Je pense souvent à mes amis qui font partie de la cohorte des inquiets. J’entends par là ceux qui redoutent la lente disparition de notre culture québécoise et de son expression française. Leurs craintes sont-elles fondées? Bien malin qui peut prédire l’avenir! (Même si plusieurs s’y emploient…)
En vérité, la réponse viendra quand nous n’y serons plus et depuis fort longtemps. Ce sera alors aux historiens d’expliquer ce qui s’est produit, à savoir, de deux choses l’une. Soit ils devront se pencher sur les causes de l’extinction du fait français au Québec, soit ils enseigneront à leurs contemporains qu’une insécurité culturelle et linguistique infondée régnait chez nous au début du 21esiècle.
Attention aux discours alarmistes
D’abord, les chiffres: oui, le français a reculé au Québec nous dit le dernier recensement. Mais il faut voir de combien et pourquoi. On parle d’une diminution de 1,6% des foyers québécois parlant uniquement le français à la maison depuis 2011. Ce recul serait en partie attribuable aux nouveaux arrivants qui n’ont ni le français ni l’anglais pour langue maternelle.
Mais si on additionne les foyers unilingues francophones à ceux où l’on parle «surtout» le français, on obtient près de 80% des ménages québécois. Ce n’est pas rien pour une province qui compte une importante minorité anglophone historique, en plus de la communauté immigrante.
Bien que l’anglais finisse par être le premier choix de plusieurs nouveaux arrivants, il faut voir sur le long terme ce qui se passe avec leurs enfants, scolarisés en français. J’y reviendrai. Pas que je ne crois pas aux efforts de francisation des adultes, mais on ne va pas se mentir, le français est une langue ardue. Il m’apparaît donc plus réaliste de miser sur les enfants.
Par ailleurs, la plupart des immigrants ayant l’arabe et l’espagnol pour langue maternelle ont tendance à choisir le français. C’est encourageant.
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Opter pour l’optimisme
Je ne suis pas particulièrement inquiète quant à l’avenir du français au Québec. Pourquoi? Parce que si on prend un très grand pas de recul, on se souvient que nous le parlons depuis plus de quatre siècles. Et il me semble que si nous avions eu à cesser de le faire, cela aurait dû se passer quelque part après la conquête. Eh bien, 260 ans plus tard, nous sommes encore là.
Plus récemment, l’adoption de la Charte de la langue française (loi 101) est venue renforcer le fait français chez nous. Soyons sérieux, notre métropole est davantage une ville française de nos jours que dans les années 1940 ou 1950! Encore une fois merci à la charte de Camille Laurin.
D’ailleurs, le plus grand bienfait de la loi 101, à mes yeux, est évidemment la scolarisation en français des enfants des nouveaux arrivants. Les tout premiers de cette cohorte, qu’on appelle parfois immigrants de deuxième génération, sont aujourd’hui parents et envoient à leur tour leurs enfants à l’école française.
Artisans de notre malheur?
«C’est bien beau ce que tu dis, mais il n’est pas rare que les jeunes issus de la diversité, même scolarisés en français, se détournent de la société francophone à l’âge adulte», m’objecteront mes amis inquiets. C’est vrai, en partie, comme l’avait démontré l’excellent documentaire Les Québécois de la loi 101 présenté sur RDI il y a deux ans, à l’occasion des 40 ans de son adoption.
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Or, que nous disaient exactement les jeunes interviewés dans le documentaire? Qu’ils sont écoeurés de se sentir exclus de la société québécoise, tannés de ne pas se voir dans ses représentations culturelles, à la télé, au cinéma ou même dans les publicités, à «boutte» de se faire demander d’où ils viennent alors qu’ils sont nés ici et parlent le français avec l’accent québécois.
Ces jeunes sont ici chez eux. Pourtant ils ne se sentent pas inclus, et on peut très bien les comprendre. Comment espère-t-on susciter leur adhésion inconditionnelle envers notre culture et son véhicule d’expression française alors que tout ce qu’on leur offre est suspicion, exclusion et invisibilisation? Il y a là un examen de conscience que la majorité d’entre nous néglige de faire.
Autrement dit, cette damnée insécurité linguistique et culturelle ne finira-t-elle pas par nous mener à notre propre perte, en nous empêchant de véritablement accueillir, fédérer et intégrer les Néo-Québécois?
Se libérer de la peur
Tout cela me fait penser à un autre type de comportement totalement contre-productif: l’insécurité amoureuse à la source de la jalousie. L’individu possessif a tellement peur de perdre l’être aimé qu’il finit par l’étouffer, au point où l’autre se sauve. Il s’agit là d’une prophétie autoréalisatrice: celui qui a peur de perdre provoque cette perte.
De la même manière, s’il y a un phénomène qui menace la pérennité de la culture québécoise et le fait français au Québec, c’est bien la traditionnelle insécurité culturelle et linguistique de la majorité, qui lui fait percevoir les nouveaux arrivants comme une menace plutôt qu’une opportunité.
Évidemment, la création d’un État du Québec souverain aurait fort probablement permis de venir à bout de cette insécurité. Mais cela ne s’est pas produit et rares sont ceux qui croient encore que cela adviendra.
Au fond, je partage l’idéal de mes amis inquiets quant à la pérennité d’un Québec français fier de ses traditions. Mais je ne vois pas en quoi cela est incompatible avec un Québec (enfin) confiant, bigarré et pluraliste. Plus que ça même, je crois que la jonction des deux est essentielle pour assurer le développement et même la survie de notre «village gaulois» en Amérique.
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Marilyse Hamelin est journaliste indépendante, chroniqueuse et conférencière. Elle est aussi l’animatrice à la barre du magazine culturel Nous sommes la ville à l’antenne de MAtv. Elle blogue également pour la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et est l’auteure de l’essai Maternité, la face cachée du sexisme (Leméac éditeur), dont la version anglaise – MOTHERHOOD, The Mother of All Sexism (Baraka Books) – vient d’être publiée.
Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.