Il a rendu l’âme le même jour que Michael Jackson mais sans faire de bruit, un dernier soupir et c’est tout. D’ailleurs, tu ne peux pas avoir plus à l’opposé du spectre de la star du pop mondialement pleurée. Un comptable dans son sous-sol à Brossard qui meurt du cancer, en catimini, dans l’anonymat, comme tant d’autres.
62 ans, des clients qu’il traînait depuis 35 ans, beaucoup de vedettes du bottin de l’Union des Artistes qui comptaient sur lui pour tout , surtout pour lâcher la bride à leur folie. Quand quelqu’un s’occupe des chiffres, de la TPS et de la TVQ, c’est plus facile de s’envoler. Il était l’homme discret qu’on ne remarque jamais derrière les vedettes prospères (ou non) qui recherchent la lumière. Mon comptable n’aurait jamais laissé Michael Jackson faire faillite. Certains de ses clients n’avaient pas le droit de posséder une carte de crédit; il leur remettait leur allocation hebdomadaire comptant, administrait leur salaire et réglait toutes leurs factures. Faut avoir confiance…
Il y a 10 jours, je suis allée chercher toute ma paperasse chez lui: 23 ans de comptabilité, pouvez imaginer. J’y comprends toujours rien. Mon comptable n’était pas sur fichier Excel et conservait toutes mes factures religieusement, consignait tout à la main, d’une écriture souple et précise, je dirais même amoureuse.
J’ai vu tant d’amour du travail bien fait dans ces boîtes, pouvez pas savoir. J’en ai pleuré en les rangeant. J’ai eu l’impression de perdre un ami dont j’ignorais à peu près tout, jusqu’au soin paternel dont il entourait chacun de ses clients. Rien à voir avec la maniaquerie obsessive-compulsive, non, simplement, je me répète, la satisfaction honnête du travail bien fait.
Il est mort résigné, comme un homme qui sait qu’il est dans le rouge et à qui la banque ne fera plus de cadeau. Il est mort sans fracas, l’envers d’un thriller, pas de médecin qui décampe, pas de Chinois qui le pleurent, pas de musique funéraire, pas de grandes pompes, mort sans faire de bruit. Hostie.