D’abord, souffrez que je vous donne une définition du végétarisme (lundi sans viande ou pas). Elles sont nombreuses. Et je remarque qu’entre la définition à laquelle nous recourions il y a 30 ans et celle qu’on donne aujourd’hui, il y a un monde. Un monde dans lequel on intègre les poissons et fruits de mer (on parle plutôt de pescetarisme ou semi-végétarisme) quand bon nous semble ou la viande (flexitarisme, 80% végé, 20% carné).
Le hic dans la définition qu’on donne du néo-végétarisme s’applique dans sa pratique. Les restaurateurs (du moins, ceux du Québec), semblent convaincus qu’un végétarien mange de la morue et des crevettes (voire du poulet de grain) quand sa conscience flexible le permet. Et si ce n’est pas le cas, vous avez droit à un regard navré, ou au mieux indifférent, qui semble indiquer que vous auriez dû aller brouter dans une cafétéria de votre secte. Le Commensal, ça ne vous dit rien?
J’ai mangé du poisson au resto la semaine dernière. La première fois depuis des mois. Et bien à contrecoeur. Mais voilà, j’avais le choix entre un énième risotto fort banal -j’en avais préparé un la veille au vin rouge, poireaux et tomates sur aubergines grillées, nappé d’un yogourt de chèvre à la ciboulette du jardin- ou du poisson, ou de la carne. Ça, de la carne, il y en avait en abondance.
J’adore ce resto, que je ne nommerai pas car ils sont tous en retard d’une ou deux générations sur l’avant-garde en alimentation. Je mangeais plus facilement végé il y a 30 ans sur la côte ouest qu’aujourd’hui à Montréal, ville célébrée pour ses chefs, leur goût du risque, leur ouverture d’esprit et leur petit côté rebelle qui commence à s’user sous le tatouage.
Enlevez-leur les protéines animales et ils deviennent analphabètes, et j’oserais dire… impuissants. L’ITHQ ne leur a pas montré comment apprêter un repas équilibré sans avoir du sang sur les mains. Si je reviens sur ce sujet, c’est que depuis trois mois, j’ai tout entendu dans les restos montréalais et que les fréquenter est devenu une véritable punition. « Vous voulez une double verte?« , m’a dit un serveur récemment parce que je n’avais presque pas touché aux médaillons de pâtes farcis aux champignons (seul plat végé sur la carte) totalement insipides.
Une double verte. J’ai l’air d’une vache ou c’est deux pour un? J’ai mangé un bol de céréales en rentrant à la maison et me suis jurée de ne plus fréquenter ce resto qui donne sur la place des Festivals et n’a pas besoin de moi pour subsister. En plus, le serveur était tellement agressif que je me suis félicitée d’être devenue végé. Ça se digère mieux que la vache enragée.
Partout, sur la scène de la restauration montréalaise, la carnocratie règne et ceux qui devraient nous tenir lieu de chefs de file, l’avant-garde culinaire fringante et imaginative, fait du sur-place avec ses constructions alambiquées impliquant des abats ou des parties d’animaux dont on ne connaît ni la provenance ni les mauvais traitements, additionnés d’antibios (interdits au Danemark depuis 1998 et en Europe depuis 2006).
Quant aux poissons, on endort le client avec les mots « pêche durable » et le tour est joué. Nous sommes complètement conditionnés mais très peu au fait des alternatives. Et elles sont si nombreuses que ce serait l’objet d’un autre billet (lisez celui-ci en attendant!) ou d’un show de cuisine réalité nouveau genre.
Et pourtant… de plus en plus de voix se font entendre. J’ai bien aimé cette déclaration du geek en chef de Facebook la semaine dernière au e-G8. Il ne mange que la viande qu’il tue. Si tout le monde faisait pareil, les abattoirs feraient faillite. Et les pizzas au pepperoni prendraient leur retraite.
Cette semaine, le film Forks over Knifes en fera peut-être réfléchir quelques-uns sur les problèmes de santé qu’ils s’infligent avec un régime carné. Mais le vrai problème, c’est que l’offre ne suit pas, du moins au resto. Nos restaurateurs sont de véritables « légumes » (et encore, j’insulte les poireaux) en matière de variété sur leurs menus. Et quand ils offrent un menu végé, vous dégustez votre « orgeotto » (ça aussi, ça commence à lasser) en contemplant un agneau suspendu par les pattes dans une chambre froide de verre. Fabuleux décor.
Un détail, en passant. Nous mangeons cinq fois plus de viande sur cette planète depuis 1950.
En ce qui me concerne, je dis souvent à la blague que le végétarisme constitue la première étape vers le « manger mou ». Mais chose certaine, sans prétendre détenir la vérité, mais sans avoir envie de me taire non plus, la marche sera longue pour nous affranchir d’une culture carnocratique qui s’essouffle. Je songe sérieusement à lancer un défi aux chefs québécois.
En attendant, je vais manger dans une secte ce soir. Délicieux.