes de terre, lardons, oignons et reblochon. D’ailleurs, le plateau de fromages impressionne par sa diversité (tomme grise, beaufort, abondance…). Le chef en commande de 10 à 12 kilos par jour !
À la chapelle Notre-Dame-des-Vernettes, on célèbre l’office tous les vendredis à 10 h. Les gens du coin s’y mêlent aux touristes. Aussi, chaque 16 juillet depuis 1773, un pèlerinage y a lieu. Un miracle s’y serait produit. « En Savoie, les gens étaient très croyants parce que la vie était dure », dit Marie Rivaud, de l’Office de tourisme de Peisey-Vallandry.
Les environs de Peisey-Vallandry se prêtent bien à la promenade. En ce jour printanier, le chemin est dégagé de toute trace de neige. Un petit crachin tombe. Niché à 1 650 m d’altitude, le hameau de Vieux Plan Pesey est désert. Quelques maisons de pierre avec toits de lauzes, reprises et rénovées par des proprios étrangers, sont louées aux skieurs de passage.
Au bout de la route, une belle récompense : la chapelle Notre‑Dame-des‑Vernettes datant de 1720, classée monument historique – on a restauré ses fresques d’art baroque au cours des dernières années. Nous sommes à 1 816 m d’altitude au pied de l’Aiguille Grive (2 732 m).
Le tonnerre se fait entendre au loin. En sortant du lieu de culte, on se retrouve propulsés en plein hiver. Le temps changeant de la montagne a fait des siennes : une neige molle recouvre le paysage printanier. Les fleurs ploient sous les cristaux blancs. Les Alpes s’effacent dans la tempête. Le sentier pédestre se transforme vite en rigole boueuse. Sales et mouillés jusqu’aux os, on descendra presque sur les fesses jusqu’au village de La Chenarie, à 1 505 m d’altitude.
Après, visite de la ferme de Pierre Poccard, qui produit des fromages fins, tel le mythique beaufort (de type gruyère). Avec le lait de ses 200 vaches tarentaises, il en fabrique annuellement 80 tonnes, dont une partie du très recherché beaufort d’alpage, impossible à trouver à l’extérieur de la France. « En montagne, si on ne fait pas de la qualité, on ne survit pas », lâche-t-il.
Ses bêtes sortent dès que le beau temps s’installe. À la mi-juin, elles grimpent dans les montagnes, jusqu’à 2 300 m d’altitude, puis reviennent au bercail en octobre. « Quand il n’y a plus d’herbe à manger, on les fait monter. Et on monte, encore et encore », explique Marie Rivaud de l’Office de tourisme de Peisey-Vallandry.
Il faudra revenir en été pour gambader dans les pâturages fleuris et entendre les sonnailles des jolies rousses de Monsieur Poccard. En attendant, on repartira en chargeant ses bagages de reblochon fermier et de beaufort d’alpage – oui, oui ! on peut rapporter du fromage sous vide…
Le Vanoise Express relie les domaines skiables de Peisey-Vallandry/Les Arcs et de La Plagne, au cœur de Paradiski, qui permet d’accéder à 420 km de pistes. Un peu moins de 1 km sépare les deux massifs, un trajet qu’on boucle en 3 1/2 minutes à bord de la cabine.
La journaliste a été l’invitée d’Atout France, du Club Med, d’Air Canada, de Tourisme Auvergne-Rhône-Alpes et de l’Office de tourisme de Peisey-Vallandry.
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