Blogue de la rédac

Concilier boulot et bébés : la championne démissionne

Contrairement à ce que nous ont fait croire les féministes depuis 50 ans, les femmes ne peuvent mener une grande carrière tout en répondant aux besoins de leurs enfants, soutient une ex-conseillère de Hillary Clinton dans un essai controversé.

201207

La numéro deux de Facebook, Sheryl Sandberg, se désolait récemment que si peu de femmes trônent au sommet des organisations, alors qu’elles croulent sous les diplômes (plus que les hommes, en fait, aux États-Unis comme au Québec).

 

Je résume grossièrement ses propos – sa courte conférence est intéressante –, mais ce serait en partie de notre faute, les filles : au travail, on manque de confiance en nous, on ne prend pas assez la parole, on ne rêve pas assez grand. Surtout quand on commence à penser bébé. Une grave erreur qui nous confine dans des jobs plates de sous-fifres. « Gardez le pied sur l’accélérateur! », nous exhorte-t-elle.

 

Par conviction féministe, l’experte en relations internationales Anne-Marie Slaughter était aussi du genre à fouetter ses consœurs, admet-elle dans un essai qui fait jaser ces jours-ci: « Why women still can’t have it all ». Du moins, jusqu’à ce qu’elle accepte la responsabilité de la planification stratégique dans l’équipe de la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, en 2009. Dans l’histoire des États-Unis, aucune femme n’avait encore occupé ce poste.

 

À l’époque, Anne-Marie Slaughter a deux adolescents qui vivent avec son mari à Princeton, New Jersey. À quatre heures de voiture de son bureau de Washington. Elle rentre au bercail le week-end après des semaines débiles de 70 heures et plus. Un de ses fils accepte mal ses absences et se met à déraper. La situation la tourmente assez qu’en 2011, elle plaque son poste prestigieux pour retrouver sa famille et son horaire flexible de professeur à l’Université de Princeton.   

 

Cet épisode lui a remis les yeux en face des trous, dit-elle, et l’incite à dire les vraies affaires: si les femmes sont rares au top de leur domaine, ce n’est pas faute d’ambition, comme le suggère Sandberg. C’est qu’il leur est impossible d’atteindre les hautes sphères tout en respectant leur autre priorité : l’éducation des enfants. Même quand leur amoureux est un coéquipier formidable. C’est bien beau, le discours féministe « envoyez, championnes », sauf qu’à moins d’avoir une constitution exceptionnelle, réussir partout est une illusion.

 

Je n’ai pas d’enfant moi-même. Mais quand j’observe cousines, copines et collègues s’épuiser parfois jusqu’à la maladie en tâchant de briller au bureau et à la maison (tout cela en se rongeant de culpabilité), je suis sensible au constat de Slaughter.     

 

Cette dernière blâme surtout l’organisation du travail : la majorité des entreprises perpétuent encore une culture macho à la Madmen où il est bien vu de dormir au bureau et de sauter d’un avion à l’autre. Afin de permettre aux femmes de tout avoir, elle propose donc plus de souplesse – du télétravail, des réunions par vidéoconférence, une meilleure synergie entre les heures de bureau et l’horaire des écoles.

 

Slaughter suggère aussi que les femmes planifient autrement leur ascension professionnelle. Comme le dit une de mes tantes, une maman de 58 ans dont la carrière est florissante, il faut parfois accepter de « rouler à droite pendant un bout ». C’est-à-dire : mettre les promotions en veilleuse jusqu’à ce que les enfants soient au cégep, disons. Puisque les femmes vivent en moyenne 80 ans, il sera temps d’entamer la course au leadership à la fin de la quarantaine, en espérant accéder au sommet à 60 ans. Une belle idée sur papier… Sauf que la vie déjoue souvent les plans. 

 

Slaughter a reçu une volée de bois verts à la suite de son essai (la journaliste Nathalie Collard en parlait d’ailleurs dans La Presse, samedi dernier). On l’a notamment traité de bébé gâté. Elle aurait dû savoir que les choix difficiles font partie de la vie; on ne devient pas grand patron sans faire de sacrifices, entre autres sur le plan familial. Les gars l’ont compris depuis longtemps. Si vous voulez jouer le jeu, laissez votre culpabilité au vestiaire.  

 

À propos des gars, d’ailleurs. Un ami dans la jeune quarantaine, universitaire ambitieux et papa de deux enfants, m’a fait remarquer, après avoir lu le texte de Slaughter, que les hommes québécois des nouvelles générations ne sont peut-être plus prêts à sacrifier leur famille au nom de leur carrière, comme le faisaient leurs pères. Ils s’impliquent de plus en plus auprès de leurs enfants, et cet investissement affectif rend les départs vers le bureau plus ardus pour eux aussi.

 

S’il admet se sentir moins coupable que sa femme quand le boulot le retient (son épouse occupe aussi un haut poste), il dit qu’aucune réalisation professionnelle, aussi grande soit-elle, n’aurait de sens si elle se faisait au détriment de ses enfants. En somme, comme Slaughter, il aurait quitté Hillary pour retrouver sa progéniture.

 

Est-il possible que l’organisation actuelle du travail ne convienne plus aux nouvelles générations, hommes ou femmes? Si la culture d’entreprise s’assouplissait, croyez-vous que plus de femmes auraient le goût des hautes sphères? Enfin, contrairement à Slaughter, croyez-vous qu’il soit possible de tout réussir? Quelles sont vos solutions? Vos témoignages et vos réflexions sont attendus!

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