Générale

Trouver le ton

J’ai toujours eu un faible pour les vieux. Ça vient de mon grand-père, il a toujours été vieux. Vieux de sagesse, vieux d’expérience, vieux fendant mais vieux pareil. Tu ne peux pas t’appeler Alban et être jeune. Je ne sais pas quand exactement j’ai réalisé que j’étais en train de devenir vieille, que j’avais l’air « encore » jeune mais que les vrais jeunes me regardaient avec des yeux grands comme ça et me donnaient du « madame ». Remarque, quand ils me tutoient, c’est pire. Et quand ils essaient de m’imiter, j’ai beau penser que c’est une forme sincère de flatterie, je suis affligée par leur manque d’originalité et de véritable audace. Récemment encore, tiens,… ta gueule Blanchette.

Bon, tout ça pour dire que j’ai reçu une lettre en fin de semaine qui m’a fait me sentir vieille. Une lettre qui se voulait gentille pourtant, c’est bien le pire. J’ai compris que je n’étais pas de cette génération, celle des enfants rois à qui on n’a jamais dit non, celle qui ne doute de rien et qui te tasse du coude en se crissant éperdument que tu t’ébouillantes avec ta tasse de verveine. Une amie m’en faisait la remarque la semaine dernière: « Ils débarquent sur le marché du travail, n’ont absolument aucune idée de ce qui se faisait avant « eux » et ils veulent tout, décident tout, savent tout, n’ont aucun respect pour l’expérience et te disent carrément « tasse-toi matante » ».

Tiens, la lettre par exemple, la voici:

Bonjour Mme Blanchette,

Je vous fais parvenir ces quelques mots pour vous dire très simplement à quel point j’ai aimé la lecture de votre texte dans l’édition du Devoir de vendredi.

De retour aux sources avec un nouvel abonnement à votre journal, après y avoir été abonné pendant mes études en journalisme il y a de cela quelques années, j’ai eu la joie de tomber sur votre texte.

À mes yeux, cet article est un exemple idéal de bonne écriture, en ce sens qu’il est documenté et bien structuré, qu’il réussit à être original tout en respectant les règles du journalisme, que le rythme des mots permet une fluidité bien trop souvent absente dans certains passages des articles de vos collègues et que votre style personnel est tout à fait perceptible.

En fait, pour le jeune journaliste qui tente de retourner aux communications malgré les circonstances actuelles et l’écrivain en devenir que je suis, votre travail est un exemple.

Je terminerai donc en vous disant merci Josée Blanchette.

X Journaliste-Écrivain-et bien plus encore

En principe, c’est une lettre qui devrait me booster l’ego jusqu’à la Saint-Jean-Baptiste, que je devrais encadrer et accrocher aux côtés de mon « Jules-Fournier ». C’est une lettre pleine d’admiration et d’applaudissements à vous rompre une aorte euphorique. Et pourtant… C’est une lettre que j’ai lue et même relue à voix haute. Une lettre qui m’a fait peur et m’a rappelé ce que ma chum me disait sur la nouvelle génération qui débarque sur le marché du travail. En 2013, les baby-boomers prennent leur retraite et voici ce qui nous attend. Des « Journalistes-Écrivains-et bien plus encore ». J’en suis baba au rhum, au kirsch et même à la grappa. Sans raisins secs, j’haïs les raisins secs. Ils sont vieux.

Savez-vous, jeune Journaliste-Écrivain-et bien plus encore, combien j’ai mis d’années à écrire ce texte sur le silence? 25 ans minimum. Et je n’en étais pas satisfaite, moi. En fait, j’aurais pu écrire un livre sur le thème, mais bon, passons. Savez-vous, jeune Journaliste-Etc…, que je ne sais pas encore si je suis une journaliste. Et pourtant, ça fait 25 ans que j’écris. Mon premier texte? Dans Le Devoir. Appelons ça le hasard, la chance ou le talent, je ne sais trop (et merci à JF Lacerte, en passant!). Après tout ce temps, j’ai beau avoir publié des livres (mais jamais celui que je voudrais vraiment), je n’oserais jamais m’appeler « écrivain ». Je laisse le soin aux autres de me définir. J’écris, ça me suffit. C’est un métier, « a craft » et c’est en forgeant que.. Ça me fait penser que ma chum Nat, qui joue de l’index avec un appareil photo depuis 25 ans, commence tout juste à se dire photographe. C’est pas de la fausse humilité, c’est simplement qu’elle sait relativiser. Quand tu as beaucoup lu, beaucoup voyagé, beaucoup visité de musées, beaucoup comparé, tu devines qu’on ne s’approprie pas des titres comme si c’était une marque de commerce.

Savez-vous, jeune J-É-etc…, que j’ai surtout fréquenté l’école du doute, que je la fréquente encore chaque semaine, que je n’ai jamais appris à écrire à l’université, j’en remercie plutôt la chanson française. Savez-vous que l’expérience est ma plus sage alliée, me permettant d’avoir l’air « inspirée » même quand je suis au creux de mon lit, terrassée par une bronchite, une peine d’amour, le mal de vivre et l’envie de mourir? L’expérience, oui. Et le doute, toujours.

Pour en arriver là, faut manger des croûtes, trouver le ton (ah, le ton, ça fait la différence entre une liste d’épicerie et une lettre de souhaits le jour de ton mariage) et prendre son temps pour le trouver. Chaque sujet a son ton, comme une couleur. Parfois on réussit, parfois non. C’est pas si grave. Mais je dirais que cette lettre me dérange à cause du ton, voilà. Je vous colle un C. Et vous n’êtes pas le seul à qui je le collerais, vous en faites pas avec ça. Vous trouvez que je vous prends de haut? C’est exactement ça.

ps: Et je me colle un C à moi aussi, ce billet est beaucoup trop long.

MÀJ:et vous osez demander une révision de note? Qu’est-ce que ça sera quand les « enfants de la réforme » débarqueront…

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