Chroniques

Les gars, les mammouths et le maudit doute

La façon dont les hommes font leur place dans un groupe leur donnerait-elle une longueur d’avance dans le monde professionnel?

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Enfant, j’aimais bien, de temps à autre, faire un saut dans le monde des gars. Ce monde où l’on se comprend en peu de mots, où les conflits entre potes s’effacent avec une bonne partie de ballon-chasseur et où l’on part à l’aventure sans trop se poser de questions.

Nous, les filles, ne manquions pas d’idées pour inventer les jeux les plus exaltants. Mais le temps que nous organisions la chose, à savoir qui allait tenir quel rôle, quelles seraient les limites du terrain et comment se nommeraient les 12 petits de la licorne magique, la cloche sonnait la fin de la récré. Et je vous épargne les interminables médiations pour apaiser les egos égratignés.

Je ne prétends pas que tout était parfait dans l’univers viril du hockey de ruelle, de la gomme Bazooka et des cabanes en épinette. Il y régnait une loi tacite du mâle alpha qui a sûrement traumatisé quelques loupiots. Mais on constate aujourd’hui que la façon dont les gars font leur place dans un groupe et leurs réflexes face à l’adversité leur donnent peut-être une longueur d’avance dans la course au succès professionnel.

C’est une des théories soulevées par deux journalistes américaines dans The Confidence Code (Harper Business), un essai qui a fait jaser et dont les grandes lignes ont été résumées dans The Atlantic. Claire Shipman, reporter à ABC News, et Katty Kay, chef d’antenne de World News America, à la BBC, se sont intéressées aux nombreuses études qui font état d’un méchant manque de confiance chez la descendance d’Ève.

En gros, nous aurions tendance à 1) sous-estimer nos compétences, 2) être davantage atteintes par la critique, et 3) songer aux promotions seulement si nous avons toutes les qualifications requises… à nos yeux. Ce qui nous ramène au point 1.

Les hommes, eux, auraient une propension à se surestimer, à utiliser la critique pour mieux rebondir et à tenter de monter les échelons dès qu’ils répondent à une certaine partie des critères. Bien sûr, les gars aussi hésitent et se posent des questions. Mais pas avec autant de zèle et, surtout, ils ne laissent pas ce doute freiner leurs élans.

Difficile de déterminer avec certitude ce qui explique ces différences. Les auteures évoquent notamment un aspect « mécanique », nos corps ne réagissant pas de la même façon au stress et aux émotions négatives. La faute entre autres au cortex cingulaire antérieur, cette partie du cerveau qui nous permet de reconnaître nos erreurs, de peser le pour et le contre, de s’inquiéter. Le nôtre est plus gros que celui des hommes. Super pratique à l’ère paléolithique, où on devait y penser à deux fois avant de ramener un petit fruit inconnu au reste de la tribu et se rappeler que la dernière visite dans une grotte avait mal tourné. La faute aussi aux hormones (oui, encore elles). L’œstrogène alimente notamment la partie du cerveau qui favorise les habiletés sociales et l’observation, alors que la testos­térone favorise plutôt la force physique, le sens de la compétition, la prise de risque. Là encore, pensez chasse armé d’un silex, mammouth… vous voyez le topo.

Mais Claire Shipman et Katty Kay se penchent aussi sur la façon dont on éduque les filles et les garçons. Durant toute leur enfance, les premières, qui ont plus de facilité à suivre les règles, à communiquer et à socialiser, auront plus souvent l’occasion d’être récompensées pour leur bon comportement. Elles découvrent alors la fierté d’être « parfaites » et se mettent à chercher l’approbation de leur entourage. On peut comprendre qu’elles aient moins envie de prendre des risques et de s’exposer à la critique ou pire, à un échec. Ces épreuves sont pourtant essentielles dans la construction d’une confiance.

Sans compter que, quelque part entre la salle de classe et le cubicule du bureau, les règles changent sans qu’on nous envoie la note de service. Tout à coup, le talent ne suffit plus pour se tailler une place.

La confiance en soi, la capacité de faire face à la critique et une certaine habileté à se faire remarquer, voire à déranger, sont maintenant des atouts précieux. Pourtant, les femmes continuent de prioriser la compétence, quitte à tomber dans le perfectionnisme. Au travail, à la maison… même au cours de yoga.

Est-ce grave ? Tout dépend de nos aspirations. Les femmes seraient-elles bien reçues si elles tentaient de changer la donne ? Peut-être pas, si on considère comment sont perçues celles qui ont plus de caractère. Alors, va-t-on finir par reconnaître la valeur du doute et de la modestie, qui peuvent être assez utiles, merci ? On peut le souhaiter. Après tout, le monde du travail devrait être le reflet de nos valeurs sociales. Mais, pour le moment, les filles, c’est toujours la loi du mammouth.

Crystelle Crépeau

Crystelle Crépeau, rédactrice en chef

 

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