Voyages et escapades

New York autrement

On s’y rend autant pour l’inédit et l’inouï que pour ces icônes qu’on voudrait éternelles : les taxis jaunes, Central Park sous la neige, l’Empire State Building brillant dans la nuit.

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Est-ce un hasard si j’ai oublié mon guide touristique tout neuf sur ma table de chevet, à la maison ? Quatre ans après l’attaque qui a détruit les tours du World Trade Center, la ville est encore blessée, certes, mais dynamique, électrique, enjouée. Merveilleux paradoxe de Manhattan où l’on se rend autant pour l’inédit que pour ces icônes qu’on voudrait éternelles : les taxis jaunes, Central Park sous la neige, l’Empire State Building brillant dans la nuit.

Dans mon esprit, les époques se mélangent. Je revois le MoMA, le Museum of Modern Art, complètement rénové, que j’ai visité l’an dernier, avec ses vastes galeries dont les Nymphéas de Claude Monet dominent les baies vitrées du rez-de-chaussée. J’aperçois cette image mythique qui remonte aux années 1950 : la silhouette de James Dean sous la pluie dans le vieux Times Square. Je me représente des endroits célèbres : le Cotton Club, fameuse boîte de jazz disparue bien avant ma naissance, mais aussi le Dakota, immeuble de style gothique situé du côté ouest de Central Park, où Roman Polanski a tourné Rosemary’s Baby en 1968 et devant lequel John Lennon a été assassiné 12 ans plus tard.

Je n’oublie pas non plus le Manhattan si jouissif de Woody Allen, avec ses édifices beaux-arts et ses façades Art déco. Ni cette petite librairie poussiéreuse de SoHo où, dans Hannah et ses sœurs, Elliot (Michael Caine) offre à Lee (Barbara Hershey) un recueil du poète américain E.E. Cummings. Pendant que, dans Lower Manhattan, architectes et politiciens continuent de se disputer sur la manière de commémorer Ground Zero, une cinquantaine de pâtés de maisons plus au nord, dans l’Upper West Side, on réinvente la ville. Je ne parle pas du rutilant Times Square, « revampé » (trop Disney à mon goût) dans la dernière décennie, mais du dernier-né des grands ouvrages d’urbanisme de cette ville magique : le spectaculaire Columbus Circle, un modèle de bon goût et de savoir-faire où, parmi une demi-douzaine de nouveaux gratte-ciel, se dresse le méga siège social de Time Warner, numéro un mondial du divertissement.

Inauguré en février 2004, construit au coût de 1,7 milliard de dollars, le Time Warner Center constitue l’une des plus ambitieuses réalisations de toute l’histoire de Manhattan. C’est ici, derrière la coque argentée et la gigantesque façade vitrée du 10, Columbus Circle, que se trouvent les boutiques les plus chics de la planète, mais aussi un hôtel hyper-luxueux (le Mandarin Oriental), des condominiums, les studios de CNN, des dizaines de traiteurs et de restaurants raffinés. C’est ici également, entre Central Park et Times Square, dans les deux salles du Jazz at Lincoln Center, qu’on a installé le plus important complexe artistique consacré au jazz au monde.

La vie d’artiste

Établie à New York depuis une dizaine d’années, la peintre Corno a procédé l’automne dernier à la projection d’une douzaine de ses toiles sur un des édifices de Columbus Circle. Baptisé Techno-Graffiti, l’événement s’est échelonné de 19 h à minuit les 21, 23 et 24 septembre derniers. De tous les coins de la grand-place dominée par la statue de Christophe Colomb, depuis la mezzanine du Time Warner Building jusqu’aux tables du très chic Cafe Gray et du luxueux Stone Rose, on pouvait voir se profiler dans la nuit les icônes pop de l’artiste originaire de Chicoutimi.

À 50 ans, Corno trouve son élan à New York. Par l’entremise de son marchand, Opera Gallery, elle vendrait aussi bien à New York qu’à Tokyo et Paris des huiles grand format qui se détaillent, dit-elle 20 000 $ pièce. « Si tu travailles fort et si tu restes concentrée sur ce que tu fais, New York te donne les moyens de réaliser tes ambitions les plus folles », déclare-t-elle.

À la frontière de SoHo et du Lower East Side, Corno habite un quartier où, il y a encore cinq ans, il n’était pas recommandé de se promener la nuit. Le long de la Bowery, là où il y avait des quincailleries et des refuges pour itinérants, on trouve à présent des condos qu’on s’arrache pour plus d’un million de dollars. Comme ses voisins, Corno est victime de cet embourgeoisement. Avec l’espace qu’elle compte ajouter à son studio, elle versera à son propriétaire des mensualités de 8 000 $ (sans compter le chauffage) pour moins de 800 mètres carrés.

« C’est le prix à payer pour vivre à New York, dit-elle. Or, il faut être sur place car ce sont les contacts qui font la différence. » Habituée du Joyce Theater, la Mecque de la danse contemporaine à Manhattan où la Québécoise Marie Chouinard s’est produite à quelques reprises, Corno se dit inspirée par la vitalité de New York. Incapable de se faire cuire un œuf, elle mange tous les jours dans les restaurants. Elle va aussi bien à l’élégant Pastis, dans le Meat Packing District — un quartier du Lower Manhattan où l’on trouve le célèbre Chelsea Market — que chez Freeman’s, un boui-boui sympathique non loin de chez elle. Au Balthazar, la brasserie cool de la rue Spring où l’on peut la voir régulièrement, elle a droit à sa flûte de champagne, courtoisie de la maison. Bien qu’elle boive très peu d’alcool (« pour rester au top de ma forme », précise-t-elle), Corno adore aller danser en boîte et elle a vu tous les musicals sur Broadway. Mais ce qui l’anime avant tout, c’est la rue, « les panneaux publicitaires de Calvin Klein, les boutiques flyées, les vitrines, l’architecture capotée ».

Les enchères Christie’s

Michel Robitaille connaît bien Corno, « l’artiste québécoise qui se démarque le plus à New York », m’avait-il affirmé avant mon arrivée. Reconnu pour son réalisme efficace et ses manières décontractées, le délégué du Québec à New York est très au courant des succès des artistes et autres ambassadeurs de la culture québécoise dans la métropole américaine. Il se déplace immanquablement lorsque l’un d’eux expose dans une galerie ou se produit sur scène et les a tous reçus un jour ou l’autre dans ses bureaux du Rockefeller Center.

À Manhattan depuis quatre ans, Michel Robitaille, qui a commencé sa carrière diplomatique en 1978 en Belgique, a tout de suite adoré la personnalité culturelle de New York. Son fils de 24 ans a étudié l’architecture pendant un an à l’Université Columbia, et il se passe rarement une semaine sans que monsieur le délégué visite une exposition ou assiste à un concert. Comme son ordre du jour est serré, il fréquente surtout le Midtown, le quartier où il habite.

À deux pas de son bureau, il fait un saut de temps en temps dans les salles de vente aux enchères de Christie’s, 49e Rue. Il recommande d’ailleurs cette aventure aux touristes. « C’est gratuit. On peut y voir toutes sortes d’objets d’art : des tableaux, oui, mais aussi des vins anciens, des bijoux, des meubles. J’ai même pu contempler la collection de guitares d’Eric Clapton à l’été 2004. » Parfois, il assiste comme observateur à une vente aux enchères. Encore une fois, c’est gratuit : il suffit de s’inscrire quelques jours à l’avance. Il a ainsi vu un tableau impressionniste s’envoler pour 12 millions de dollars ! « Une expérience que chacun devrait vivre au moins une fois dans sa vie », conclut-il, enthousiaste.

Direction : Brooklyn

On peut se renseigner sur les ventes de Christie’s et de Sotheby’s en consultant le New York Times du vendredi ou du dimanche. Mais pour découvrir le New York vraiment hot, cet exercice est inutile, soutient le Montréalais Bastien Beauchamp, directeur de Freeset Interactive Entertainment et habitant de Brooklyn depuis neuf mois. « Car les choses les plus intéressantes à New York voyagent de bouche à oreille. Parfois, c’est un concert que quelqu’un organise dans son loft, au 22e étage d’un immeuble en ruine. Ou alors, c’est un bar sans enseigne dans un cul-de-sac. Ces trucs-là ne sont pas couverts par les médias. Il faut se renseigner à l’avance et préparer son séjour. »

Spécialisé dans la production d’environnements multimédias, Bastien Beauchamp a conçu le cédérom d’In Vivo, l’album interactif du groupe de rap Loco Locass. Il suit très attentivement ce qui se passe sur la scène « alternative » new-yorkaise. « En tant que créateur, dit-il, je suis ici pour prendre le pouls de l’underground. Je dois savoir ce qui sera populaire dans deux ans. »

Diplômé des HEC de Montréal, Bastien Beauchamp possède une expertise qui le situe à l’avant-garde dans son domaine. Avec Freeset, il compte bien percer à New York. Il s’est installé à Williamsburg, le quartier à la mode de Brooklyn, situé face à Manhattan, en bordure de l’East River, à cinq stations de métro d’Union Square. Sorte de Plateau-Mont-Royal hyper-branché, Williamsburg c’est l’anti-SoHo : une joyeuse communauté où sont réunies toutes les tendances contestataires.

« Dans les bars, note Bastien, tu bois des cocktails et tu écoutes des chansons de Johnny Cash. Tu vois également des filles tricoter dans les cafés. Dans les boutiques, c’est très craft, très recyclage. L’écologie est une préoccupation incontournable. »

Il propose une balade le long de Bedford Avenue, la Main de Williamsburg, avec un crochet du côté du Galapagos, le centre d’art un peu ésotérique, North Sixth Street. En passant, on pourra s’arrêter chez Future Perfect, une des nombreuses boutiques de design très originales qui essaiment dans le quartier. Auparavant, on aura avalé un gâteau chez Fabiane’s, un café de style très européen où converge la faune locale. Dans la soirée, on commandera un poisson grillé chez Sea, le restaurant thaï qui, avec son bassin couvert de nénuphars et sa statue du Bouddha, distille une ambiance feutrée, très caverne orientale. Après quoi, on ira prendre un verre dans l’un des nombreux bars funky situés de part et d’autre des bretelles surélevées de l’autoroute 278.

Parmi les plus populaires, on nous a recommandé le Pete’s Candy Store, au 709, rue Lorimer, quasi indétectable de l’extérieur. On peut y boire une margarita pour trois dollars, une aubaine. Également très couru (par les messieurs notamment), le Tinted Lady Lounge, rue Grand, où les clientes s’adonnent au strip-tease comme d’autres au karaoké. « C’est inspiré du Las Vegas des années 1950 et (presque) toujours de bon goût », assure Bastien Beauchamp. « Les mouvements féministes approuvent », ajoute-t-il pour bien marquer que la manifestation doit être appréciée au deuxième degré.

En bordure du Prospect Park, à l’autre bout de Brooklyn – un arrondissement qui, avec ses 2,5 millions d’habitants, couvre 250 kilomètres carrés — , on a droit à des divertissements plus conventionnels. Ainsi, au Musée de Brooklyn, on peut danser tous les premiers samedis du mois. Jusqu’à 22 h, autour des Monet de la splendide Beaux-Arts Court, l’atmosphère est détendue et très familiale — les enfants sont rois. Méconnu des touristes, le majestueux édifice abrite une énorme collection, très variée (1,5 million d’articles, allant de l’art antique jusqu’aux impressionnistes) et présentée sur plus de quatre hectares de salles d’exposition. Avis aux esthètes gourmands !

New York est un rêve

Il se trouve cependant bien des gens pour vous affirmer que la mode de Brooklyn s’épuisera. « C’est bon pour les parents qui veulent élever de jeunes enfants », disent les uns. « À quoi bon venir à New York, prétendent les autres, si c’est pour aller s’enterrer dans un paradis pour granoles. En plus, on ne peut jamais mettre la main sur un taxi à Brooklyn… » Pour les taxis, ce n’est pas tout à fait vrai, mais il n’y a effectivement aucun hôtel digne de ce nom à Brooklyn.

Toutefois, pour les vrais mordus de culture (et les célibataires, majoritaires à New York), rien ne bat l’énergie de la Fifth Avenue.

Originaire de Québec, le comédien Simon Fortin vient d’acheter avec son chum un appartement à Manhattan. Il a joué dans une foule de spectacles tous les rôles de garçon de café français qu’on puisse imaginer. Il vient d’écrire, en anglais, une pièce intitulée Vernissage qu’il espère pouvoir monter d’ici peu. Il ne se voit pas quitter Manhattan, lui qui raffole des comédies musicales et fréquente régulièrement les musées.

Récemment, Simon est allé voir l’exposition sur l’esclavage à la New York Historical Society. Parmi ses musées préférés, le Guggenheim, où il passe régulièrement, ne serait-ce que pour les Van Gogh de la collection Thannhauser. L’acteur a aussi été séduit ces derniers temps par The Light in the Piazza, un musical signé Adam Guettel et Craig Lucas, dans lequel on suit deux femmes (mère et fille) dans leur visite de Florence, en 1953. « La pièce est romantique à souhait, un des événements les plus heureux des dernières années », raconte le comédien.

Retour à Manhattan donc, dans cette île où l’émerveillement ne connaît aucun obstacle. Car c’est ici, entre la Liberté éclairant le monde de Bartholdi et la forêt illuminée des gratte-ciel, qu’a pris naissance le mythe de la Big Apple. Une ville qui appartient davantage au rêve qu’à la réalité. Or, qui a besoin d’un guide pour rêver ?

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