Ils étaient assis à côté de nous, dans un restaurant que j’aime beaucoup, Chez Marianne, dans le Marais (3e). Les tables sont si rapprochées qu’on peut finir par tout savoir de la vie intime de ses voisins.
Ils ne parlaient qu’anglais; un couple de Brits si je me fie à l’accent mais il aurait pu être Australien, un rouquin, aimable, souriant et tout. Je les ai aidés à choisir dans le menu, des zakouskis et autres mézés moyen-orientaux. Elle était muette comme une carpe. Un peu agacée, même, mais je n’ai pas trop fait attention.
Plus tard, durant le repas, elle a délaissé la conversation en panne sèche, pour se consacrer à son BlackBerry. Mon B et mon beau-fils les observaient du coin de l’oeil, un peu interloqués. Il faut dire que nous utilisons rarement nos téléphones portables devant eux et encore moins pour envoyer un courriel. La politesse que nous tentons de leur inculquer passe également par le b.a.-ba des nouvelles technologies.
Lui, fixait l’entrée et le plafond tandis qu’elle fixait ses genoux et répondait à un courriel, apparemment urgent. Plus le temps passait et plus la tension montait. Nos gamins étaient de moins en moins discrets et nous nous lancions des regards amusés et consternés. Combien de temps allait-il tenir encore? Quinze minutes s’étaient déjà écoulées et pas une fois elle n’avait levé les yeux vers lui.
N’y tenant plus, il a fini par lui glisser qu’il l’attendait dehors. Elle n’a pas daigné dire un mot, le regarder ou lui répondre qu’elle terminait bientôt. Non. Rien. Elle savait pertinemment que nous observions son manège. Nous jouions tous ensemble.
Nous avons quitté la table peu après lui, le plaignant secrètement et lui souhaitant de trouver mieux. J’aurais eu envie de lui glisser le dernier Willy Pasini, « Les Armes de la Séduction », un excellent bouquin où le psy parle justement des nouvelles amazones et des mecs qui ont de plus en plus souvent la migraine. En matière de séduction, les codes ont peut-être changé mais le respect demeure un plancher universel sur lequel on peut initier toutes les danses.
Message de l’au-delà? Synchronicité? Clin d’oeil coquin du destin? Le lendemain, sorti faire des courses pour le repas du soir dans le 12e arrondissement, mon mari rentre à l’appartement tout excité.
– Tu ne sauras jamais qui je viens de croiser, dans la cour St-Émilion.
– ... Carla Bruni? ai-je tenté en sachant que mon mari n’a aucune chance de la reconnaître; il ne lit pas le Paris Match. Il est plutôt « Fragments d’un discours amoureux » de Barthes, ces jours-ci. Barthes n’aurait probablement jamais utilisé son téléphone à table devant sa douce moitié.
– Mieux que ça! Le couple d’hier soir!!! J’en reviens pas. Dans une ville de 10 millions d’habitants, quelles sont les chances de les recroiser à l’autre bout de Paris, le lendemain?
– Aucune idée, c’est toi le statisticien dans le couple. Mais les dieux s’amusent, c’est certain. Tu ne leur a rien dit?
– Que voulais-tu que je dise? Il m’a souri, elle a fait semblant de ne pas me voir.
– Tu parles! Elle ne voulait pas voir le message qui lui était envoyé avec une bande-annonce, des néons et un paquet de Kleenex en prime-cadeau. Moi, je n’aurais pas pu résister, j’aurais dit: « Still together? Wow! Congratulations!«