Générale

1-866-APPELLE

Je sais que son ombre plane. Je sais qu’il est toujours présent, surtout lorsque je me plante. J’ai six fois plus de chance de me suicider que la moyenne des gens. Un chiffre, un simple chiffre. Un chiffre qui fesse. Je suis une endeuillée du suicide, marquée au fer, dans la chair de vivre, dans la fleur de peau. Ma rencontre avec le slameur David Goudreault a été un cadeau pour moi. Et le suicide a fait l’objet d’un long détour au cimetière entre deux tisanes.

Si j’en parle ici, c’est que le suicide est l’une des causes qu’endosse David, ayant travaillé en prévention, sur le terrain, avec des endeuillés de 6 à 18 ans, durant plusieurs années. 70% des suicidés ont consulté un professionnel le mois précédent leur geste. Et la prévention est faible, la formation inexistante bien souvent, même chez les travailleurs sociaux. Vendre des pilules est plus payant.

« Quand j’arrive dans une rencontre sur le sujet, je leur fais dire le mot « suicide » trois fois. Puis, je les regarde, personne de mort? On peut continuer. Dire le mot, parler du suicide, ne fait pas mourir. Tu ne vas pas avoir envie de le faire parce que tu en parles. C’est comme si je te parle d’héroïne, est-ce que ça te donne envie de te piquer? »

La chanson « Meurtre de soi » a suscité une discussion dans l’auto avec mon B et mon beau-fils, dont un ami venait de perdre son père cet été. Suicide. Mon beau-fils nous a annoncé la nouvelle comme si le père de son ami s’était acheté une nouvelle voiture. Un éléphant est entré dans l’auto lorsque le mot « suicide » a été prononcé. J’ai fait ce que j’ai pu pour expliquer et rattraper le sujet, mais je voyais bien les yeux de mon B, plus grands que son âge, capable de lire mon malaise.

David a été catégorique: « Le mot « suicide » n’est pas dangereux. C’est le silence qui l’entoure qui l’est. Il faut que tu lui dises que ton père s’est suicidé; de toute façon, il est intelligent, il s’en doute déjà. Il n’est pas trop jeune, à presque 8 ans.Et c’est angoissant de sentir ce malaise et de ne pas avoir de mots pour en parler. Parle-lui, pleure-lui, même si ça sort tout croche. Dis-lui que tu as peur qu’il le fasse, que tu veux ab-so-lu-ment qu’il t’en parle s’il pense à ça, qu’il garroche des roches, qu’il m’appelle, que tu ne le feras jamais parce qu’il est là, qu’il ne reste pas seul avec ses idées noires et qu’il fasse attention quand il utilise ce mot-là, parce que ça te blesse. »

Cette conversation m’a fait le plus grand bien, soulagée d’un fardeau dont je ne savais que faire. En essayant d’épargner mon B, je m’enlisais dans un silence malsain. Je vais lui en parler, trouver le bon moment, trouver les bons mots. Comme dit David, ce n’est qu’une autre occasion de lui dire que je l’aime.

Autre remarque de David qui m’a beaucoup frappée, et elle concerne les lettres d’adieux de suicidés. « C’est la pire chose; elles sont écrites à travers le prisme déformant d’une détresse intolérable. C’est la pire violence, dire à quelqu’un « je t’aime, mais je m’en vais ». Quel message! Avec la violence du geste, c’est un méchant clash. Et puis, c’est un souvenir physique. Tu ne peux pas jeter la lettre d’amour d’un suicidé. Mais où vas-tu la cacher pour être certain de ne plus jamais retomber dessus? C’est plein de paradoxe, le suicide. Tu veux arrêter de souffrir, mais tu répands la souffrance. »

Voilà, en gros, le message de David. « La parole est sacrée, magique. Et nous sommes prisonniers de nos secrets. » Voilà pourquoi il parle. Voilà pourquoi il est devenu le meilleur slameur au monde.

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