Générale

La vie est un long bouchon tranquille

Partout, des bouchons de circulation. Dimanche dernier, tiens, sur la 10, 14 km de bouchon en direction Est, j’ai compté. C’est long un dimanche midi sous le soleil. Les automobilistes sortaient leur pique-nique du coffre pour casser la croûte. J’ai pensé aux parents avec de jeunes enfants qui ont soif ou faim. Je conserve toujours une barre tendre dans la boîte à gants pour cette raison. J’ai même songé à faire la suggestion à Honda d’inclure un garde-manger dans sa prochaine édition de la Fit. Les porte-gobelets, c’est un peu chiche.

L’autoroute était fermée depuis l’aube. À 3h du mat, quatre jeunes ont capoté en raison de la vitesse (et de l’ivresse probable); l’un d’eux est mort, 19 ans. J’ai aperçu l’auto, jamais vu une carcasse pareille, sciée en deux, les bancs sur la chaussée, on aurait dit un test d’endurance pour une pub de char.

Dans son dernier essai (dont j’ai déjà causé ici) « Trop vite! », Jean-Louis Servan-Shreiber indique que les nouveaux rites de passage chez les jeunes sont maintenant associés à la vitesse. De toute façon, c’est pas la vitesse qui tue, c’est l’arrêt brusque (merci Benoît!). Y’a qu’à pas s’arrêter.

Paradoxalement, la vitesse nous impose le bouchon. Et nous n’avons jamais autant cherché le chemin le plus court et le moins encombré pour nous rendre du point A au point B. C’est devenu un jeu de labyrinthe. C’est à qui trouvera « la » route secondaire ou alternative la plus cool.

Mon copain Franck (dont on peut appécier la philosophie de vie ici), chauffeur pour le jury du FFM, est un spécialiste de la question et des 180. Et il n’hésite pas à emprunter les chaînes de trottoirs pour viser un raccourci. Il est né en France, ce pays civilisé où l’on peut stationner en sens inverse, ça explique tout ou presque.

Avec la motorisation à l’échelle mondiale, ce bouchon fera partie des records Guinness. Du jamais vu mais qu’on verra encore, 100 kilomètres, plusieurs jours, voire des semaines… J’y entrevois l’occasion unique de nous interroger sur ce nouvel habitat que pourrait être l’automobile, notre immobilisme et la métaphore de la vie qui consiste à faire semblant d’avancer tout en ayant la désagréable impression de s’enfoncer.

Circulerons-nous avec nos gueuletons et nos vêtements de rechange, nos douches portatives et nos jeux vidéos? Si j’étais cinéaste, je ferais un film avec ça. Quelques semaines dans un bouchon en Chine. Non, trop zen les Chinois, plutôt en France, pour les entendre gueuler, ce serait encore mieux. Et pour la bouffe, alors je suis certaine qu’on aurait droit à un show de cuisine sur You Tube avec du papier alu et le moteur comme cuisinière.

Peut-être qu’on nous enverrait une taxe de bienvenue une fois bien installés? L’État finirait par nous taxer le surplace. L’État finit toujours par nous retracer.

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