Chroniques

La neutralité est-elle la nouvelle morale des écoles?

Complexe, le débat sur la neutralité des figures d’autorité est loin d’être clos et laisse encore perplexes nombre d’entre nous. Pourtant, n’est-ce pas dans la diversité qu’on peut trouver un équilibre des couleurs? se demande notre chroniqueuse invitée, la journaliste et autrice féministe Judith Lussier.

Comme la plupart d’entre vous, j’en suis certaine, j’ai eu de super bons profs, de très mauvais profs, des profs qui ont changé ma vie et d’autres que j’ai simplement endurés. Chacun avait sa couleur. Tous avaient la qualité de faire leur gros possible pour un salaire correct. Et on voudrait qu’ils soient neutres? Comme si cela était possible ou même souhaitable. À ce compte-là, pourquoi ne pas confier l’éducation de nos enfants à des robots? On découvrirait alors que même eux ne sont pas fiables, puisqu’ils sont programmés par nos bêtes cerveaux subjectifs de simples mortels.

Je ne connais pas grand-chose au métier d’enseignant, mais à titre de journaliste, je sais qu’il n’y a rien de plus tendancieux que de prétendre à la neutralité. Tout est point de vue. Chaque nouvelle qui apparaît dans votre fil d’actualité a fait l’objet de plusieurs choix. La neutralité, c’est quoi, sinon ce qui se rapproche le plus de la pensée dominante? C’est ce qui semble aller de soi. Ce qui ne choque pas l’oreille. Ce qui ne sonne pas militant, même si ça milite pour le statu quo. Ce que tient pour raisonnable la majorité, à une époque donnée, que cela soit juste ou non. Montrer ses chevilles au Moyen Âge, êtes-vous malades!?

À l’époque où l’on militait pour le droit de vote des femmes, les journalistes devaient, pour faire preuve d’objectivité, présenter les deux côtés de la médaille: les opinions des gens qui étaient pour et de ceux qui étaient contre le suffrage féminin. Aujourd’hui, une personne qui mettrait ces deux points de vue sur un pied d’égalité serait tout de suite taxée de rétrograde. Pour faire la paix avec l’inaccessible vérité et guider mon travail de journaliste, je garde en mémoire une citation de l’archevêque sud-africain Desmond Tutu: «Si vous êtes neutre dans les situations d’injustice, alors vous avez choisi le côté de l’oppresseur. » Et je me dis que plus nous serons nombreux à porter nos couleurs dans l’exercice de nos fonctions, plus le portrait sera juste.

Quand nous souhaitons que les enseignants affichent une certaine neutralité, ce que nous voudrions, en réalité, c’est qu’ils s’alignent sur notre vision du monde. Soyons honnêtes: nous ne sommes pas équipés pour donner des leçons d’objectivité à qui que ce soit. On remet en question la probité de certaines enseignantes sur la base de leurs vêtements, alors qu’on n’a jamais contesté l’impartialité des profs d’histoire même si tout le monde sait qu’il s’agit d’une joyeuse bande de souverainistes!

Comme tout le monde, j’ai eu des profs d’histoire souverainistes. J’ai eu des profs masculinistes. J’ai déjà eu un prof qui s’était présenté pour l’ADQ et dont nous réutilisions les pancartes pour nos projets scolaires… Dans le temps où l’ancêtre de la CAQ était écolo: ça trahit mon âge! J’ai eu des profs marxistes-léninistes (ça, en général, c’était le prof responsable du syndicat des profs). J’ai eu des profs homophobes, qui m’ont envoyé toutes sortes de messages négatifs sur ce que j’étais sans que ça paraisse dans leur habillement, et sans que je sois outillée pour déconstruire leurs propos. Pendant ce temps, j’avais aussi plein de profs qui se privaient de devenir pour moi des modèles positifs, en restant dans le placard, en cachant leur couleur. Probablement pour préserver leur apparence de neutralité. Et c’est dans la pluralité de ces personnalités, de ces couleurs, que j’ai formé ma vision du monde. Parce que c’est seulement à travers la diversité qu’on peut tendre le plus vers ce qui ressemble à de la neutralité.

Judith Lussier

Photo: Daphné Caron

Judith Lussier est journaliste et autrice. Elle anime mensuellement le Cabaret des sorcières, une soirée féministe accessible en baladodiffusion. Elle a publié l’année dernière l’essai On peut plus rien dire: le militantisme à l’ère des réseaux sociaux (Éditions Cardinal).

 

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