Générale

L’homme qui a vu l’ours

Vendredi, durant la tempête, j’ai passé une bonne partie de l’avant-midi chez Kanuk avec Louis Grenier, le propriétaire. Il était en grande conversation avec Florent Vollant à mon arrivée. En fait, Louis écoutait. Ou plutôt, il enregistrait. Louis est l’un des meilleurs conteurs que je connaisse. Et des conteurs, j’en ai connus. J’ai même découvert Fred Pellerin alors qu’il était un pee-wee et donnait des spectacles dans des salles de classe du Cégep du Vieux. Anyway.

D’une drôlerie impayable; Louis c’est du Coluche « made in Quebec ». Ou plutôt « fabriqué sur le Plateau »… Louis n’a pas baptisé ses manteaux Kanuk pour rien; il ne vendrait jamais aux Américains, ni aux Ontariens, ni aux Chinois. Un indécrottable nationaliste. « Veux-tu ben me dire Joblo pourquoi les ti-culs qui font des séries comme les Invincibles, ils mettent de la musique américaine dedans? On n’a pas assez de chanteurs au Québec? » De cette eau-là.

Après le départ de Florent, Louis me raconte l’histoire de l’homme qui a vu l’ours. En fait, j’ai devant moi l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours parce que Louis n’a pas vu l’ours non plus. Mais bon, un conteur peut se permettre de vous faire voyager sans avoir de passeport dans ses poches.

– Tu vois? Dans la famille de Florent, quand ils vont à la chasse au caribou, c’est pour se chercher de la viande. Mais quand ils partent à la chasse à l’ours, ils enfilent leurs plus beaux habits parce qu’ils vont à la rencontre de l’ancêtre. La femme repasse les chemises de son mari avec des pierres chaudes; il se met sur son 36 pour aller rencontrer l’ancêtre de la famille. C’est pas rien! Ils font ça l’hiver, quand l’ours hiberne depuis déjà plusieurs mois. L’ours, avant d’hiberner, il casse les branches de sapin (pour se faire un matelas) et il les casse vers le bas, contrairement aux humains qui cassent les branches vers le haut. On pense que c’est parce que ça laisse moins de trace mais peut-être que l’ours pense pas tant que ça. On le sait pas.

– Comment ils font pour le trouver, l’ours?, que je demande pour le laisser prendre son souffle.

– Y’a un petit filet de vapeur d’eau qui traverse la neige. Ils le trouvent comme ça. Il ne respire presque pas. Fonctions vitales au minimum, pulsations cardiaques réduites, l’ours dort dur dur. Avant d’aller dans son trou, il s’est fait un bouchon fécal pour pas dormir dans son caca. Il pense peut-être pas, l’ours, mais y’a quelqu’un qui y a pensé dans son arbre généalogique. Il s’en rappelle. Quand les chasseurs arrivent, ils commencent par parler à l’ancêtre dans le creux de l’oreille, à travers le trou de sa tanière; ils lui disent toutes sortes de belles affaires pour le réveiller doucement et lui parlent très respectueusement. Là, tranquillement, la respiration de l’ours va changer. Ça peut prendre une heure et demi avant qu’il se réveille complètement. Et pis quand il commence à grouiller, watch out! L’ours est en ciboire! Il n’a pas mangé depuis des mois, il est constipé et on le réveille! Pis s’il prend trop de temps à se réveiller, ils le picossent avec un bout de bois…

– Wow!

– Pis là, l’ours sort. Mais oublie pas que c’est l’ancêtre! Alors, le chasseur se met à genoux pour l’accueillir avec son fusil braqué sur lui. Et il attend que l’ours expulse son bouchon fécal, POW (ça pue en maudit), pour tirer dessus. POW POW.

– Tu veux dire qu’ils lui donnent la chance d’expulser et de se sentir mieux dans sa peau d’ours avant de lui faire la peau!

– C’est comme ça. Pis si tu voyais un ours débarrassé de sa peau, tu comprendrais pourquoi les Montagnais pensent que c’est leur ancêtre. L’ours ressemble à un homme. C’est fait pareil.

Louis m’a même conseillé un livre à lire sur le sujet (un bonhomme qui, arrivé à l’âge de bander mou, part en « road movie » se chercher une jeunesse et se ramasse avec un ours- c’est Louis qui le dit et je le crois sur parole-): Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen d’Arto Paasilinna, ça s’intitule. Paraît que c’est plutôt plate à lire pour une fille. Vous me raconterez!

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