Chroniques

157 nuances de blanc

Le choix est une liberté. Et l’excès de choix, lui?

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Photo: iStock

J’avais baptisé ça le syndrome du club vidéo. Je sais, ce commerce sera bientôt aussi courant que la boutique du maréchal-ferrant. Mais on peut subir exactement les mêmes effets dans un magasin de disques de trois étages, dans un supermarché grand comme un pâté de maisons, ou quand on cherche un tout compris pour les vacances.

Ça vous dit quelque chose ? La maladie se développe toujours de la même façon. Un : passer la porte du magasin avec le ferme propos d’acheter quelque chose. Deux : arpenter les allées, d’abord pleine d’enthousiasme, puis dans un état de confusion grandissant. Trois : ressortir une demi-heure plus tard, les mains vides, le cerveau en coton et le moral dans les talons. Quatre : passer la soirée à faire le ménage du frigo ou s’abandonner misérablement aux 386 chaînes de télé, pour zapper d’une niaiserie à l’autre. Cinq : aller se coucher complètement écœurée.

Grand soulagement : je suis normale, docteur. Le syndrome du club vidéo existe bel et bien, s’appelle choice overload (excès de choix ) et serait même assez courant en Occident, selon des chercheurs en psychologie. Pas étonnant, finalement, dans une société où repeindre ses tablettes de garde-manger impose d’hésiter entre Balle de coton et Voile de la mariée, parmi 157 autres nuances de blanc.

Une chercheuse américaine (Sheena Iyengar, de l’Université Columbia) a déterminé que, chaque jour, entre le moment où vous vous versez un bol d’une des innombrables sortes de céréales sur le marché et celui où vous éteignez la télé (combien de chaînes déjà ?), vous prenez environ 70 décisions. Ça, c’est une journée plate, pas celle où il faut choisir une école pour son ado ou acheter une voiture neuve (carrosserie bleu performance ou noir smoking ? sièges en cuir ou en tissu ? un lecteur DVD ? un GPS ? alouette).

Pourtant, le choix c’est la liberté, non ? La possibilité d’exprimer son individualité ? Jusque dans une certaine mesure, selon le psychologue Barry Schwartz, auteur d’un essai sur la question (Le paradoxe du choix, Marabout). Arrive un point, dit-il, où cette surabondance a des effets néfastes. Coincé devant un étalage de 75 sortes de mitaines de ski, le cerveau n’arrive plus à les comparer efficacement. Et choisit de ne rien choisir du tout.

Cette paralysie de l’analyse (comme l’appellent les psychologues) fait qu’on sort du magasin en courant. Quitte à geler des mains ou, dans d’autres cas plus importants, à souffrir de conséquences plus graves. Sheena Iyengar a analysé le comportement de plus d’un million d’Américains invités à choisir un régime d’épargne-retraite. Résultat : ceux à qui on offrait cinq véhicules de placement étaient plus nombreux à participer et investissaient davantage. Ceux qui devaient se dépatouiller dans un fouillis de 60 fonds différents reportaient la décision, souvent indéfiniment.

Et même quand on finit par se brancher subsiste souvent un arrière-goût amer, poursuit Barry Schwartz. Parce que, bien sûr, la nouvelle vinaigrette, élue parmi 89 autres, ne sera pas parfaitement parfaite – rien ne l’est. Et donc nous laissera un peu déçue. Avec en plus un sentiment de culpabilité et d’incompétence. Imaginez : on a été incapable de choisir efficacement entre une vinaigrette au champagne et une balsamique à la framboise… Après ça, comment voulez-vous être certaine que le gars trouvé sur un site de rencontres est vraiment, vraiment, vraiment le bon ?

Le regretté Pierre Falardeau disait que la liberté n’est pas une marque de yogourt. C’est encore moins 186 marques de yogourt.

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