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Deux nuits et demi…

J’habitais un petit appartement dans un village de carte postale en Haute Savoie. Je m’étais séquestrée dans une peine d’amour romanesque. Manger du chocolat, skier, écrire, prendre un long bain, glisser ma tête sous l’eau, plonger dans le vide aquatique.  De l’extérieur, je ressemblais à une skieuse bronzée, aux fesses de fer, souriante, sereine.

Je l’avais rencontré à une soirée chez des amis à Paris. On s’était à peine parlé, mais j’ai allumé. Voilà comment une fille un peu fêlée invite un parfait inconnu à passer un week-end chez elle.

Dialogue intérieur sur tableau de paysage bucolique en direction de l’aéroport de Genève :

– Est-ce que j’arriverai à le reconnaître? Je ne suis plus certaine à quoi il ressemble.
– Aye! Il ne m’a pas dit s’il arrivait du côté suisse ou français? Il est plus de type chocolat ou fromage?
– Je dois vraiment avoir l’air d’une fille facile! J’invite un inconnu chez moi pour un week-end. C’est écrit « sexe » dans mon front. 
– Et si c’était un malade? Il est chirurgien… Au moins, s’il me découpe en morceaux, le travail sera bien fait!
– Bon relax! Si ça continue, il va te prescrire du Prozac pour tenir le week-end!

J’étais arrivée à l’avance, de crainte de frapper un troupeau de vaches au milieu de la route. C’est au moment où son avion s’est posé, que j’ai réalisé que je n’avais plus mes clés. Panique! J’ai refait tous mes pas à la course dans l’aéroport : les toilettes, le kiosque à journaux, le café…  « Madaaaaammme, avez-vous trouvé des clés? Oh! OUI! Merci, Merci, Merci! Je vous aimmmmme!  (La dame derrière comptoir d’information m’a regardé comme une débile légère.) »

Ouf! Reprendre un air décontracté avant que mon inconnu se pointe à la barrière. Ne pas me précipiter sur lui comme si c’était mon fiancé qui revient de la Deuxième Guerre mondiale.

Un grand blond avec une petite valise, me sourit. Ah que c’est beau la vie!  J’ai un otage pour le week-end.

Bien entendu, quelques minutes plus tard, j’ai réussi à me ridiculiser sous une symphonie de klaxons de Mercedes et de BMW : j’avais oublié de payer le stationnement avant d’arriver à la barrière de sortie. Mon beau blond a couru jusqu’à la machine pour nous sortir du pétrin. « Désolée! Je suis un peu lunatique parfois (sourire timide, joues rouge violet) »

Sur le chemin du retour, entre deux courbes de la mort, au bord de falaises escarpées, une invraisemblable pluie de balle de golf s’est abattue sur ma petite Renaud sans défense. « Désolée! J’aurai dû ajouter en petit caractères au bas de mon courriel que le week-end est à tes risques et périls. T’as pris des assurances? »

Arrivés chez moi sains et saufs.
J’ai fait du café.
On n’a pas terminé le café
.

Mon otage chantait à tue-tête dans ma voiture, prenait trois millions de photos et me «pognait» les fesses en public pour me faire rougir. « Arrête idiot! Tout le monde nous regarde! » Je venais de rencontrer un gars aussi fêlé que moi. Coup de foudre insensé.

Un après-midi, il est tombé profondément endormi sur le gazon d’un parc, comme ça, au milieu d’une phrase. On dormait si peu la nuit. Trois nuits. On peut tenir trois nuits sans dormir. Quatre jours, sans reprendre son souffle.

Il se préparait à partir vivre à l’autre bout du monde. Mais vraiment l’autre bout du monde, là où le jour et la nuit sont inversés.

–  Je ne veux pas qu’une fille m’attende quelque part. 
–   Je sais. Mais je t’aurais attendu. 
Je me suis levée pour faire couler un bain à deux heures du matin.
–   Mais qu’est ce que tu fais? Reviens te coucher!
Vide aquatique.

Il aimait beaucoup les femmes. D’après de lointains échos, il en a aimé beaucoup.
Quand j’ai entendu cette chanson de Elisapie Isaac, j’ai pensé qu’on avait rencontré le même homme.
Tu vas me manquer pas juste à moi.
On aime un homme quand il est libre.

Après ce billet et celui sur l’abominable homme des neiges, vous pensez peut-être que l’air de la montagne nuit à ma santé. Pourtant, c’est la montagne qui m’a apprise à défier l’abysse de la solitude. C’est aussi là que  j’ai apprivoisé mes extrêmes.

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