Générale

His eyes telling you all

Dans la pénombre du théâtre, elle m’a glissé dans l’oreille: « C’est comment être en amour?« . Elle aurait eu dix ans, j’aurais souri, mais une quarantenaire établie qui vous pose la question, ça donne un léger frisson et vous fait mieux mesurer votre chance. Ou votre disponibilité. Ou votre naïveté. Ou votre entêtement. Ou votre foi. Ou votre santé cardiaque.

– L’amour? Être en amour. Doux calvaire. L’avoir sous la peau, vouloir se l’arracher pour lui. Ne faire qu’un et en faire mille. Et avoir peur d’en faire trop, comme chante Moran. Être certaine que c’est LUI et s’en faire une obsession parfois tranquille, parfois houleuse. Porter cette boule au fond du plexus et soupirer, soupirer comme un coeur qui désire et chavire. Se répéter « Mais qu’est-ce que je vais faire avec toi? ». Mesurer chaque minute qui te sépare de ses bras, te regarder souffrir et y prendre un certain plaisir, se dire que l’exaltation des sens ne peut connaître meilleur ambassadeur, comprendre que la liberté est là, là, là, aux quatre points cardinaux de son épiderme sensible, dans tous les culs-de-sac de son âme et pas du tout où on la cherchait. L’éternité est en nous. »

« Et réaliser que tu peux l’emmener au Paradis ou en Enfer. Et lui aussi. Que tu disposes de ce pouvoir terrible. Et choisir le Paradis au mieux de ta connaissance. Et subir la tristesse, pour un mot, pour un silence, un oubli, un malentendu, un geste, porter cette chaîne qui te coupe les ailes à nouveau. Puis, l’entendre rire et te sentir plus légère. Le regarder pleurer et fondre avec lui. Lui donner les clés de soi, lui ouvrir tout ce qui est en soi, ce qu’on ignorait de soi, ce qu’on oubliait de soi avec tant de talent. Lui montrer l’étendue des massacres et des victoires. Le faire tien, dans ton récit, comme le guerrier d’exception qui vient rompre le cours de l’histoire et faire fuir les dragons maudits. Sans forcer, faire de même dans l’autre sens. Aller vers son récit, s’y établir. Poser ses bagages, enfin. »

« Être en amour, c’est aussi avoir le sentiment que le temps passe atrocement vite, qu’une vie n’y suffira pas, que chaque instant est si précieux qu’il ne faut pas laisser nos egos dans le chemin, qu’il ne faut plus répéter les erreurs de jeunesse, qu’il faut à tout prix réparer sur-le-champ, ne jamais se quitter sur un malentendu, ne pas se coucher fâchés, tendre la main le plus souvent possible. Compagnons de route sur la carte du Tendre. »

« Et aussi, ça vient avec l’insomnie. On dort peu quand on aime. Les endorphines, sûrement. Et lire de la poésie la nuit, c’est ce qui se rapproche le plus de faire l’amour. Parfois même on écrit pour faire chavirer le jour: His eyes telling you all / The impatience of his taking. »

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Sur le thème bien contemporain de l’amour et de la liberté, deux quêtes contraires (encore que!), je vous recommande le dernier magazine Philosophie en kiosque, et son dossier « Aimer au temps de l’individualisme. Entre indépendance et romance, la forme contemporaine du drame amoureux. » Reddition, reddition. L’amour ne peut exister sans reddition. Tout le monde gagne.

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