Générale

Fumée (bis)

Celle-ci aussi m’est arrivée sur les ailes d’un ange, accompagnée d’une illustration. Je la partage avec vous parce qu’elle est jolie, et qu’il y a des accommodements raisonnables qui sont charmants, tout simplement:

Bonjour,

Votre chronique enfumée me permet de communiquer quelques pensées qui me viennent parfois à propos de la cigarette et des fumeurs. Je ne fume pas, je n’ai jamais fumé et je viens d’une famille où on a toujours démonisé cet art de vivre. Pourtant, et ce n’est là qu’un des paradoxes de la cigarette, ma hantise réelle, raisonnée et médicale de ce plaisir solitaire ne m’empêche pas d’en goûter la richesse poétique.

On peut se demander si le haro général contre la cigarette ne va pas de pair avec notre mépris des intellectuels et des – vrais – débats politiques. S’il existe une fumée de la classe ouvrière (vous y faites allusion dans votre chronique), la cigarette reste pour moi l’attribut du penseur ou du poète. Sans elle, la main retombée à hauteur de hanche, un Sartre, un Camus ou un Lévesque perdent une partie de leur prestance intellectuelle. Ils s’affadissent. Lorsqu’elle souffle de la bouche d’un philosophe, la fumée apparaît telle une extension de sa pensée, une émanation des méandres complexes de son esprit. L’homme (ou la femme) fume : il pense. Et comme la pensée du philosophe, cette fumée qui semble se matérialiser sous nos yeux reste insaisissable et furtive. Elle accroche un peu de lumière, puis disparaît. Kant devait fumer.

Dans une perspective historique, on peut prétendre qu’il y eût des époques fumeuses et des non-fumeuses. L’art baroque, par exemple, ne peut avoir été créé que par une cohorte de fumeurs. La sculpture du Bernin, qui traduit dans la pierre les métamorphoses d’Ovide ou les miracles de la vie des saints, fut très certainement inspirée par une observation attentive des possibilités métamorphiques de la fumée de cigarette. Quelques décennies plus tard, Hogarth ne fumait pas, lui. Il pestait contre ces artistes arriérés qui fumaient leurs tableaux pour leur donner la patine des œuvres anciennes. (Je joins la caricature qu’il fît sur ce sujet.)

J’aime aussi beaucoup les groupes de fumeurs agglutinés aux pieds des tours. À notre époque où chaque seconde possède une valeur comptable, ils sont sans doute les seuls à prendre de véritables pauses. Derrière leur écran de fumée, ils sont protégés par la distance et le froid des demandes de leur patron – sauf s’il fume, ce qui pourrait poser problème. Qui sait si un jour des études ne démontreront-elles pas que les fumeurs sont moins à risque de souffrir de maladies liées au stress et au surmenage? J’attends aussi de lire ma première histoire d’amour qui serait née à quelques mètres du périmètre sanitaire.

Sur ce, je vous laisse examiner le cours de vos actions d’Imperial Tobacco. Il faut bien que certains vivent pendant que les autres meurent.

Un fumiste

« Time smoking a picture » , William Hogarth

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