À bien y penser

Le français qui s’efface

Comment se porte le français au Québec? Ou plutôt, qui s’en préoccupe encore, pour vrai?

Photo: iStock.com/Oko_SwanOmurphy

Il y a quelques jours, je participais à une conférence qui posait une question troublante – pour moi, du moins: «La langue a-t-elle besoin d’un second souffle?».

Il était question de l’état du français au Québec. La discussion, qui réunissait des passionnés de ce dossier, s’appuyait sur un rapport de quatre chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Historiens et sociologues, ils se sont penchés sur l’évolution de l’Office québécois de la langue française (le titre du rapport le dit bien : Brève histoire de l’OLF/OQLF : mobilisation, incitation, contrainte, accompagnement) dont la première mouture fut mise en place dès 1961 et dont les pouvoirs ont été renforcés lors de l’adoption de la loi 101, en 1977.

Le rapport se concentre donc sur un organisme-phare de la protection du français au Québec, mais l’arrière-scène qui est mis en lumière est plus vaste. Au fond, ce dont il est question, c’est de l’attachement de la collectivité à la défense du français. Comme les chercheurs l’écrivent : « pas d’avancée significative de la francisation sans un appui de la société civile ».

Or le sujet n’agite plus les foules, et ce depuis un bon moment. Ou plutôt, on s’entend sur l’importance du français comme valeur commune au Québec, mais de là à agir en conséquence, c’est autre chose! Les paradoxes sont légion.

À lire aussi: Quelle folie de tuer un jardin!

Par exemple, il semblerait que 94,5% des Québécois sont capables de soutenir une conversation en français. C’est bien la preuve, n’est-ce pas, que nous avons triomphé des tensions linguistiques des années 1960!

Fort bien, mais pourquoi alors certains élus montréalais, maire ou mairesse en tête, se sentent-ils tenus de s’exprimer en français et en anglais quand ils s’adressent à leurs concitoyens? Ou encore : pourquoi tenir un débat des chefs en anglais dans le cadre des prochaines élections québécoises si quasiment tous les Québécois comprennent le français? Tous les chefs de partis ont pourtant répondu « présent » avec empressement!

Autre exemple : le gala Artis célébrait récemment la production télévisuelle québécoise. La télé d’ici est depuis longtemps la démonstration même de l’effervescence de la culture en français au Québec, une véritable réussite. La fête, pourtant, n’a pas pu se passer de l’anglais. C’est sous l’insigne du « love » que le gala se déroulait et c’est une chanson américaine qu’a entonnée Ariane Moffatt – à qui l’on doit tant de splendides chansons – pour rendre hommage aux femmes artistes.

À dire vrai, ce n’était même pas un faux pas. De nos jours, l’inspiration et les préférences musicales des uns et des autres sont nettement anglophones. Suffit de voir ce que répondent les personnalités en tout genre quand elles sont interviewées sur leurs chansons préférées. Jamais n’est-il question de chansons en français, qu’elles soient d’ici ou de France : elles ne sont plus ni des choix spontanés, ni des références.

Cela a d’ailleurs des échos dans la littérature. Pour des raisons professionnelles, je lis beaucoup, beaucoup d’auteurs québécois. Or ceux-ci, particulièrement les jeunes, aiment bien illustrer les états d’âme de leurs personnages en s’appuyant sur des extraits de chansons… en anglais. Comme si la langue de l’intime ne pouvait plus correspondre à la langue maternelle (phénomène constaté aussi dans le choix musical de bien des séries télé du Québec).

À quoi s’ajoute le fait que dans ces mêmes romans québécois, on trouve régulièrement des échanges en anglais entre les personnages. Ça se voit aussi dans des romans édités en France, mais alors tant les dialogues que les mots anglais sont traduits en note de bas de page. Ici, jamais. Les éditeurs laissent passer, tenant pour acquis que tout le Québec est bilingue. Comme s’ils ne mesuraient pas la portée symbolique de mettre sur le même pied anglais et français comme langue commune du Québec.

Évidemment, ce dont je parle ne relève pas du champ de la loi ou des attributions d’un organisme comme l’OQLF. Et pourtant, j’y vois un lien. C’est comme si au Québec, une fois adoptée la loi 101 et la mise en place des organisations chargées de l’appliquer, on a estimé que le défi linguistique était réglé. Il y a bien quelques sursauts de temps en temps, face au « bonjour-hi » des commerces du centre-ville montréalais par exemple. Mais la prise de conscience que la bilinguisation du Québec s’étend ne dure jamais longtemps.

À lire aussi: Chercher la femme, jusque dans la préhistoire!

Pourtant, nous en avons des attentes en matière de triomphe du français au Québec. Mais alors notre regard se tourne vers les… immigrants. Le français c’est dorénavant leur affaire, pas la nôtre.

Un récent sondage Léger indique que 73% des Québécois (79% des francophones) estiment que connaître minimalement le français « devrait être une condition obligatoire pour demeurer au Québec ». Encore plus de Québécois croient que les cours de français devraient être obligatoires pour les nouveaux arrivants.

Surtout, pour 85% des francophones (et 76% des Québécois dans leur ensemble), la francisation des immigrants apparaît comme un « enjeu vital pour l’avenir du Québec ». Il semblerait même que ce souci devienne un enjeu électoral, si on en croit les discours politiques ces derniers temps.

Mais que fait-on dans la réalité? On persiste au jour le jour à s’adresser en anglais aux nouveaux arrivants – ce qui inclut nos échanges personnels, le comportement de bien des élus et la correspondance avec l’administration publique. De même, il est toujours plus facile pour un unilingue anglophone que pour un unilingue francophone de se trouver un emploi à Montréal. Depuis des décennies (j’ai fait des reportages sur ce sujet au tout début des années 1990), des immigrants nous ont souligné cette hypocrisie d’un Québec qui s’affiche français mais qui dans les faits, s’en passe facilement.

Dans le rapport des chercheurs de l’UQAM, on lit que l’OQLF a atteint un stade de routinisation et que son action est dorénavant marquée par le pragmatisme : compromis et négociation sont à l’ordre du jour plutôt que de chercher le respect intégral de la loi 101. Tout le monde est content : ça évite les confrontations.

Je trouve que c’est à l’image de notre rapport collectif au français : bien des compromis, de plus en plus de renonciations. Ouf! on évite les chicanes! Mais que ça rapetisse le champ d’utilisation du français. Que ça fait doucement s’effacer la grande spécificité du Québec sur ce continent.

Et alors, est-ce si grave? disent de plus en plus de gens, non pas dans les sondages mais lorsqu’ils en parlent dans la vraie vie. Moi, je réponds encore oui… Mais sommes-nous si nombreux de mon camp?

À lire aussi: Faut être riche pour fréquenter l’hôpital!

***

Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.